Depuis septembre 2017, les Néerlandais peuvent télécharger sur leurs mobiles une toute nouvelle application : SnailSnap. Comme son nom l’indique, l’idée est… de prendre des escargots en photo. L’objectif : partager avec le Naturalis Biodiversity Center local des données qui, analysées automatiquement par des systèmes intelligents de reconnaissance d’image, permettent in fine de voir si l’urbanisation, notamment, affecte l’habitat, les conditions de vie et les caractéristiques physiques des gastéropodes.
« Darwin comes to town »
Ce projet participatif est né de l’initiative de Menno Schilthuizen, « écologiste urbain » et auteur en mars 2018 de Darwin comes to town, sous-titré « Comment la jungle urbaine agit sur l’évolution ». Il y propose une actualisation de la théorie darwinienne en étudiant l’évolution des caractéristiques de la faune et de la flore en ville, où elles sont exposées et s’adaptent à la pollution sonore et de l’air et à l’activité humaine dans des environnements artificialisés et en mutation permanente.
Ainsi, les coquilles des escargots hollandais changent de couleur, leur permettant de mieux se protéger des îlots de chaleur urbains. À Porto Rico, les pattes d’une certaine espèce de lézards ont évolué et agrippent dorénavant mieux le béton. Des corneilles japonaises déposent, elles, des noix sur le bitume et les font ouvrir par le flux des voitures. Enfin, les ailes de ces hirondelles américaines ont raccourci : elles échappent désormais plus rapidement aux voitures.
Documenter la ville verte
Anecdotiques, les escargots de Menno Schilthuizen ? Pas si l’on considère que l’étude de ces évolutions est le préambule à l’invention de nouvelles manières de faire cohabiter humain et nature en ville. Les travaux sur le darwinisme urbain égratignent au passage certains dogmes dominants en urbanisme : d’après le biologiste, l’introduction de passages à faune, censés encourager le développement des populations animales, pourrait parfois aller à l’encontre de leur besoin de s’adapter à un environnement local dans des conditions stables.
Les travaux de Schilthuizen le mènent aussi à conclure que « pour rendre les villes plus vertes, les meilleurs candidats sont les espèces qui se sont déjà adaptées aux conditions urbaines plutôt que celles choisies dans un catalogue de pépiniériste ». En fait, le développement des technologies de monitoring (capteurs, connectivité, cloud, data-analyse et IA), à l’instar de ce que l’on observe par ailleurs dans le champ de l’étude de la grande faune sauvage, permet de documenter à un degré de précision inédit un pan entier de ce qui fonde la biodiversité en milieu urbain. Menno Schilthuizen, qui met en lumière l’incapacité d’adaptation de certaines espèces face aux trop rapides transitions urbaines, rêve ainsi d’un « système de monitoring automatisé, faisant appel au grand public, qui permettrait d’observer en temps réel [les processus d’ »évolution urbaine »] ».
La biodiversité urbaine à l’agenda dans l’immobilier
Du reste, ce type d’outils de quantification, à l’image du City Biodiversity Index, permet d’objectiver la préoccupation grandissante que les acteurs de la ville semblent montrer envers la biodiversité urbaine. Le secteur de l’immobilier est à cet égard un des plus actifs. Lors du dernier MIPIM (Marché International des Professionnels de l’Immobilier), le Conseil International Biodiversité et Immobilier (CIBI) a ainsi lancé une charte volontaire qui a vocation à faire un peu plus entrer la biodiversité dans les préoccupations du secteur. Quarante entreprises se sont ainsi engagées autour d’une charte qui vise à « intégrer le vivant dans tout projet urbain » et qui suit d’autres initiatives, tel le label BiodiverCity dont le référentiel propose une définition de la biodiversité appliquée à la ville (indicateurs pour la diversité des écosystèmes et les relations homme/nature).
Un tournant s’opère, selon Pierre Darmet, Secrétaire Général du CIBI, qui assure :
« Nous passons de ‘mesurettes’ à une conception systématique. Il n’y a pas de performance écologique à attendre, mais plutôt un potentiel d’accueil du vivant, ce qui est différent des raisonnements habituels »
Alors que les municipalités elles-mêmes en font un élément visible de leurs politiques, la biodiversité urbaine quantifiée est indéniablement en passe de déboucher sur un marché. Urbalia, start-up tout juste née d’un partenariat entre VINCI Construction et AgroParisTech, propose ainsi le « premier outil » de mesure du potentiel biodiversité d’un projet urbain. La nature en ville voit ainsi à son tour nos civilisations statistiques se pencher sur elle et faire de mieux en mieux ce qui les caractérisent : classer et mesurer.