Désormais, « le développement de villes « biodiversité-friendly » est inextricablement lié […] au développement du bien-être humain » : ce constat, né du dernier – et foisonnant – numéro de la revue Sustainability, qui a inspiré les trois cas d’école sélectionnés, nous rappelle que la protection de la biodiversité en ville, est autant une question de préservation de l’environnement que de réappropriation d’un habitat plus équilibré. Certains écologues posent les exigeants jalons de la mise en œuvre de cette transition, avec par exemple l’ardu objectif de poser des « diagnostics géographique, paysager et écologique avant même la production des premières esquisses d’organisation spatiale ». Loin de faire table rase du bâti urbain, il s’agit de ré-aménager, de protéger, mais aussi de se mettre en capacité d’évaluer.
Berlin : un nouveau modèle pour quantifier les « relations biotiques »
Les écologues parlent de facteurs « biotiques » pour évoquer tout ce que le vivant fait au vivant. La quantification de ces facteurs est un vaste défi des politiques de biodiversité urbaine, tant il est complexe (et pourtant crucial) de connaître les effets de l’urbanisation sur la biodiversité et sur les interactions entre espèces au sein des environnements urbains dits « socio-écologiques ». Berlin est une ville considérée comme un bon modèle pour étudier ces relations biotiques, car son caractère polycentrique et ses multiples phases de croissance/décroissance rapides aboutissent à un environnement urbain complexe et poreux, fait de discontinuités entre espaces bâtis, espaces vacants et friches se revégétalisant naturellement, et espaces verts conçus par l’homme.
Ce n’est donc pas un hasard si la capitale allemande accueille la plateforme de recherche expérimentale CityScapeLab, l’une des plus vastes et ambitieuses au monde en la matière. Cherchant à modéliser et anticiper les effets de l’urbanisation sur la biodiversité, la plateforme centre ses efforts sur toutes les prairies sèches de l’aire métropolitaine berlinoise, en y plaçant un réseau de capteurs permettant une série de mesures automatisées en temps réel de nombreux paramètres environnementaux (température, pression, humidité, luminosité, radiation UV, particules en suspension, bruit, moisissure du sol). Ces capteurs, qui permettront, couplés à de l’analyse d’autres données liées à la structure et l’activité urbaine, d’induire des changements de comportement parmi la faune et flore de ces prairies, sont reliés via le protocole IoT LoRaWAN, réseau open source de communications longues portées, le tout auto-alimenté par énergie solaire. Un dispositif encore rare et fragile pour, pourtant, produire un savoir déterminant pour les stratégies urbaines de demain…
Londres : les forêts sauvages, si près, si loin
« Take a walk on the wild side… » Entendu, mais où ? On a tendance à l’oublier mais, dans de nombreux espaces urbains, des forêts se développent et leur intégration aux infrastructures vertes des villes est appelée de leurs vœux par les écologues qui y voient la promesse d’habitats retrouvés pour de nombreuses espèces, y compris en danger, mais aussi, plus globalement, la possibilité pour les citadins d’expérimenter la nature sauvage au quotidien, une dynamique souvent jugée nécessaire pour favoriser notre conscience environnementale.
Reste que les forêts urbaines demeurent en grande partie des écosystèmes informels, qui se développent anarchiquement et colonisent des espaces vacants, sites post-industriels, décharges et autres friches. Certaines villes encouragent néanmoins le « réensauvagement » de certains espaces verts pré-existants, accompagnant en ce sens parcs (c’est encore rare) mais aussi, étonnamment, cimetières. C’est le cas à Berlin, à Bristol, mais aussi dans le Grand Londres, où l’un des « Magnificent Seven», le cimetière paysager d’Abney Park, s’affirme comme l’une des plus grandes réserves naturelles locales. On y a découvert, en 2013, une espèce de mouche souvent utilisée comme bio-indicateur, rarissime en Europe et plus vue au Royaume-Uni depuis 50 ans : le symbole d’une « faune-relique qui est parvenue à se maintenir au cœur de Londres à quelques mètres des rues bondées ». Le maintien de ces îlots de nature urbaine semi-sauvage, et leur bio-monitoring, apparaît, loin de la marginalité apparente du sujet des vieux cimetières baroques où prospère une végétation désordonnée, comme un défi majeur. Qui l’eût cru ? La capitale londonienne avait en tout cas mis en place un programme d’action dédié pour la biodiversité dès 2010 (pdf) : elle y cible avant tout sa politique liée aux espaces verts, formant ses agents à la gestion de la biodiversité et alertant sur un sur-assainissement jugé menaçant pour certaines espèces.
Bâle : réseaux de (re)végétalisation, trames et corridors écologiques
Les trames vertes et autres corridors bleus font depuis de nombreuses années partie des programmes urbains de préservation de la biodiversité. Exemple parmi mille en France, la « meilleure petite ville pour la biodiversité 2019 », Saint-Lunaire, située sur le littoral breton, a été récompensée pour sa mise en place d’une orientation d’aménagement programmée (OAP) pérennisant notamment sa politique de replantation. Visant le « retour des effectifs de certaines espèces jugées autrefois courantes et devenues sporadiques », ce maillage global au sein de la collectivité permet de penser la ville comme un écosystème global où l’on peut penser l’équilibre.
Une initiative qui semble modeste mais qui propose un cadre d’aménagement urbain adossée à des outils fonctionnels et proposant une vision cohérente et rassembleuse. En milieu hyper-urbain, ce cadre peut prendre la forme de réseaux de corridors rendant possible la « ville-biotope », soit un milieu naturel aux conditions de vie les plus homogènes possibles pour sa faune. Bâle, pionnière reconnue dans les politiques de végétalisation de l’espace urbain (et notamment des toits de son vaste dépôt de tramway devenus de reconnus réservoirs de biodiversité, comme pourraient l’être toutes ses toitures plates inutilisées, qui représentent 10% de toute sa superficie !), est aussi un modèle innovant de l’utilisation d’éléments abandonnés de son infrastructure de transport, en particulier ses voies de chemin de fer désaffectées ainsi qu’une vaste gare de triage en reconversion. Comme l’ont montré des chercheurs à Bâle, les infrastructures de transport, et en particulier les remblais des voies ferrées, sont d’ailleurs d’importants corridors écologiques. En ville, les ponts ferroviaires jouent un rôle majeur pour connecter les habitats urbains entre eux et sont ainsi appelés à intégrer le planning urbain lié à la biodiversité.
D’autres villes modèles en Europe:
– En France : tous les programmes lauréats (pdf) de l’initiative “Capitale française de la biodiversité”, dont l’ambitieuse Saint-Lunaire évoquée dans l’article mais aussi Lyon et sa métropole, créatrice historique et inspirante d’un “Plan Canopée” et instigatrice de nombreuses mesures dédiées
– Ailleurs en Europe : la Capitale verte européenne 2021, Lahti (plus de 100 000 habitants, en zone arctique) et son “application personnelle pour l’échange de droits d’émissions de carbone”, et ses prédécesseuses, comme la Basque Vitoria-Gasteiz, qui a réduit de quasi-moitié sa consommation d’eau en trente ans et mis en place une impressionnante ceinture verte, ou Oslo en 2019