“La majorité des actifs travaillent en province, dans des entreprises de moins de 10 personnes, et dans un bureau traditionnel : 33% sont en bureau individuel et 33% en collectif.” Les résultats du baromètre d’Actineo plante le décor d’un monde du travail à la structure somme toute classique, mais il relève aussi l’essor du nomadisme dans les pratiques des actifs, avec près de 39% d’entre eux utilisant au moins un tiers-lieu. Dans ce panorama, le flex office reste encore un cas minoritaire (14% des actifs), mais accompagne ce mouvement vers une plus grande flexibilité des espaces de travail.
Cette nouvelle forme de lieu de travail, qui met fin aux bureaux attitrés en proposant des espaces ouverts et modulables, semble répondre à un mal partagé par un grand nombre d’entreprises : la vacance des postes de travail, qui s’élève à 45% en moyenne par poste (Unwired et Regus, 2011). Un chiffre loin d’être anodin quand l’espace de travail constitue le deuxième poste de dépense pour une entreprise. Le réaménagement des espaces de travail en mode “flex” semble alors répondre à un double objectif : d’une part, celui d’une plus grande optimisation de l’espace, mais aussi celui d’une meilleure productivité des collaborateurs.
Le flex office tient-il ses promesses ? Au-delà de la flexibilité que ces nouveaux lieux apportent, quels sont leur impact sur le bien-être des salariés ? Alain d’Iribarnes, Dominique Lozay, Pierre Bouchet, William Bouyer et Laurent Assouly étaient réunis à Leonard:Paris le 24 septembre dernier pour discuter des potentialités de ces nouveaux espaces de travail.
L’intégralité de notre rencontre est disponible en vidéo :
Les espaces de bureaux, caisse de résonance des mutations du travail
Les intervenants brisent d’emblée l’idée reçue d’un phénomène parisiano-centré. “Les demandes en matière de flex office sont les mêmes partout en France, quelle que soit la région et la taille de l’entreprise. Et les grands groupes ne sont pas les seuls clients : les petites sociétés et le secteur public sont aussi intéressés, comme La Poste par exemple” précise William Bouyer, responsable de l’agence Ile de France de Kinnarps, spécialiste suédois du mobilier de bureau.
Les conclusions du baromètre d’Actineo, rappelées par Alain d’Iribarnes (président du conseil scientifique d’Actineo), vont dans le sens de ce constat en soulignant la mutation, plus générale et profonde, que connaissent les lieux du travail : “On assiste à une rupture historique de l’unité de temps et de lieu, avec une multiplication des lieux du travail. Il faut aujourd’hui raisonner en termes de « flux », non de « stock ».” Cette dispersion des lieux du travail (chez soi, dans des espaces de coworking ou dans d’autres espaces de l’employeur) se double d’une transformation de la structure même de l’emploi en France selon Dominique Lozay, Directeur du think tank New Ways of Working : “on est passé d’un modèle historique de l’entreprise fonctionnant 100 % de CDI à un écosystème beaucoup plus complexe, avec une plus grande part d’externalisation, de contrats à durée déterminés, de sous-traitants… C’est décisif pour le façonnement de l’espace.”.
Le flex office, un outil de management par l’espace ?
Le flex office se veut une réponse à ce morcellement physique et sociale de l’entreprise, en favorisant les flux et les rapports entre collaborateurs. Le bureau n’est plus seulement un lieu où l’on travaille, mais devient “une ressource au service du management”, selon les mots de Pierre Bouchet, co-fondateur de Génie des Lieux, agence de conseil en organisation par l’espace. “L’espace est une ressource managériale au service de la créativité, qui s’imagine de manière collaboratrice pour mieux le comprendre – et faire comprendre – les usages de l’espace à tous les acteurs de la transformation.”
Modernes, confortables, beaux, les bureaux “flex” favorisent la transversalité des échanges et la créativité des collaborateurs grâce à des aménagements volontairement ouverts, alternant bureaux libres et espaces clos réservables pour les réunions. Mais le décloisonnement social provoqué par ces espaces (supérieurs et collaborateurs subalternes se retrouvent à travailler côte à côte) ne fait pas disparaître les hiérarchies, et peuvent même rendre moins acceptables les inégalités de salaires selon le sociologue Laurent Assouly : “Être assis à côté de quelqu’un que l’on trouve « normal » et qui gagne 5 fois plus que soi, cela pose un problème. Ce malaise est l’effet de la démocratisation et de la « normalisation » qui est associée au flex office.” Pire, le rapprochement spatial entraînerait non une plus grande fluidité dans les interactions, mais une augmentation des échanges écrits : “On s’illusionne à propos de la diminution du nombre de mails sur le prétexte de la proximité en mode flex. C’est un leurre : le nombre de mails augmente tandis que les face-à-face diminuent.”
Bureau flex, bureau heureux
Alors, le flex nous ferait-il regretter nos bons vieux open spaces ? Pour Laurent Assouly, la proposition séduisante de ces espaces cache des travers propres à leur (trop) grande flexibilité : “Le bureau classique constitue une sécurité, on s’ôte une charge mentale quand on sait ce qui se trouve devant, derrière, à côté, sans avoir à s’y acclimater chaque jour. On observe au contraire dans les flex offices une perte des repères territoriaux, et le sentiment de devenir étranger à son entreprise.”
Pour limiter les effets secondaires indésirables, les différents intervenants s’accordent sur l’importance d’accompagner les équipes dans ce changement, en partant de leurs besoins au moment de la conception. Dominique Lozay rappelle à juste titre que le flex office est un outil, mais pas une solution miracle. Seul, il ne peut résoudre les problèmes inhérents à la structure managériale : “il y a une certaine lâcheté managériale dans l’idée de croire que le flex office va faire changer les modes de travail des collaborateurs en cassant les silos… on installe le comptable à côté de l’ingénieur ou du marketeur, mais ça ne suffit pas à les faire travailler ensemble !”.
Le flex office est une réponse en adéquation avec les grandes transformations qui impactent le monde du travail : passage au management par projet, volonté d’une plus grande flexibilité facilitée par l’introduction des outils numériques, valorisation des espaces stimulant la créativité et provoquant la rencontre… Mais les entreprises désireuses de passer au flex ne pourront se contenter de designs “instagrammables” pour qu’il soit pleinement adopté par les collaborateurs. Pour Dominique Lozay, “le flex office doit être la résultante d’un projet managérial” : pédagogie, vision d’entreprise et co-construction avec les équipes seront autant d’ingrédients indispensables pour créer des espaces de travail pleinement fonctionnels… Sans reproduire les travers de l’open space
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