[conversation] Nicolas Beaurez, Responsable de la mission Résilience-Transitions-Climat au Cerema

La boîte à outils à disposition des aménageurs et constructeurs pour prendre en compte les effets du changement climatique ne cesse de s'étoffer. Sur le terrain, les collectivités sont de plus en plus conscientes que l'horizon des risques climatiques est proche. Il faut cependant accélérer, estime Nicolas Beaurez, Responsable de la mission Résilience-Transitions-Climat au Cerema.

Quelle est l’urgence de traduire le concept de résilience climatique dans les actes ?

 

Le prochain rapport du GIEC, dont certains éléments non finalisés ont été divulgués au mois de juin, montre une accélération des phénomènes liés au réchauffement, et parmi eux, ceux qui sont irréversibles semblent devoir se manifester dès à présent, pas dans 20 ans ou 30 ans. Mon expérience opérationnelle m’incite à penser que les opérations d’aménagement des territoires, qui s’inscrivent dans des durées de 10 à 20 ans, nous projettent sur des horizons de 2030 à 2040. On sait qu’à cet horizon-là, on sera « dans le dur » de la réalité du réchauffement. Donc, oui, assurément, il y a lieu de mettre en pratique sans attendre les recommandations et pratiques de la résilience climatique.

La résilience climatique est-elle déjà intégrée aux projets récents ou en cours, à ce qui sort de terre aujourd’hui ?

Je n’ai pas une vision générale, mais ce que j’observe, c’est que ce qui a été pensé il y a 4 ou 5 ans, en cours de réalisation aujourd’hui, me semble intégrer encore assez peu les enjeux de la résilience. C’est pourtant, désormais, à chaque projet, qu’il convient d’intégrer l’anticipation des effets du réchauffement climatique, en matière de chaleur, de phénomènes extrêmes, de stress hydrique… Cette réflexion doit être systématique, jusqu’à envisager de repenser un projet de fond en comble, ou y renoncer. En réalité, dans les territoires, on en est encore à la prise de conscience, ou à la définition d’une stratégie. Je crois que seuls 11% des PCAET [Plan Climat-Air-Energie Territorial] ont été approuvés à ce jour. Il reste beaucoup à faire.

Quelle est la bonne échelle d’action: la rue, la ville, l’intercommunalité, la région, le bassin versant… ?

Aussi évident que cela puisse sembler, il convient d’intervenir à toutes les échelles. Il faut que toutes les institutions concernées se saisissent du sujet, et disposent d’une stratégie climat. Les collectivités ont, à chaque échelle, des prérogatives différentes, des leviers financiers diversifiés – toutes ont un rôle à jouer. Les régions ont, à l’évidence, la capacité d’agir, et sont en charge d’infrastructures qui peuvent être perturbées par le réchauffement; je pense par exemple aux lycées – le confort d’études ne sera pas le même si les canicules se manifestent dès le mois de mai. L’échelle des bassins versants est également pertinente, pour appréhender le stress hydrique et les inondations – comme le sont les échelles géographiques propres aux massifs montagneux ou au littoral. Les départements, les intercommunalités et les villes sont pertinents pour la gestion les infrastructures du quotidien et les enjeux de lien social.

Comment faire travailler toutes les échelles ensemble ?

L’exemple des PCAET, appliqués à l’échelle des intercommunalités, est intéressant. Ils sont pensés sur des territoires cohérents, sur le plan de la résilience climatique. Les contrats de résilience et de transition écologique touchent régulièrement des échelles plus grandes. Les cadres de travail communs existent, y compris au niveau régional, au travers de centres de ressources, d’observatoires… Le Cerema lui-même a fait le choix d’avoir une focale claire sur le changement climatique. Nous avons une approche qu’on peut comparer à celle du médecin généraliste, à l’échelle des territoires: analyser les impacts du réchauffement, identifier les interdépendances. Et nous complétons cette approche de manière spécialisée, pour apporter des solutions au bâtiment, à la gestion des infrastructures, à la protection de la biodiversité, à l’évolution des mobilités… la question de l’adaptation s’affirme comme une nouvelle expertise dans ces domaines spécifiques.

Quels acteurs sont déterminants pour mettre en acte au plus vite la résilience climatique ?

Je crois que la maîtrise d’ouvrage porte une très grande responsabilité. Le sujet de la résilience est au bon niveau de prise en compte quand il est intégré aux grands marchés de l’aménagement et de la construction. Toute la commande, publique comme privée, est déterminante. Aujourd’hui encore, bien sûr, existent des freins économiques: les coûts de la prise en compte de la résilience climatique peuvent être importants, au moins à court et moyen terme. Si l’on réfléchit en coût global, cependant, je pense qu’on s’y retrouve : l’intégration des approches résilientes va protéger les projets des dégâts que peuvent occasionner événements extrêmes ou vagues de chaleur. Les grandes majors, qui souvent interviennent dans la maîtrise d’ouvrage, doivent se mobiliser. Je suis convaincu que c’est leur intérêt, et que les pionnières auront un avantage compétitif – en particulier sur le marché des concessions, dont les contrats vont probablement, au fil du temps, intégrer les risques climatiques.

 

> En savoir plus sur la mission Résilience-Transitions-Climat du Cerema 

Partager l'article sur