La conférence « Défricheurs de la biodiversité en ville » a réuni plusieurs chercheurs et acteurs de l’aménagement pendant le festival Building Beyond de Leonard pour tenter de mettre à plat ces difficultés et indiquer la marche à suivre dans le domaine. Elle réunissait Paola Mugnier, directrice de la société spécialisée en biodiversité et agriculture urbaine Urbalia ; Michel Hössler, le fondateur de l’Agence TER, lauréate du Grand Prix de l’urbanisme 2018 ; Philippe Clergeau, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et Catherine Aubertin, économiste de l’environnement à l’IRD.
Commençons par une définition : Philippe Clergeau rappelle que la biodiversité n’est pas une somme d’espèces dont la grande quantité suffirait à établir la richesse : « la notion de biodiversité rajoute une idée de fonctionnements et de relations entre les espèces ». Cette notion beaucoup plus exigeante inscrit une plante ou un animal dans un écosystème. Dès lors, il s’agit de comprendre des mécanismes de coopération, de compétition, de prédation, de symbiose etc.
Des indicateurs trompeurs
Un travers dénoncé à plusieurs reprises pendant la conférence tient à la tendance des économistes et des aménageurs à essayer de traduire en chiffres et en indicateurs cette biodiversité pour en évaluer les coûts et faire des arbitrages. Ces indicateurs sont souvent partiels et mettent en avant les services rendus par la nature à l’homme. Un exercice utile mais réducteur.
« Dès qu’on met des mathématiques ça fait très sérieux et ça rassure explique Catherine Aubertin. Mais c’est l’enquêteur qui choisir une valeur, une espèce, et c’est très difficile de rendre compte de la biodiversité de cette manière. » Un arbre crée de l’ombre et donc de la fraîcheur, il est esthétique, il dépollue, mais entre-t-il vraiment en relation avec un écosystème ? « On a un rôle à avoir pour faire durer ce système de santé et permettre à cette biodiversité de fonctionner » ajoute Philippe Clergeau.
Marketing et nature fonctionnelle
Powerpoint à l’appui, Michel Hoessler brosse un historique passionnant des approches de la nature dans l’aménagement urbain. Il termine par les projets de son agence qui s’inscrivent dans leur écosystème. Le parc du Trapèze à Boulogne fait office de machine hydraulique : « on nous demande de réguler les eaux pluviales et les éventuelles crues ». Quant au parc des Docks à Saint-Ouen, il conserve les jardins ouvriers de l’ancienne usine Alstom pour en sauvegarder la fonction productive.
De ce fait, les membres du panel rejettent certaines tentatives parmi les plus en vogue de “faire nature” en ville, comme la végétalisation de tours (Bosco Verticale à Milan) ou la promesse de “forêts urbaines”. Celles-ci se focaliseraient sur les services rendus sans tenir compte du milieu où elles se trouvent. Une aberration qui a encore trop souvent cours, selon Philippe Clergeau.
Penser le vivant
Pour ce dernier, c’est notamment l’étape du diagnostic de biodiversité qui fait encore défaut. « La notion de diagnostic est fondamentale et elle manque à la plupart des grandes conceptions regrette-t-il. Elle doit arriver avant le dessin du projet. Mon grand souhait est de faire changer la loi MOP pour imposer des préliminaires de diagnostic et prendre très fortement en compte ce qui existe déjà, pour accrocher au mieux au projet urbain. On continue encore aujourd’hui d’avoir des grands projets qui sont en table rase. Je pense qu’il y a des choses à faire changer dans l’approche du métier. L’APUR est scandalisée par les constructions de quartier de gares du Grand Paris, il n’y a aucune réflexion sur l’espace public. »
Sans les habituels indicateurs et les expressions tendances, reste à enseigner ce que cache le terme de biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Un travail de débat multidisciplinaire et de formation que le panel appelle de ses voeux.
« Faire le lien entre des métiers constructeurs et des solutions d’écologie implémentables », c’est notamment le travail de Paola Mugnier, qui décrit sa mission chez Urbalia comme le « chaînon manquant ». C’est d’autant plus vrai que « la nature échappe au découpage administratif et au cloisonnement des compétences » observe Michel Hössler. « Quand on se prend pour dieu, il faut au moins faire aussi bien » résume-t-il.