Construire la ville à hauteur d’enfant

Alors que les enfants semblent avoir déserté l’espace public, un mouvement s’opère dans plusieurs villes de par le monde afin de recréer un environnement plus favorable aux jeunes citadins. Un tour d’horizon de ces différentes initiatives interroge : la ville à hauteur d’enfant n’est-elle pas finalement une ville qui se (re)place à l’échelle humaine, celle du citadin, petit ou grand ?

Petits citadins, grands enjeux

On estime que d’ici 2050, près de 70 % des enfants du monde vivront dans des zones urbaines. Pourtant, ces derniers semblent avoir complètement disparu de l’espace public. Renvoyés dans des espaces cloisonnés et sécurisés, cet « enfermement » est à mettre en parallèle avec les dernières statistiques de santé publique : en 40 ans, les 9-16 ans ont perdu 25% de leurs capacités physiques et au Royaume-Uni, seuls 27% des enfants jouent régulièrement hors de leur domicile contre 71% pour la génération de leurs grands-parents. Il est donc urgent de permettre aux enfants de reconquérir l’espace extérieur en adaptant les territoires urbains. Cette reconquête passe inévitablement par des espaces publics plus apaisés et accueillants, une mutation disposée à rendre la ville vivable pour tous.

 

Une ville où le jeu a droit de cité

Le jeu est un droit fondamental de l’enfant, c’est l’objet de l’article 31 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Mais la ville est-elle un terrain propice ? 

L’espace public pour les enfants semble être cantonné à un usage de déplacement d’un point sécurisé à un autre (square, école, activité de loisir, logement). Leur territoire urbain se limite à des aires de jeux standardisées dont l’usage est limité par des horaires et des règlements. Quelle place pour le jeu libre, pour la créativité, pour l’imaginaire ?  De plus en plus de territoires s’emparent du sujet dans le mouvement des villes récréatives.

Souvent considérée comme à l’avant-garde de l’urbanisme, la ville de Copenhague propose par exemple des « staffed playgrounds ». Ces aires de jeu gratuites offrent aussi un espace en intérieur où les enfants peuvent jouer par mauvais temps et où les parents peuvent prendre un café (bien que les enfants puissent aussi venir non accompagnés). Le lieu est géré par une association et une ou deux personnes sont en permanence présentes sur place pour s’assurer que chacun passe un bon moment. 

Autre initiative, que l’on retrouve cette fois dans plusieurs pays du monde, la Rue Aux Enfants est un événement temporaire qui consiste à couper la circulation automobile d’une rue le temps d’une journée. L’espace ainsi libéré et sécurisé est ouvert aux enfants qui peuvent y jouer librement et se réapproprier l’espace public. Des activités et animations sont souvent organisées : jeux, sport, sensibilisation au partage de la rue … En France, on estime que plus de de 220 « Rues aux enfants » ont été organisées entre 2016 à 2022. Certaines collectivités essaient d’aller encore plus loin dans la démarche. C’est le cas à Lyon où la ville s’engage dans une démarche globale en faveur de la ville à hauteur d’enfants. Premier point : l’adaptation des écoles au changement climatique avec végétalisation des cours et rénovation thermique des bâtiments. Autre volet de la démarche : un plan vertueux sur l’alimentation (objectifs affichés : valorisation des bio-déchets, menus de cantine 100% bio et 50% locaux).

 

Le plaisir retrouvé d’une mobilité active

L’abandon de la rue par les enfants a démarré au milieu du 20e siècle et coïncide avec l’essor de l’automobile et son urbanisme dédié. Si dans les années 1920 un enfant de 8 ans pouvait parcourir jusqu’au à 10km seul, un siècle plus tard, le rayon d’autonomie d’un enfant du même âge est souvent limité au coin de sa rue. La fameuse carte de Sheffield par William Bird en est un exemple frappant. 

Ainsi, si la Finlande fait figure d’exception avec une majorité d’écoliers qui vont à l’école en vélo, ailleurs dans le monde occidental nombreux sont les enfants à aller à l’école en voiture. La faute notamment à un espace public peu sécurisé et à un manque de connectivité entre les différents modes de transports en commun.

À Barcelone, pour faire changer les choses, les habitants ont lancé une initiative qui rencontre beaucoup de succès. Chaque vendredi, les rues de la ville s’animent avec le « bicibus » : c’est le nom donné à ce projet qui permet aux petits barcelonais d’aller tous ensemble à l’école à vélo. L’ambiance est festive et le trajet s’effectue en toute sécurité : la police accompagne le cortège et coupe la circulation automobile. D’autres villes comme San Francisco, Glasgow et Buenos Aires s’en sont inspirées et viennent de lancer leur propre bicibus. Dans certains quartiers, la capitale catalane habille également ses espaces de fresques et œuvres artistiques pour inviter les enfants à y rester et y jouer.

La réappropriation de l’espace urbain aux Pays-Bas passe aussi par le concept de « woonerf » : des rues conçues pour que les voitures ne puissent pas rouler plus vite que les gens ne peuvent marcher. Chacun, enfants compris, peut donc y évoluer et y jouer en toute sécurité. 

Les enfants, parties prenantes de la fabrique de la ville

Pour faire émerger une véritable ville à hauteur d’enfants, de plus en plus de territoires veillent à intégrer les plus jeunes citadins dans leurs réflexions urbaines. C’est le cas du canton de Bâle qui a lancé une démarche innovante et originale pour inciter les acteurs de l’aménagement à prendre en compte les enfants dans la conception de l’espace public : le guide « les yeux à 1,20m ».  Le document se présente sous le format d’une toise perforée à 1,20m permettant d’adopter la position et la vision d’un enfant. Pour chacune des phases d’un projet d’aménagement, le guide détaille des principes méthodologiques et met notamment en avant la nécessité de présence et de contact direct avec la nature.

En France, Lille a mis au point un dispositif ultra complet pour renforcer le pouvoir d’agir des enfants dans la ville. Entre une prise en compte accrue de la parole des jeunes, un budget participatif dès 9 ans ou encore la participation des enfants à la gestion des lieux qu’ils fréquentent, les actions sont nombreuses et placent la métropole nordiste parmi les nouveaux démonstrateurs de la ville à hauteur d’enfants. 

Plus de place pour la mobilité active, pour la nature et pour l’initiative citoyenne… Si la transformation de la ville à travers les enfants devient un axe de développement urbain majeur, c’est qu’elle participe aussi sans nul doute à l’acceptation et à l’éducation au changement des adultes. La ville à hauteur d’enfant, un premier pas vers la ville de la transition écologique ?

Kezako : Le Junk Playground

Également connus sous le terme d’« Adventure Playground », ce sont des espaces de jeu libres, permissifs, complètement opposés à l’idée de surprotection des squares pour enfants classiques. Ici, pas de toboggan, pas de balançoire, mais la liberté de laisser libre cours à son imagination, de bricoler, de créer, d’inventer avec ce qu’on trouve sur place et en libre-service : des palettes, des vieux pneus, du bois, du carton, des outils (des vrais !)… Né à Copenhague dans les années 40, le concept s’est surtout développé dans les pays anglo-saxons, notamment à New-York. Les enfants y sont confrontés à un risque maîtrisé et formateur qui leur apprend l’autonomie et la responsabilité. 

 

The Yard – un junk playground new-yorkais. Crédit photo : Ginny Jennings

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