Continuité écologique : des trames encore à tisser

Sur le modèle des trames verte et bleue, de nouveaux corridors écologiques émergent. Avec la volonté partagée non plus de confiner la biodiversité à quelques sanctuaires, mais de la faire prospérer au sein d'un réseau capable d'atteindre jusqu'au cœur du tissu urbain.

Artificialisation des sols, urbanisation galopante, intensification des productions agricoles et forestières… : confrontées au rétrécissement des espaces naturels, la faune et de la flore sont aussi victimes de leur morcellement. « Les batraciens habitent, se nourrissent ou se reproduisent à des endroits différents. Sitôt que vous fragmentez leur territoire, vous entravez leurs déplacements, vous restreignez le brassage génétique, provoquant un effondrement des niveaux de population », explicite Pierre Grasset, responsable technique chez Equo Vivo, marque de VINCI Construction dédiée à la réalisation de projets d’aménagements écologiques. Sans lien entre ces différents espaces, sans ponts entre ces îlots, point de salut pour la biodiversité donc. 

Pour cette raison, la nécessité de bâtir des continuités écologiques a donc émergé. Soit un maillage constitué à la fois de ces réservoirs de biodiversité et de corridors favorisant les déplacements entre les différents espaces naturels nécessaires au cycle de la vie – alimentation, habitat, reproduction… – des espèces animales et végétales. Conséquence : ces continuités se déclinent en différentes trames, chacune s’adaptant au contexte local et portant des ambitions différentes. Les trames verte et bleue (TVB) protègent et restaurent un réseau terrestre et aquatique, la trame brune préserve les sols et la noire lutte contre la pollution lumineuse. 

Des corridors pour réparer mais aussi stimuler la biodiversité

Et si ces deux dernières sont encore balbutiantes, la TVB, qui a vu le jour dans les années 1980, s’est imposée comme un outil majeur de l’aménagement du territoire lors du premier Grenelle de l’Environnement (2007), identifiée dans l’ensemble des documents d’urbanisme, quelles que soient leurs échelles. « Il y a 30 ans, l’environnement et la biodiversité étaient peu pris en compte dans la construction ; aujourd’hui, ils sont une priorité, témoigne Pierre Grasset. Pas un chantier ne débute désormais sans étudier son impact écologique, ni sans proposer des mesures d’évitement, de réduction et de compensation (ERC) ou de franchissement, sinon de restauration ou d’amplification des continuités écologiques. » Un exemple parmi d’autres : 130 passages à faune ont été érigés le long des 24 kilomètres d’autoroute qui contournent Strasbourg – un tous les 200 mètres. Et le chantier ne s’est pas contenté de sauver ce qui pouvait l’être, de préserver l’existant et d’alléger la facture environnementale ; il s’est aussi efforcé d’améliorer la biodiversité en travaillant sur la trame bleue. Jusqu’alors canalisés, des cours d’eau ont été déterrés, leurs méandres redessinés, des zones d’extension disposées afin d’écréter le niveau des eaux de pluies pour lutter contre les crues. 

A Medellin (Colombie) aussi, la renaturation a emprunté la route. Trente voies urbaines y ont été transformées depuis 2016 en « corridors verts », arborées, fleuries, connectées aux espaces verts, parcs et jardins privés. Le projet au long cours collectionne les récompenses telles que le C40 Cities Bloomberg Philanthropies Award. Car en se prolongeant jusque dans le cœur des villes, les continuités écologiques ne profitent pas seulement à la biodiversité, les citadins aussi en sont de grands bénéficiaires. Parmi les initiatives fondatrices et emblématiques de cette reconquête des villes par la nature, le Lake Front Park de Chicago n’a cessé de s’enrichir depuis la fin du XIXe siècle pour former désormais une coulée verte de 42 kilomètres de long et d’1,5 kilomètre d’épaisseur. Cette succession de parcs publics reliés les uns aux autres via des promenades plantées, ces pistes cyclables, des plages ou encore des ports de plaisance constitue une zone refuge salvatrice entre le trait de côte et l’urbanisation. Protégeant ainsi la faune et flore autant que l’homme contre le risque d’érosion et de submersion. Afin d’assurer une continuité parfaite, le projet Last Four Miles aspire à la réalisation de 200 hectares de parcs et de plages supplémentaires, via la création d’îles et de nouvelles plages artificielles, la reconstitution de dunes ou encore l’installation de passerelles piétonnes.

Les délaissés urbains, ressource prometteuse

Par ailleurs, à l’heure où la pollution de l’air et le dérèglement climatique mettent à l’épreuve la densité urbaine, trames vertes ou bleues rafraîchissent les villes, aspirent du CO2, absorbent les eaux pluviales pour éviter ruissellement et inondation, s’imposent comme un remède anti-stress. Autre exemple à Madrid, où la réouverture des vannes le long de la rivière Manzanares a fait naître un couloir écologique prisé par les habitants. Pour faire prospérer ce maillage écologique en milieu urbain et périurbain, la reconversion des friches – industrielles, commerciales, logistiques – apparaissent comme d’immenses opportunités pour y restaurer la biodiversité. Dans le département du Nord (France), une trame verte et bleue s’est ainsi greffée le long des anciens bassins miniers, zones humides, forêts renaissantes, paysages verdoyants et itinéraires de randonnées ou cyclables se substituant aux terrils et aux « cavaliers » – les anciennes voies ferrées. Autre gisement prometteur dans les métropoles : les parkings à ciel ouvert et les places de stationnement. A Paris, 135 000 d’entre elles doivent disparaître d’ici 2026, en grande partie débitumées, végétalisées, arborées ou remplacées par des noues, des fossés peu profonds et larges, végétalisés qui recueillent provisoirement de l’eau de ruissellement. Une manière de renforcer la résilience de la capitale française à l’heure de la hausse des températures et de la multiplication des canicules et des pluies violentes. « Il est aussi possible d’intégrer la nature dans les bâtiments (…) avec des façades ou des toitures végétalisées. L’essentiel, c’est que tous ces espaces de nature soient connectés les uns aux autres afin que les espèces puissent assurer leur cycle de vie », prolonge Vanessa Rauel, responsable d’études biodiversité et aménagement au Cerema interrogé dans Construction 21.

« Avec le développement du ‘zéro artificialisation nette’, les friches s’imposent comme une ressource prometteuse pour développer les continuités écologiques, d’autant plus que son réaménagement ne signifie pas la dégradation d’un environnement, mais sa restauration et son enrichissement », souligne Pierre Grasset. Avec la méthode Revilo portée par David Ribojad, VINCI Construction agit ainsi sur quatre leviers pour faire des friches urbaines des haut-lieux de la lutte contre les îlots de chaleur, comme le décrypte le responsable technique : « Les eaux pluviales y sont gérées à la parcelle, sources indispensables au développement de la végétation. Cette dernière est renforcée et diversifiée en différentes strates, y compris arborées pour renforcer l’évapotranspiration. Enfin, outre un revêtement clair pour favoriser l’effet albédo, un technosol est mis au point. » Autrement dit, un sol qui fait la part belle à l’économie circulaire, réemployant et amendant les terres déplacées par les chantiers. Longtemps mise de côté, la préservation des sols, axe de déplacement de la microfaune et support de tous les habitats des êtres vivants, est ainsi de plus en plus pris en compte, avec l’émergence d’une trame brune. Parmi les initiatives, le projet MUSE du Cerema brigue notamment à intégrer leur multifonctionnalité dans les documents d’urbanisme. « Le travail commence, mais des indicateurs de richesse d’un sol voient le jour et des modalités sont mises en place pour éviter de le compacter, de trop circuler dessus ou de le décaper en phase chantier », témoigne Pierre Grasset. 

Des trames qui se multiplient

En surface enfin, une nouvelle trame a aussi fait son apparition : la trame noire, qui entend lutter contre les effets délétères de la pollution lumineuse sur de nombreuses espèces animales, tantôt hypnotisées par les lumières artificielles, venant s’y brûler les ailes ou y mourir d’épuisement, tantôt la fuyant et restant confinés à un territoire restreint. De l’extinction des lumières en cœur de nuit à la réduction du nombre de points lumineux, en passant par une réduction de la puissance des ampoules ou leur orientation, des mesures variées sont en cours de déploiement. Mais cette floraison de trames – on peut y ajouter la blanche, continuité « silencieuse » – interroge : cet éparpillement n’implique-t-il pas une perte d’efficacité ? « Nous avons pris collectivement l’habitude de travailler en silo alors que pour mener des politiques d’aménagement durable, il faut faire converger toutes les trames écologiques et croiser les enjeux », prévient Vanessa Rauel. Rien d’insurmontable cependant, comme le souligne Pierre Grasset : « Chacune des trames porte des actions ciblées sur une problématique spécifique, mais rien n’interdit de les additionner et de les faire interagir ensemble. » 

Là encore, l’important est de tisser les liens. 

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