Cet article est issu du yearbook 2024 : « L’innovation a trouvé sa boussole. » Nous avons conçu cette revue annuelle pour vous inspirer et susciter de nouvelles vocations au service de la transformation des villes et des territoires.
Êtes-vous plutôt ciel de voitures volantes ou légions de triporteurs ? Musique délicate d’un moteur électrique ou concert de chants d’oiseaux ? En matière de mobilité, il ne semble pas y avoir de zone grise : rêves technologiques ou utopies écologiques, les deux extrémités du spectre se toisent, et, entre elles, c’est le royaume de l’impensé. Coincés entre ces deux polarités, comment pouvons-nous imaginer un avenir crédible à nos mobilités ?
D’imagination, la mobilité n’en manque pas. Au contraire, c’est d’une bonne dose de réalité dont elle aurait bien besoin : le véhicule individuel représente encore 84 % des déplacements des particuliers, et la part modale du vélo plafonne à 4,5 %. Le tout-électrique demeure un horizon lointain et risque d’être inaccessible pour nombre d’entre nous. L’autopartage reste trop confidentiel, et les promesses de la conduite autonome ne sont toujours pas tenues.
Si les scénarios divergent, c’est parce que la mobilité est une équation à facteurs multiples. Pour l’imaginer, il faut faire dialoguer des enjeux parfois contradictoires, mettre sur la table des réalités complexes, des géographies que tout oppose, des ambitions qui s’ignorent. C’est à ce prix que l’on peut commencer à dessiner non pas une, mais des mobilités crédibles : loin des fantasmes et des vœux pieux, le regard tourné vers des possibles qui ne laisseront personne sur le bas-côté. Petit tour de piste des enjeux à considérer.
Enjeu #1 : Répondre à l’impératif de soutenabilité environnementale
En 2023, quand on pense mobilité, on pense carbone. Dans l’étude Mobilités 2050, l’angle environnemental est spontanément le plus abordé par les parties prenantes de tout bord. Voitures, camions, trains, avions : cachez cette pollution que l’onne veut plus voir. Tous les moyens sont bons pour y parvenir : des ZFE (zones à faibles émissions) à la combustion hydrogène, enpassant par les véhicules électriques ou les biocarburants. La mobilité est un levier de transition écologique évident puisqu’elle représente à elle seule 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays, soit le premier poste devant l’industrie et l’agriculture.
Une mobilité crédible à l’horizon 2050, c’est donc une mobilité qui a su trouver les moyens de réduire sa facture environnementale. Maisle sujet est aussi technologique que culturel ou territorial. Décarboner d’un coup de baguette électrique ne résoudrait pas nécessairement l’épineuse question de notre résilience face au changement climatique. La discussion, pour être complète, doit s’accompagner d’une remise en question de nos usages et de nos déplacements. L’idée n’est pas d’échanger un dogme pour un autre, de passer de l’hypermobilité à une sobriété totale.
Au lieu de chercher à se déplacer moins, il nous faut penser à nous déplacer mieux, responsabiliser et donner le choix plutôt que restreindre. Quels trajets sont vraiment utiles ? À quelle fréquence ? Sur quelle distance ? À quelle vitesse ? Si, comme l’avance l’Ademe, la moitié des déplacements en voiture sont de moins de 5 km, c’est qu’il faut peut-être s’atteler d’abord à la mobilité du quotidien. Donner les clés d’une mobilité fluide, d’outils intermodaux qui facilitent la vie. Une transition positive et désirable qui a davantage de chances d’aboutir.
Enjeu #2 : Préserver la liberté d’aller et venir
« L’expérience grandeur nature du confinement a réaffirmé le caractère quasi sacro-saint de la liberté de mouvement pour les Français. La liberté d’aller et venir voit son statut de droit inaliénable confirmé », indique Isabelle Lambert, directrice de la prospective chez Leonard. Les Français parcourent chaque année plus de 866 milliards de kilomètres : pour le travail, les loisirs, les vacances, seuls, en famille, à proximité de leur domicile ou à l’autre bout du pays, en voiture, en train, en avion ou en bus.
Condition d’exercice des autres libertés, la mobilité ne doit pas créer de nouvelles inégalités ou creuser celles qui existent. Au contraire, elle devrait contribuer à atténuer les fractures déjà observées. Il faut donc imaginer une mobilité à la portée de tous. Elle peut être à plusieurs vitesses, multimodale, mais elle doit maintenir et encourager un même accès aux opportunités, qu’elles soient professionnelles (trouver et garder un travail), personnelles (faire ses courses, aller chez le médecin, amener ses enfants à l’école) ou sociales (rendre visite à sa famille et à ses amis, rencontrer de nouvelles personnes), quels que soient la classe sociale ou le code postal.
Enjeu #3 : Soutenir le développement économique
La mobilité est un facteur de création de valeur. Elle conditionne, entre autres, l’attractivité des territoires et celle des entreprises, la circulation et la rétention des talents, le dimensionnement et la répartition des services publics (et de leurs fonctionnaires), le bon fonctionnement des pôles industriels, académiques ou scientifiques, voire la survie de secteurs entiers comme celui du tourisme.
Parce qu’elle est le support de tous ces échanges, il faut donc envisager la mobilité dans toute sa complexité, sectorielle comme territoriale, et s’éloigner le plus possible des dogmes politiques, économiques ou culturels. Parce que se déplacer, c’est mettre en mouvement, et que tout, dans l’économie, est mouvement, la mobilité doit nécessairement croiser les enjeux économiques des personnes et des territoires. On ne peut pas parler de sobriété ou de déploiement technologique sans en considérer les impacts sur les échanges des biens et des personnes.
"Si les scénarios divergent, c'est parce que la mobilité est une équation à facteurs multiples"
Enjeu #4 : Contribuer à l’inclusion sociale et territoriale
13 %, c’est la part des revenus des ménages consacrée au transport, ce qui représente près de 162 milliards d’euros par an. Un poste important dans le budget des Français, mais qui ne pèse pas de la même manière pour tous. Pour être crédible, la mobilité doit permettre plus qu’elle ne limite. Imaginer une mobilité « juste », c’est penser un ensemble de flux qui réparent les fractures et contribuent à gommer les inégalités. Accès à l’emploi, aux loisirs, aux services : la mobilité doit être pensée commeun égaliseur de chances. Il faut donc qu’elle soit plurielle et territorialisée.
Mais chaque territoire a une situation géographique, économique et démographique qui lui est propre. Si l’échelon national doit donner l’impulsion, c’est au local que revient la concrétisation, au plus près des réalités territoriales. La question de l’inclusion rencontre ainsi celles de la gouvernance et du financement de la mobilité. Quelle est l’échelle la plus pertinente? La région ? La métropole? L’intercommunalité ? Que fait-on aux frontières de ces zones pour que la mobilité reste fluide ? Si l’intermodalité s’arrête à la limite d’un territoire, est-elle vraiment efficace ?
Les collectivités territoriales sont-elles correctement équipées en matière de compétences et de moyens pour opérer ces transitions ? Ne risque-t-on pas de créer des France à plusieurs vitesses en fonction de la volonté politique et des capacités économiques de chaque territoire ? Et qui doit supporter le coût de cette transition ? Des clients (logique d’opérateurs privés) ? Des usagers (transport public) ? Des contribuables (en faisant descollectivités territoriales des opérateurs de mobilité) ? Autant d’enjeux que les débats sur les mobilités doivent pouvoir mettre sur la table, dansune discussion impliquant de nombreux acteurs, publics, privés ou citoyens.
« La mobilité doit servir à tous et partout. Il ne peut donc pas y avoir de réponse unique parce que les situations sont multiples. Il faut ouvrir la conversation pour tenter de couvrir tous les enjeux et tous les profils, engager tous les acteurs, des décideurs aux usagers.C’est un projet de société qui sous-tend tous les autres », conclut Isabelle Lambert.
A propos de la démarche prospective Mobilités 2050
« Nous avons voulu multiplier et croiser les points de vue. Acteurs du territoire, leaders des transports et de la logistique, chercheurs et penseurs de la mobilité : notre démarche met autour de la table plusieurs visions de la mobilité pour les confronter et trouver un commun crédible. » note Isabelle Lambert, directrice de la prospective de Leonard. De la rencontre de ces points de vue naissent des scénarios qui dessinent une mobilité plurielle. « Ce qui nous a intéressés, c’est de positionner ces possibles sur une matrice selon deux facteurs qui nous semblent structurants pour penser l’avenir de la mobilité. D’un côté, l’allongement ou le raccourcissement des déplacements du quotidien, qui touchent auxquestions de l’étalement des villes, de la restructuration des services publics, de la relocalisation industrielle ou de l’hybridation du travail. De l’autre, la mise en œuvre (ou non) d’une réelle intermodalité ; une question à la fois technique, territoriale, financière et économique, qui conditionne ce qu’il est possible d’envisager », avance Isabelle Lambert.