Au delà du tout urbain : la mobilité prend la clef des champs

Que faire alors que, pour certains, nos grandes villes sont devenues « barbares » ? À rebours d’une métropolisation qui serait synonyme de dangereuses concentrations, d'évitables inégalités sociales et d’excessifs impacts environnementaux, le non-urbain se dresse comme le terrain d’expérimentations nouvelles. Le secteur de la mobilité, appelé à contribuer à renouer les liens distendus entre les magnétiques métropoles et d’autres espaces souvent négligés, est sur le front.

Des alternatives à la métropolisation, partout, mais avec différentes perspectives, se dessinent. Ici, Guillaume Faburel, professeur d’études urbaines à l’ENS Lyon et l’un de ceux qui plaident depuis plusieurs années pour une nécessaire esquisse d’un monde « post-urbain », recensait récemment – et invitait à mettre en œuvre – des « pratiques directes de désurbanisation » (minimalisme, frugalisme, relocalisation, coopératives d’autonomisation productive, communs…). L’idée est d’assurer notamment le maintien du réseau des villes moyennes, une alternative à la polarisation et un impératif d’équité territoriale et sociale reconnu comme tel à l’échelle européenne depuis des années. Là, d’autres évoquent un nouveau maillage de « territoires en mouvement » et l’idée, vivifiée avec la généralisation du télétravail confiné, de “travailler là où nous voulons vivre”. Quitter Paris : une (vieille) tendance qui a le vent en poupe….

 

MaaS attaque… à la campagne !  

… mais qui ne se décrète pas ! Notre organisation spatiale est-elle prête pour un tel phénomène ? Plus globalement, alors que les rebattus « impératifs démographiques de demain » sont de plus en plus ceux d’aujourd’hui (2% de la surface planétaire – les villes – accueille plus de la moitié des près de 8 milliards de Terriens…) et que les récentes crises sociales sont aussi des crises territoriales, d’aménagement et d’organisation notamment spatiale des modes de vie, le secteur de la mobilité est appelé, en écho, à se saisir de ces enjeux du « post-urbain ».

Est-ce à dire que le rural doit être « la » nouvelle brique de la fameuse mobilité du futur ? À ses débuts, l’une des figures de cette mobilité en transition, le MaaS, pour Mobility as a Service, soit une offre de service unifiée, intermodale, fluide et numérisée à l’échelle d’un territoire, a été préemptée par les territoires hyper-urbains hautement denses et concentrés (pdf). Il apparaît que ces services de voyages « tout-en-un » sont un atout pour des déplacements complexes, notamment pour les trajets périphérie-périphérie ou périphérie-centre dans les grandes métropoles. Mais les villes moyennes, de Saint-Étienne à la pionnière Mulhouse, montrent aussi tout son intérêt dans d’autres contextes.

 

En Finlande, « le » pays du MaaS, des chercheurs ont mis au point une précieuse méthodologie pour évaluer son intérêt en milieu rural. Il en ressort, avant tout, que les défis demeurent nombreux, avec notamment le spectre de l’inefficacité (de faibles flux de personnes, de grandes distances et des taux d’occupation restreints, des infrastructures coûteuses et limitées, peu de « chaînes de voyage » déjà en place). Mais les expertises locales, la numérisation, les environnements stables et prévisibles, la confiance dans le pair-à-pair à l’échelle de petites communautés mais aussi, plus globalement, le Zeitgeist, sont autant de raison d’y croire. Ce que les case studies finlandais nous apprennent, c’est avant tout la nécessité de miser sur le principe des services numériques de type guichet unique, incluant tous types de transport, y compris les usages émergents, à encourager : covoiturage, transport à la demande, multimodal au sein de « chaînes de voyage » intégrées pré-conçues, la mobilité autonome [voir à ce sujet notre interview de Pierre Delaigue, ndlr]. Surtout, « la transparence et la synchronisation de la demande et de l’offre de service sont essentiels », concluent les chercheurs, autour de plateformes qui donnent à voir routes, horaires, prix mais aussi informations et datas en temps réel. Une nouvelle logistique des flux qui reste en grande partie à inventer (… et qui s’invitera dans l’industrie du tourisme, du city-breaking à l’éco-tourisme).

 

La campagne en ligne de mire des constructeurs auto : le cas Volkswagen  

Elle s’ébauche néanmoins ça et là, entre accompagnement aux usages émergents des aires autoroutières de covoiturage et concepts articulant une mobilité choisie (ou une immobilité choisie !) au cœur de nos activités, comme ces “hubs de (dé)mobilité”. Outre les innovations des grands opérateurs, les initiatives locales bottom-up, notamment de mobilité partagée, se développent en territoires ruraux, comme dans le Lot ou le Tarn-et-Garonne, où l’on expérimente des infrastructures et des signalisations pour banaliser, non le covoiturage, mais l’autostop, pour des trajets, par exemple, d’un marché alimentaire à l’autre. Moins futuriste que les dits « smart villages » de la Commission européenne, pendants bucoliques des smart cities… même si ceux-ci intègrent, aux côtés du MaaS et de la numérisation, du « low tech » : bénévolat et mini-hubs physiques de services.

 

Reste que certains constructeurs automobiles, à commencer par Volkswagen, se saisissent de la mobilité rurale. Voici de fait les prémices d’une offensive « culturelle » dont le but est d’attirer l’attention sur ce qui est, aussi, un nouveau marché, loin du « urban-whatever ». La marque allemande est ainsi en plein virage vers la diversification et qui s’est notamment positionnée dans la gamme des voitures électriques citadines abordablesun Graal pour tout constructeur. Mais, fin 2019, elle annonçait aussi au détour d’un post LinkedIn regarder du côté du « post-urbain » – terme qu’elle porte et assume.  Citant pêle-mêle Trump, Le Pen et le besoin de s’intéresser aux « non-connectés », une cadre du constructeur affirmait ainsi que les « espaces post-urbains méritent notre pleine attention : nous avons besoin de les façonner et de développer des visions positives autour d’une vie moderne réussie, qui unisse enfin l’utile et l’agréable de la ville et de la campagne ». Autour d’un projet sur la mobilité rurale du futur mené en grande pompe au Guggenheim de New York autour du think tank de l’architecte Rem Koolhas, « Countryside » (voir en vidéo), Volkswagen a sorti un concept-car de tracteur électrique. Un signe d’une mobilité de demain vue à l’évidence par le prisme de l’électrique (et en l’occurence, puisque l’on s’adresse ici en premier lieu au marché africain subsaharien, par le solaire) mais, aussi, le signe d’un intérêt accru pour les scénarios post-urbains. L’idée est de penser « système » : au-delà d’un prototype de véhicule, le fabricant allemand a travaillé à modéliser un écosystème d’e-mobilité : ces tracteurs, non achetés par des particuliers, mais partagés et liés à un réseau de bornes de recharge solaires « collectivisées, promettent ainsi, outre un gain tech’ d’efficacité-métier, de nouvelles sociabilités. L’alimentation intelligente des batteries des véhicules électriques s’affirme comme étant au cœur d’écosystèmes qui dépassent la seule capacité à faire rouler des voitures : y seront aussi liés le stockage et des systèmes de production intermittente d’énergie (voir le travail d’entités telles qu’Omexom). Mais, surtout, tout ceci pourrait contribuer à bâtir du lien social. La mobilité rurale du futur cherche ainsi, aussi, à renouveler le pacte social. Les discours, en tout cas, vont en ce sens. Et, comme le dit Koolhas, « remettre la campagne à l’ordre du jour » serait déjà une victoire. À suivre, donc !

Partager l'article sur