Biosourcés, intelligents, recyclables : les trois mutations des matériaux de construction

Face aux crises sanitaires et écologiques, les matériaux de construction font leur mue. Des solutions les plus simples aux plus high-tech, le secteur est en ébullition.

Les 50 milliards[1] de tonnes de sable extraites chaque année font planer la menace d’une pénurie de cette matière première dont le secteur de la construction est le plus grand consommateur, encouragent les mafias et déstabilisent les écosystèmes. La pression sur l’acier, le cuivre ou le plastique entraîne aujourd’hui une flambée des prix. Le béton est responsable de 5 à 10%[2] des émissions de CO2 dans le monde… Inutile de poursuivre la litanie pour deviner l’enjeu : les matériaux de construction doivent se réinventer, limiter les pollutions induites par leur exploitation et s’inscrire dans une logique circulaire. Avec la crise du COVID-19, la dimension sanitaire est venue s’ajouter à la liste des tâches. Les matériaux virucides font leur entrée dans les cahiers des charges. Dans le même temps, la limitation des composés organiques volatils (COV), des poussières, ou des risques de moisissure se fait d’autant plus importante que nous passons plus de temps assignés à résidence ! Face à l’urgence, industriels et jeunes pousses s’organisent et affichent un dynamisme remarquable. De l’optimisation de l’existant aux low-techs, en passant par des projets dignes de la science-fiction, le monde des matériaux fait sa mue.

 

Une question d’émissions

Après l’eau, le béton est la deuxième substance minérale la plus utilisée au monde. La raison est simple : c’est un excellent matériau de construction. “Le béton a un impact très faible. Son empreinte carbone est importante à cause des quantités utilisées”[3], explique Karen Scrivener, directrice du Laboratory of Construction Materials de l’EPFL. L’enjeu n’est donc pas de se passer de béton, mais d’en améliorer les performances. VINCI compte ainsi utiliser 90% de béton bas carbone dans ses chantiers d’ici 2030. Avec la gamme de bétons Exegy, le groupe propose une réduction des émissions de CO2 de l’ordre de 70%. Pour y parvenir, les procédés de fabrication du béton sont transformés de manière à se passer au maximum de clinker, dont la fabrication est responsable de 60% des émissions totales du ciment. En France, le cimentier Hoffmann Green Cement Technologies a déjà ouvert deux usines capables de produire du ciment sans clinker.

 

Les logiques circulaires laissent également imaginer de nouvelles manières de produire les matériaux. La startup canadienne Carbon Upcycling Technologies – incubée dans le programme CATALYST de Léonard – propose ainsi de convertir les émissions de CO2 en produits solides. Les applications qui découlent du procédé sont nombreuses. Additifs pour bétons, polymères, revêtements anti-corrosion : l’exploitation du potentiel du CO2 comme matière première en est à ses balbutiements.

 

Nouveaux matériaux, nouvelles propriétés

Au-delà de l’optimisation des procédés de production, le monde des matériaux développe de nouvelles propriétés. Pour le secteur de la construction, c’est l’opportunité de repenser radicalement des usages séculaires. Le développement des nanoparticules permet ainsi d’imaginer des verres semi-transparents capables de générer de l’énergie. Avant d’afficher des rendements suffisants pour recouvrir les façades de nos immeubles, ils s’avèrent particulièrement utiles aux serres agricoles. Toujours en façade, les traitements autonettoyants laissent imaginer des édifices capables de combattre la pollution de manière passive. Neolith développe ainsi un traitement à base d’eau et de nanoparticules de dioxyde de titane qui met à profit les processus chimiques de photocatalyse et de superhydrophilie pour dépolluer automatiquement les surfaces. D’autres adaptent les propriétés de matériaux classiques à de nouveaux usages. C’est le cas de Mighty Buildings, qui développe avec Light Stone Material un matériaux composite proche du ciment à prise ultra rapide, particulièrement adapté à l’impression 3D de bâtiments… Enfin, du côté de l’ultra-résistance, le MIT a développé un matériau à base de graphène 20 fois moins dense et 10 fois plus résistant que l’acier !

 

La piste du vivant

Si l’innovation est vivante au sens figuré, elle l’est aussi au sens propre. Les matériaux bio-sourcés plaident pour un retour au low-tech, aux solutions naturelles et au biomimétisme. Dans ce domaine, c’est le bois qui fait office de figure de proue. Grâce au développement du lamellé croisé (CLT), la construction bois peut aujourd’hui se permettre d’envisager des édifices plus audacieux. La cité du vin de Bordeaux, réalisée par la filiale de VINCI dédiée au bois Arbonis, en offre un bon exemple. Le matériau bois autorise également des hybridations inattendues. C’est le cas avec les bétons légers bio-sourcés à base de bois. Le cimentier Vicat a ainsi lancé Naturat, un béton à base de bois destiné à répondre aux attentes de la RE2020.  Certains, comme Woodoo, vont jusqu’à modifier la structure du bois pour transformer ses propriétés. Translucide et résistant, le produit de la startup semble aujourd’hui plus destiné aux usages intérieurs ou technologiques mais reste une belle promesse pour la construction.

Au-delà du bois, procédés naturels et biomimétisme inspirent programmes de recherche et entrepreneurs. Les bétons auto-cicatrisants font appel à des champignons pour réparer eux-mêmes leurs fissures. La startup néerlandaise Basilisk commercialise déjà un produit développé avec l’Université de Delft, qui permet de réparer des fissures allant jusqu’à 1 mm.  Toujours du côté des champignons, le mycélium laisse imaginer un matériau qu’il suffirait de laisser pousser. La startup Ecovative l’utilise déjà pour commercialiser des objets de décoration. Plus étonnant encore, la startup chipsboard développe des bioplastiques à partir de déchets alimentaires ! Les pelures de patates n’ont jamais été aussi utiles.

 

La santé en ligne de mire

Difficile d’aborder le sujet des matériaux en 2021 sans traiter la dimension sanitaire. La pandémie de COVID-19 a mis l’accent sur le rôle des matériaux et fait exploser la demande. Si l’on connaît depuis longtemps les propriétés virucides du cuivre, ce dernier doit aujourd’hui faire face à une nouvelle concurrence. La peinture AirLite, sponsorisée par l’Union Européenne,  élimine 99,9 % des bactéries et des virus présents sur les surfaces traitées. Dans le même ordre d’idée, Metalmark Innovations – récompensé par le prix smart city Hello Tomorrow, soutenu par Leonard – développe des revêtements intérieurs capables de lutter contre les COV.

Du côté des matériaux de construction, la crise sanitaire risque de remettre sur le devant de la scène un concept de briques “respirantes” développé en 2015. Conçues comme de véritables petits aspirateurs, ces briques filtrent naturellement l’air intérieur. Testées en soufflerie, les breathe bricks seraient capable de filtrer 30% des particules fines et 100% des poussières !

[1] https://information.tv5monde.com/info/penurie-de-sable-un-enjeu-planetaire-environnemental-et-economique-185813

[2] https://www.espazium.ch/fr/actualites/diviser-par-deux-limpact-environnemental-du-beton

[3] https://www.rsc.org/images/Construction_tcm18-114530.pdf

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