Comment le véhicule autonome servira la décarbonation des mobilités ?

L’objectif de décarbonation de la mobilité à horizon 2050 inscrit dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) nous oblige à analyser le potentiel de contribution de toutes les évolutions du secteur de la mobilité, aux objectifs de réduction des émissions de CO2. De nombreuses études passées, ont montré la complexité du sujet et soulignent le besoin d’une analyse objective pour aller au-delà de toute position dogmatique.

Profitons d’un article paru dans Le Monde le 9 mars 2021 qui relate les résultats d’une étude financée par le Forum Vies Mobiles, le think-tank de la SNCF, pour nous intéresser à l’empreinte environnementale de la mobilité autonome.

 

Les enjeux techniques

Il est important de comprendre les fonctionnalités et challenges techniques associés à chaque niveau d’autonomie et de distinguer plusieurs temporalités dans le déploiement de ces systèmes. Le rapport de la Fabrique Ecologique prédit une arrivée massive de la mobilité autonome après 2050, donc trop tardivement pour contribuer aux objectifs de décarbonation des mobilités de la SNBC. Cela traduit un amalgame entre les différents niveaux d’autonomie car, si les systèmes de mobilité autonome de niveau 5 ne se déploieront que sur le long terme, les services de mobilité autonome de niveau 3 et 4 seront commercialisés avant 2025.

Concernant la connectivité, il faut aussi noter que si la 5G doit permettre de nouvelles applications, elle n’est pas indispensable au déploiement de nombreux services d’autonomie de niveau 3 et 4, comme en attestent tous les services de robotaxis de niveau 4, actuellement déployés par Waymo dans la banlieue de Phoenix, les véhicules individuels de niveau 3 prévus par Honda et Mercedes en 2021, ainsi que les nombreuses expérimentations de navettes autonomes actuellement en cours, qui n’utilisent pas la 5G.

Concernant l’empreinte environnementale des équipements, il est nécessaire de prendre en compte toutes les composantes des systèmes de mobilité (véhicules et infrastructures) et de considérer les systèmes déployés sur l’infrastructure, comme partagés par tous les utilisateurs de la route. Cette mutualisation des équipements pourrait à terme permettre une rationalisation globale du nombre et de l’empreinte environnementale des équipements nécessaires à un service de mobilité autonome, par rapport à l’approche « tout embarquée », historiquement adoptée par la filière automobile.

Concernant les couts énergétiques de gestion des données générées par les véhicules autonomes, il est important de distinguer les données brutes traitées localement dans le véhicule, des données interprétées moins volumineuses dont une partie pourra être envoyée sur des serveurs centraux par les constructeurs ou les opérateurs de mobilité.

Il faut également apprécier que le besoin massif de données de roulage nécessaire pendant la phase de développement et de validation des systèmes (cf les dizaines de millions de kilomètres parcourus par Waymo sur routes ouvertes) est sans commune mesure avec le volume de données générées par chaque véhicule à terme et utiles pour leur fonctionnement individuel.

 

Les enjeux réglementaires

Contrairement à la prédiction de la Fabrique Ecologique, la réglementation UNECE Automated Lane Keeping Systems (ALKS) de Juin 2020 ne va pas limiter les futurs déploiements en imposant des adaptations du réseau routier ; elle va au contraire libérer la commercialisation de certains systèmes prêts dans les cartons des constructeurs depuis des années (les fonctions Traffic Jam Pilot sur autoroutes), et ceci sans modification des infrastructures. De nouvelles réglementations verront ensuite le jour pour encadrer la commercialisation de futures fonctions de niveau 3, puis de niveau 4.

 

Les environnements et scénarios de déploiement

Concernant la réduction des émissions en milieu urbain, les études de l’International Transport Forum (ITF) de l’OCDE ont montré depuis 2015, que l’ensemble des trajets assurés par des véhicules particuliers dans plusieurs grandes villes européennes pourrait être assuré par des robotaxis partagés, représentant seulement 10% du parc actuel de véhicules, lorsque complétés par une offre de transports collectifs de masse. Cette suppression de 90% des véhicules en circulation en ville, bien que théorique, confirme donc le fort potentiel de la mobilité autonome pour contribuer à la décarbonation de la mobilité urbaine.

Concernant les bénéfices des services de mobilité autonome en milieu rural, les deux premiers services de mobilité autonome en milieu rural déployés en France nous laissent entrevoir ce que les usages de la technologie dans les zones peu denses apporteront à des populations éloignées de la mobilité : le projet Tornado mené par Renault dans les environs de Rambouillet depuis 2017, et le service de navette autonome dans le Val de Drôme mené par Bertolami avec Navya et Eurovia depuis Septembre 2020.

Concernant les scénarios de déploiement, le rapport de la Fabrique Ecologique oppose trois scénarios : le véhicule autonome individuel porté par les constructeurs automobiles, les robotaxis portés par les acteurs du numérique, et les services de transport publics autonomes, portés par les opérateurs de mobilités. Cette vision simpliste des futurs usages de la mobilité tend à ignorer que l’offre de mobilité est déjà multiple. Les véhicules individuels, les plateformes de VTC ou de covoiturage à la demande, les transports collectifs, ont déjà tous leur place aujourd’hui dans l’offre de mobilité. Dans un contexte d’augmentation continue de la demande de mobilité, il semble difficile d’imaginer que des versions automatisées de ces différents modes, porteurs à eux seuls de nombreuses promesses de décarbonation des mobilités, n’auraient pas leur place dans le panorama des offres de mobilité de demain.

 

Perspectives

Une analyse rigoureuse des aspects techniques, réglementaires et serviciels est nécessaire pour apprécier les bénéfices des différentes formes de mobilité autonome. L’impact net sur la réduction des émissions de CO2 pourra être positif si l’augmentation de l’empreinte des systèmes embarqués est compensée par les gains opérationnels et les usages vertueux permis par la mobilité autonome.

Il faut donc concevoir la mobilité autonome hors de toute démagogie anti-technologique, comme un outil au service de l’amélioration de nos modes de mobilité actuels, pour les rendre plus propres, plus sûrs, plus efficaces et économiquement viables. L’objectif de décarbonation de la mobilité à horizon 2050 ne pourra être atteint qu’en combinant des nouveaux services de mobilités (covoiturage, autopartage, services de bus sur autoroutes…) avec des leviers technologiques forts (motorisations décarbonées, carburants alternatifs, connectivité, automatisation…).

Pierre Delaigue, Directeur des projets de mobilité autonome, connectée et électrique, Leonard

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