Le 7 décembre 1972, l’équipage de la mission Apollo 17 réalise un cliché de la Terre dans son entièreté devenu depuis une icône de la conscience environnementale. Avec le soutien de l’Ecole urbaine de Lyon, programme de recherche consacré aux enjeux globaux du changement environnemental, le photographe Adrien Pinon a mené une enquête photographique librement inspirée par ce cliché qui vise à poser la question : qu’en est-il de cette planète un demi-siècle après avoir été révélée dans toute son unité, sa beauté et sa fragilité ?
Pour présenter des pistes de réponses avec un regard original, Adrien PINON a créé une fiction dans laquelle deux spationautes ont pour mission la collecte sur Terre, des matières, des objets et des paysages caractéristiques de l’Anthropocène – du nom de cette période proposée par certains scientifiques pour caractériser l’époque où les humains sont devenus une force capable de modifier l’équilibre du système global.
Transformation des sols, mobilités, énergies, l’enquête vise à identifier les signes de la « Grande Accélération » que notre monde a connu dans tous les domaines depuis la prise de vue de cette petite « bille bleue » en 1972.
Dans l’interview qui suit, Adrien Pinon revient sur ce projet actuellement présenté sous la forme d’une exposition chez Leonard.
Pourriez-vous nous raconter l’histoire de la photo The Blue Marble, dont nous fêtons les cinquante ans aujourd’hui ?
La photo « The Blue Marble » a été prise le 7 décembre 1972 par l’équipage de la mission Apollo 17. Alors qu’ils étaient en route pour la dernière mission qui mettra les pieds sur la Lune, l’un des astronautes se retourne et remarque la planète terre à plus de 45 000km dans toute son entièreté, sa splendeur et sa fragilité au milieu de l’immensité noire et hostile de l’espace. Il décide intuitivement de prendre quelques photos alors qu’il n’en a absolument pas l’obligation.
Ce cliché deviendra très rapidement une icône, notamment dans une période où la cause écologique commence à grandir, et garde encore sa vivacité émotionnelle en nous montrant – tel un symbole – le continent de nos origines : l’Afrique.
« Programme Blue Marble » est conçu comme une expédition spatiale, mais sur Terre. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez conçu le dispositif ?
L’un des enjeux de ce récit photographique était de le rendre vraisemblable. Pour cela la première étape a été de travailler avec une agence spécialisée dans le cosplay pour avoir un costume qui donne à croire que nous avons vraiment affaire à un spationaute moderne en mission. Je suis ravi du design final qui se rapproche assez de celui proposé par SpaceX qui fut dévoilé quelques mois après le nôtre ! La deuxième étape a concerné les repérages afin de trouver les environnements et les scènes qui parleraient efficacement de la mission du Programme Blue Marble, dont l’objectif était de découvrir les éléments témoins de notre période anthropocène. Ainsi cinq grandes zones ont été visitées durant l’enquête : la ville dense, la périphérie, la campagne, la montagne et le littoral. La troisième et dernière étape a été l’étude de l’histoire et des références culturelles (notamment les films) évoquant mes aventures spatiales, et ce afin de m’appuyer dessus dans la mise en récit de l’enquête. La personne attentive pourra peut-être se rendre compte que de nombreuses photos du « Programme Blue Marble » reprennent des références visuelles fortes des programmes Apollo qui servent à l’inscrire dans le même imaginaire.
Quels sont les types de matériaux avez-vous récoltés ? Avez-vous fait des « découvertes » ?
L’objectif était de réellement se laisser surprendre et de ramasser ce que nous allions voir sur notre route durant les journées de prises de vues. Globalement il suffisait de se pencher et de récolter détritus, cailloux, terre, eau, charbon, béton… tout ce qui pouvait rentrer dans un sac à dos (celui du spationaute). L’analyse de notre monde peut vraiment se limiter à ce que nous avons, et ce que nous laissons traîner, sous nos pieds. Quelques objets choisis à mon domicile sont venus compléter l’inventaire pour aborder des sujets phares de l’anthropocène : batterie, viande rouge et jeans par exemple.
Finalement, concernant nos « découvertes », la vraie surprise est venue de notre effort de changer notre regard habituel sur ce qu’est un déchet et de se rendre compte que les bâtiments abandonnés que l’on pouvait croiser n’étaient rien d’autre que des énormes déchets immobiles polluant les environnements dans lesquels ils se trouvaient.
Y a-t-il un message que vous souhaitez plus particulièrement faire passer avec cette enquête ?
Avec cette enquête, j’avais envie de reprendre et d’exploiter cet engouement – justifié – du grand public pour les aventures spatiales, avec ses héroïnes et ses héros, mais en ramenant les pieds sur Terre. Mon intention à travers ce récit est vraiment de rappeler qu’il faut mettre les mêmes efforts scientifiques et moyens financiers sur les études des dynamiques actuelles sur notre planète qui remettent en question son habitabilité future que sur les programmes spatiaux.
Je ne crois pas une seule seconde au doux délire de certains milliardaires travaillant à la colonisation spatiale et me demande d’ailleurs aujourd’hui qui y croit. Avec Programme Blue Marble, je me concentre sur la manière dont nous habitons notre unique Bille Bleue et souhaite faire réfléchir sur ce que nous pouvons encore sauver et faire perdurer, voire prospérer, pour nous et les générations futures.
L’exposition « Programme Blue Marble » est visible sur rendez-vous chez Leonard, 6 Place du Colonel Bourgoin, dans le 12e arrondissement de Paris. Merci de contacter : lucas.tiphine@vinci.com