Trois experts ont pris part à cette table ronde modérée par Conor Fürstenberg Stott, associé et principal advisor chez Fürstenberg Maritime Advisory : Ruben Eiras, secrétaire général de Fórum Oceano, cluster portugais des entreprises de l’économie bleue ; Thierry Ducellier, directeur des ventes chez Sinay ; Louis-Noël Viviès, directeur général d’Energy Observer.
Les ports aux avant-postes de l’économie bleue durable
Les ports sont des interfaces complexes qui impliquent une grande variété d’acteurs, des municipalités aux entreprises de transport maritime de marchandises en passant par les parcs éoliens offshore… à tel point qu’il semble presque impossible de dresser la liste exhaustive des acteurs impliqués dans le fonctionnement d’une zone portuaire, note Thierry Ducellier, directeur des ventes chez Sinay, start-up française spécialiste des données maritimes. Ce dernier donne comme exemple le développement exponentiel du e-commerce en ville, qui a des conséquences directes sur le fonctionnement et l’impact environnemental des ports, notamment en termes de logistique.
Pour Ruben Eiras, secrétaire général de Fórum Oceano, un important groupement portugais d’entreprises de l’économie bleue, la responsabilité des ports va bien au-delà de la réduction de leur propre empreinte carbone : ils doivent désormais s’efforcer de devenir des plaques tournantes d’une économie plus durable en se concentrant chacun sur leurs avantages compétitifs. Grands ports industriels et petits ports de pêche ne sont pas en concurrence directe et peuvent améliorer leur attractivité en capitalisant sur leurs spécificités géographiques et historiques. Certains ports industriels peuvent ainsi s’avérer particulièrement adaptés au soutien de l’industrie éolienne offshore, explique R. Eiras, tandis que les ports de pêche, grâce à l’absence d’activités industrielles à proximité et à la propreté de leurs eaux, sont propices au développement d’installations d’aquaculture terrestre.
Les spécificités géographiques, économiques et historiques des ports sont au cœur du réseau Atlantic Smart Ports Blue Acceleration Network (ASPBEN), financé par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche et composé de 15 entités issues du Portugal, d’Espagne, de France, des Pays-Bas, de Norvège et des États-Unis. Son objectif : construire une plateforme d’accélération de l’économie bleue reposant sur un réseau de ports de taille moyenne. ASPBEN a identifié dix défis fondés sur les besoins exprimés par 33 ports situés le long de l’Atlantique, allant de l’augmentation de l’efficacité opérationnelle à la promotion des énergies marines et l’utilisation des infrastructures portuaires pour favoriser la biodiversité. Au total, plus de 140 projets pilotes seront mis en œuvre par 70 start-ups, promouvant l’idée des spécificités culturelles des ports et de la nécessité d’instaurer la confiance et la collaboration entre infrastructures pour encourager l’innovation.
Les ports face aux défis de l’énergie propre et de la digitalisation
Pour Louis-Noël Viviès, la décarbonation du transport maritime passe par le développement d’un hydrogène vert et abordable, transition dans laquelle les grands ports ont un rôle crucial à jouer. L.-N. Viviès cite l’exemple de Singapour, port de premier plan abritant l’une des plus grandes raffineries de pétrole au monde. Au carrefour de nombreuses routes maritimes, la cité-État pourrait aisément jouer un rôle précurseur dans le développement de l’hydrogène vert en produisant de l’hydrogène comme source directe d’énergie propre plutôt que de s’en servir pour produire des carburants fossiles, estime Louis-Noël Viviès. Les grands ports, qui sont souvent avant tout des sites industriels majeurs, sont ainsi particulièrement bien placés pour investir dans les sources d’énergie propres.
La transition vers une économie bleue passe également par la digitalisation, moyen prometteur pour les ports d’accroître leur efficacité opérationnelle tout en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre. « Paradoxalement, les ports ont tendance à être très conservateurs, alors que leur succès dépend de leur ouverture et de leur connexion. Sans accès à certaines routes, un port est voué au déclin. Les ports doivent attirer, et pour ce faire, ils doivent être interopérables et connectés », explique Ruben Eiras. Pourtant, un fossé subsiste entre la théorie et la pratique en matière de digitalisation. « Les ports sont confrontés à de nombreux obstacles : la complexité administrative et la politique sont telles que tester de nouvelles solutions prend souvent un temps considérable ; le temps qu’elles soient mises en œuvre, elles sont obsolètes », explique Thierry Ducellier.
Et les solutions numériques ne suffisent pas : bien que très efficaces, les systèmes communautaires intégrés, par exemple, nécessitent un personnel formé et une interopérabilité. Ces défis signifient que si de nombreux ports ont les moyens financiers d’investir dans la digitalisation, beaucoup ne parviennent pas à la mener à bien. Une autre partie de la solution réside dans un meilleur partage de l’information : la technologie peut aider à prédire les heures d’arrivée prévues des navires, par exemple, mais « même si les données sont là, si elles ne sont pas partagées correctement, cela ne fonctionnera pas », souligne Thierry Ducellier.
En relevant ces défis, les ports peuvent passer du statut de catalyseurs historiques du commerce et du développement, selon Ruben Eiras, à celui de lieux d’expérimentation des solutions qui transformeront l’énergie, le transport maritime, l’aquaculture durable et la surveillance des océans. Les prochaines décennies nous diront s’ils sont capables de relever ce défi pour devenir les pionniers d’une nouvelle économie bleue.
Pitchs de start-up : ECOsubsea, Nature Metrics, Sinay
ECOsubsea (Norvège) offre une solution innovante au défi de l’encrassement biologique qui se traduit par l’accumulation d’espèces animales et végétales sur les coques de navires et infrastructures maritimes et qui peut devenir nuisible à leur bon fonctionnement. Depuis l’interdiction, en 2008, d’ingrédients toxiques précédemment utilisés pour prévenir cette accumulation, le bio-encrassement se généralise, conduisant non seulement à la propagation d’espèces très loin de leurs régions natives (ce qui fait naître des risques sanitaires pour les écosystèmes marins locaux) et réduisant l’efficacité énergétique des navires. Face à ce défi, ECOsubsea a conçu un robot aspirateur qui nettoie les coques des navires sans endommager leur revêtement et utilise la matière biologique récupérée pour produire biogaz et électricité verte. Grâce à cette solution innovante, ECOsubsea a récemment retiré 2 tonnes de bio-encrassement de la coque du porte-avions Charles de Gaulle et 78 500 tonnes d’une plate-forme pétrolière en Norvège. « Nous sommes convaincus que les ports peuvent jouer un rôle essentiel dans la décarbonation du transport maritime et l’arrêt de l’effondrement de la biodiversité », déclare Tor Østervold, PDG et fondateur d’ECOsubsea.
Si les entreprises, ports et organisations prennent aujourd’hui conscience de la nécessité de surveiller et d’atténuer leur impact sur la biodiversité marine, celle-ci demeure, contrairement au carbone, difficilement mesurable. C’est pourquoi Nature Metrics (Royaume-Uni) a mis au point une solution de surveillance de la biodiversité marine fondée sur l’ADN environnemental. « L’ADN environnemental est l’empreinte biologique qu’un organisme laisse dans l’eau pendant quelques heures à quelques jours après avoir quitté la zone. Nous utilisons un échantillon d’eau pour générer une liste de toutes les espèces présentes dans cette zone pendant ce laps de temps », explique Samuel Stanton, responsable du développement commercial de Nature Metrics. Les données font ensuite l’objet d’une visualisation graphique qui donne à voir la diversité des espèces présentes dans une zone donnée. L’E-DNA permet de comparer la biodiversité de différents sites et constitue un excellent outil d’évaluation de l’efficacité des initiatives de restauration de la biodiversité. Alors qu’un échantillon conventionnel n’avait pas pu mettre en évidence la différence entre la biodiversité présente sur le site d’une raffinerie de pétrole britannique et sur une réserve naturelle voisine, l’E-DNA a pu donner à voir des différences extrêmes dans la biodiversité locale, créant ainsi des données facilement compréhensibles et permettant une prise de décision éclairée.
Sinay (France) propose une plateforme d’agrégation de données maritimes pour aider le secteur maritime à mieux estimer l’impact de ses activités sur l’environnement. L’entreprise offre aux exploitants de parcs éoliens et d’extensions portuaires les informations précises nécessaires pour les aider à limiter leur impact environnemental. La plateforme big data de Sinay agrège une grande variété de données pour aider les ports à surveiller en temps réel des paramètres environnementaux tels que la qualité de l’air ou de l’eau et à prendre les mesures appropriées lorsqu’un problème survient. Une approche nécessaire à l’heure où durabilité devient synonyme de compétitivité. « Sans même parler d’hydrogène ou d’électrification, une simple diminution de deux nœuds de la vitesse d’un porte-conteneurs peut réduire ses émissions de GES de plusieurs milliers de tonnes », affirme Thierry Ducellier, directeur des ventes chez Sinay.
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Cet événement conclut un cycle organisé par Leonard en partenariat avec Sustainable Ocean Alliance, qui s’est penché tour à tour sur les perspectives de développement des énergies marines renouvelables, le développement des ports et infrastructures et la résilience des écosystèmes marins et côtiers. Rendez-vous très prochainement pour la publication de notre étude sur l’économie bleue durable !