« Art de la crise et architectures pirates »
Le besoin d’adaptation permanente impose naturellement de changer de regard sur la ville et sa planification. L’architecte Marco Stathopoulos, architecte et auteur de L’architecture comme art de la crise. Vers une résilience urbaine, explique que « la ville résiliente est flexible et transformable, […] le risque fait partie de ses fondements, tout comme les ressources qui peuvent s’en dégager ». Cet équilibre dynamique s’accorde par définition assez mal avec la détermination de principes fixes. On note cependant des schémas récurrents propres à favoriser la malléabilité urbaine. Dans un cahier de solutions publié en 2021, le Plan Urbanisme Construction Architecture met ainsi en avant « la sobriété foncière qui est à conjuguer avec l’offre d’espaces ouverts de qualité grâce à l’intégration de l’eau, des paysages, de la nature et de la biodiversité dans les projets. La renaturation des milieux urbains et la restauration des corridors écologiques (trames vertes et bleues) sont nécessaires pour lutter contre l’érosion de la biodiversité et atténuer les îlots de chaleur grâce à la désimperméabilisation des sols et à la circulation de l’air ». Dans une autre étude, La Fabrique de la Cité rappelle quant à elle l’importance de la gestion des ressources, de l’économie circulaire, de nouvelles formes d’agriculture urbaine, d’un urbanisme modulaire et flexible et, de manière plus générale, de la mise en place d’une réflexion véritablement systémique. Dans les faits, au-delà des programmes institutionnels les plus ambitieux, ces grands principes donnent lieu à des expérimentations plus ou moins structurées, toujours inventives et parfois surprenantes. Des initiatives singulières que nous avons souhaité mettre en lumière dans ce cabinet de curiosités.
Alimentation : quand la ville cherche à se nourrir
L’autonomie alimentaire des villes françaises est aujourd’hui de l’ordre de 2%. Dans le même temps, on estime que 80% de la nourriture consommée dans le monde d’ici 2050 sera consommée en ville. S’il est naturel que les aires urbaines ne produisent pas la totalité de leur alimentation, une réflexion sur les « villes nourricières » peut diminuer la vulnérabilité aux crises et les dépendances logistiques tout en favorisant le lien social. En Argentine, la ville de Rosario a été récompensée pour un programme qui donne accès à une parcelle de terrain inexploitée aux habitants les plus pauvres. Le dispositif est aujourd’hui un modèle d’inclusion par l’agriculture. En Inde, la ville de Rourkela a mis en place un système de réfrigérateurs publics pour limiter les pertes des petits maraîchers. En France, la start-up Cycloponics valorise les friches souterraines urbaines en espaces de production alimentaire.
Densité : la ville malléable entre afflux et reflux
En 2022, l’ingénieur Philippe Bihouix publiait un plaidoyer pour une « ville stationnaire », capable de ne pas s’étaler sans pour autant se densifier. Il invitait alors à transformer, embellir, exploiter au mieux ce qui est bâti. Dans les faits, certaines villes explorent déjà les espaces urbains oubliés. C’est le cas d’Helsinki, qui publie depuis 2011 un « Underground Master Plan » destiné à favoriser la résilience urbaine. L’ambition est de transférer une plus grande partie des fonctions urbaines dans le sous-sol afin de permettre une densité plus faible en surface. À l’inverse, des villes comme Baltimore doivent faire face à des phénomènes de dépeuplement. On parle alors de smart shrinkage pour décrire l’accompagnement du déclin à travers l’implication des communautés, une planification et des solutions technologiques destinées à garantir une bonne qualité de vie à tous ceux qui restent sur place.
Nature : une alliée incontournable pour la ville
Une étude ayant été publiée en 2022 par des chercheurs de l’Institute for Global Health de Barcelone établissait une règle assez simple pour favoriser la santé mentale en ville : les 3 – 30 – 300. Cet indicateur part du principe que le fait de voir trois arbres depuis sa fenêtre, de vivre dans une zone qui est couverte à 30% par de la végétation et de se situer à moins de 300 m d’un parc favorise une meilleure santé mentale. Cette forte corrélation entre nature en ville et santé plaide en faveur d’une vraie renaissance de la bio-inspiration urbaine. Le mouvement des villes biophiliques – c’est-à-dire mieux connectées aux écosystèmes naturels qui les composent – incarne bien ce retour d’une ville plus sauvage et moins aseptisée.
Catastrophes : la ville préparée aux grands événements climatiques
Amplifiées par le réchauffement, les grandes catastrophes naturelles sont amenées à voir leur fréquence augmenter. Une multiplication qui pousse les villes à délaisser le camp du chêne au profit de celui du roseau. L’exemple des « villes éponges » incarne bien ces nouveaux modes d’adaptation, imaginés en symbiose avec la nature. Il se traduit dans les faits par le développement de trames bleues (continuité des zones humides) ou par l’utilisation de nouveaux matériaux, comme le béton poreux d’AquiPor ou les dalles drainantes de Rain(a)Way. Dans le même ordre d’idées, les autorités de la ville de New York ont décidé de mettre à profit des solutions fondées sur la nature pour protéger Staten Island des vagues à la suite de la tempête Sandy. Le projet Living Breakwaters s’est ainsi appuyé sur une étude des écosystèmes marins pour limiter les risques tout en préservant les habitats naturels.
Smart : la technologie entre risque et solution
Lorsque l’on parle de résilience, les technologies numériques s’imposent à la fois comme une vulnérabilité et comme une partie de la solution pour les villes. Dans ce contexte, des villes comme Rotterdam développent des programmes de cyber-résilience destinés à assurer la sécurité numérique de la ville. Le programme FERM fixe ainsi comme objectif de réduire la vulnérabilité du célèbre port néerlandais aux risques cyber. Par ailleurs, d’autres solutions numériques permettent d’optimiser la gestion des ressources urbaines. En Allemagne, la mise en place d’un « digital twin » de l’usine de traitement de l’eau de Cuxhaven a fait diminuer de 1,1 million de kWh la consommation annuelle d’électricité, soit l’équivalent de la consommation de 275 foyers !
Adaptabilité, malléabilité, résilience, réversibilité : la conjonction des crises climatiques, sanitaires ou économiques a mis en lumière la nécessité d’une ville moins rigide, en mouvement perpétuel. Après des siècles de planification stricte, les modèles urbains cherchent à renouer avec leur milieu, avec la nature et se construisent dans une forme d’hétérarchie propre à limiter les dépendances.