Du 14 au 16 novembre 2022, le think tank de prospective urbaine La Fabrique de la Cité et Leonard, la plateforme de prospective et d’innovation du groupe VINCI, ont organisé une learning expedition à Helsinki pour s’inspirer des pratiques en vigueur dans la capitale finlandaise. À ce titre, la construction souterraine a fait l’objet d’une table ronde qui réunissait l’architecte et urbaniste François Decoster de l’Agence l’AUC, Jeremy Hammond, co-dirigeant d’HyperTunnel, une start-up qui développe des méthodes innovantes de creusement de tunnels et Jarmo Roinisto, directeur du développement de Rockplan, un bureau d’études en infrastructures souterraines.
Helsinki, une ville pionnière dans la gestion de l’espace souterrain
Helsinki a été pionnière dans la valorisation des espaces souterrains. Alors que dans la plupart des grandes villes, les sous-sols restent essentiellement cantonnés à un usage technique – égouts, traitement des déchets, services de transport, production d’électricité – la capitale finlandaise a pris la décision, il y a plusieurs dizaines d’années, d’accueillir un grand nombre d’infrastructures sous sa surface.
À date, ce sont 10 millions de mètres carrés de sous-sols qui ont été aménagés, ce qui représente 10% de la superficie de Paris. Initié pendant la seconde guerre mondiale, poursuivi lors guerre froide, puis développé à partir des années 80, ce vaste réseau souterrain comporte 400 sites différents : une église, un musée d’art, une piscine olympique, des pistes de karting, des salles de sport, des centres commerciaux, des parkings, de même que plusieurs centaines de kilomètres de tunnels dédiés à la circulation des piétons. Une ville sous la ville. Un véritable mille-feuille urbain taillé dans la roche.
En quoi consiste la stratégie d’exploitation des sous-sols d’Helsinki ? Est-ce un modèle facilement reproductible ? Quels en sont les avantages ?
Planifier une seconde ville
Pour parvenir à dédoubler la ville en profondeur, Helsinki a fait du sous-sol un élément à part entière de sa stratégie de développement. Depuis 2010, la partie souterraine est dotée d’un schéma directeur d’aménagement dont toute modification est soutenue par une volonté politique forte.
« Pour chaque nouveau chantier, nous discutons d’abord avec toutes les parties prenantes. Puis, quand le conseil municipal prend une décision, cela devient un contrat juridique. C’est comme une loi », précise Jarmo Roinisto.
Ce schéma directeur d’aménagement organise les constructions en cours et à venir. Il est mis à jour à chaque utilisation du sous-sol, ce qui donne une vision précise des espaces qui restent libres sous terre. Ce fonctionnement permet par ailleurs d’orchestrer les usages et de gérer le sous-sol comme un stock.
À Helsinki, cette nouvelle approche de l’aménagement souterrain a permis de fluidifier la circulation en surface, de libérer de l’espace pour accueillir de nouveaux services et de rendre la vie citadine plus agréable. En outre, elle a eu pour effet de modifier la réglementation cadastrale et foncière. Une propriété est désormais définie à la fois par son emplacement au sol et par son potentiel souterrain. C’est un véritable changement de paradigme.
D’autres exemples existent en France et révèle tout l’intérêt du développement souterrain. Encore très limité aux espaces techniques et coulisses urbaines (transport, énergie, déchets), le souterrain a pourtant d’autres atouts. A Lyon, la transformation en cours de la gare Part-Dieu est significative de cette nouvelle façon de penser la ville. Sous la place historique, nœud d’échange particulièrement encombré entre usagers des transports en commun et automobilistes, l’agence d’architecture l’AUC, co-fondée par François Decoster, a installé sous terre une deuxième place qui accueille des fonctions logistiques et de nombreux emplacements de parkings.
« Le fait de travailler en sous-sol a permis d’élargir la place donnée aux piétons, aux vélos et aux transports en commun en surface. L’espace devant la gare va être dégagé de la circulation automobile », commente François Decoster.
Selon la municipalité, ce projet a pour autres avantages de « dédensifier la programmation immobilière et de produire des espaces publics apaisés, fortement végétalisés, ouverts à tous ».
Bien que construire sous la surface reste coûteux et compliqué d’un point de vue technique, ce type d’aménagement est aujourd’hui facilité par les nouvelles méthodes de creusement des tunnels qui font appel aux nouvelles technologies pour gagner en efficacité, en précision et en rapidité. hyperTunnel, start-up incubée par le programme CATALYST de Leonard qui combine intelligence artificielle, impression 3D et robotique en essaim est emblématique de cette tendance.
À l’heure de l’extrême densification des centres urbains, ces projets sont représentatifs des mutations actuelles de l’urbanisme qui visent à faire émerger un nouveau modèle de fabrication des métropoles, plus humain, plus durable et plus résilient pour affronter les crises systémiques et faire face au réchauffement climatique.