Ce n’est un secret pour personne : réussir la transition énergétique en France implique nécessairement de transformer radicalement notre mix énergétique pour sortir des énergies fossiles fortement émettrices de carbone. L’enjeu est de taille, puisque ces dernières représentent encore plus de 80 % du mix énergétique mondial, malgré les efforts déployés pour réduire leur part en investissant dans le renouvelable.
Car les méthodes permettant de décarboner notre mix énergétique en France sont bien connues : électrification, production d’électricité issue d’énergies renouvelables et bas-carbone, remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur, stockage de l’énergie propre grâce à des batteries électriques…
Ces technologies sont matures et de plus en plus bon marché. Le prix de l’énergie photovoltaïque a chuté de 89 % en dix ans. Sur la même période, les coûts respectifs de l’énergie produite par l’éolien sur terre et en mer ont respectivement décru de 68 et 59 %.
Leur impact positif sur la baisse des émissions est en outre indéniable. Rewiring America, un laboratoire d’idées pour électrifier l’économie américaine, estimait en 2020 que le remplacement des énergies fossiles par l’électricité permettrait de réduire les émissions du pays de 70 à 80 % d’ici à 2035.
Seulement, ces recettes testées et approuvées sont mal prises en compte par notre modèle économique. Pour les propriétaires et gestionnaires d’actifs, elles impliquent des investissements, et donc des dépenses importantes à court terme, qui génèrent des baisses de charges mais pas nécessairement de nouveaux revenus locatifs. L’incitation financière est faible, ce qui freine considérablement la progression des énergies décarbonées.
En outre, ces projets impliquent souvent une complexité opérationnelle supplémentaire, que toutes les entreprises ne sont pas en mesure de gérer. Par exemple, mettre en œuvre un projet de géothermie implique de coordonner de nombreux prestataires, ce qui peut vite tourner au casse-tête.
Enfin, la réussite de la décarbonation et de la transition énergétique en France passe par une gestion à long terme des technologies mises en œuvre, notamment pour maintenir un niveau optimal d’utilisation. Travailler avec un prestataire dont c’est le métier est à cet égard beaucoup plus simple pour les entreprises.
La décarbonation as a service : investir dans les résultats plutôt que dans les moyens.
Dans le cadre de la transition énergétique en France, la décarbonation as a service (DaaS) émerge comme un paradigme susceptible d’inciter davantage de professionnels à se convertir aux énergies propres. Derrière ce concept, se cache un modèle dans lequel l’entreprise cliente, plutôt que d’investir dans des infrastructures énergétiques, achète l’énergie décarbonée sous forme de service. Un modèle qui permet de limiter des investissements importants, mais aussi de bénéficier d’une meilleure prestation. Un exemple à travers la société UgoWork, qui propose des batteries au lithium pour le marché de la manutention (à destination des chariots élévateurs, des véhicules industriels, etc.).
« En plus des batteries, nous fournissons une couche d’intelligence, une suite logicielle qui accompagne leur utilisation. Avec notre modèle 100 % DaaS, la batterie demeure la propriété d’UgoWork et le client souscrit à une mensualité pour le logiciel, le service et l’utilisation de la batterie. Ensuite, on module le paiement en fonction de l’usage du client. Celui-ci n’achète donc pas une batterie, il loue un service d’énergie », résume Jean-François Marchand, directeur marketing et succès client chez UgoWork.
Ce modèle permet au client de bénéficier d’une certaine tranquillité d’esprit grâce à un service clef en main. « Il bénéficie de mises à jour sur la batterie, et quand celle-ci arrive à terme, elle est remplacée gratuitement dans le cadre de l’abonnement. » Mais aussi de réaliser des économies. « La batterie communique de manière bi-directionnelle avec un cloud en temps réel, on serait ainsi capables de lui envoyer des directives, par exemple pour lancer la période de recharge au moment où le réseau est le moins sollicité, ce qui permet au client de réaliser des économies grâce à la tarification dynamique. »
Il permet enfin de couvrir l’intégralité du cycle de vie de chaque batterie, jusqu’à son recyclage. « Grâce aux données qui transitent par notre cloud, on peut déterminer quand la batterie approche de sa fin de vie, anticiper celle-ci et préparer le recyclage des cellules lithium avec nos partenaires. 95 % des minerais critiques peuvent ainsi être revalorisés et remis dans une batterie neuve avec les mêmes performances. »
Des batteries aux panneaux solaires
Le modèle du DaaS implique ainsi le passage, pour le fournisseur d’énergie, d’un objectif de moyens à un objectif de résultat. Plutôt que de se contenter de vendre un produit, il s’engage sur la performance d’un service dont le produit n’est que l’une des composantes.
Ce paradigme peut s’appliquer à la plupart des secteurs de la transition énergétique en France. La société SunMind propose ainsi à ses clients de concevoir, financer, construire et maintenir des centrales photovoltaïques sur leurs fonciers non valorisés. Les clients peuvent ensuite choisir entre consommer cette électricité et bénéficier d’une énergie décarbonée à bas coût, ou réinjecter cette énergie dans le réseau et dégager des revenus.
Solarvia s’occupe, en collaboration avec les élus locaux, de trouver les sites les plus favorables à l’implantation de parcs photovoltaïques (notamment en fonction de leur potentiel solaire) et ensuite de développer le projet en concertation avec les parties prenantes. Poweroad installe de son côté un réseau d’eau dans la chaussée couplée à de la géothermie pour bénéficier de la chaleur de la route pour apporter une solution d’eau chaude aux collectivités et propriétaires de bâtiments, le tout sur un modèle EaaS avec option de financement. D’autres, comme Greendeed, prennent l’ingénierie financière des projets, notamment en récupérant pour le compte des clients les certificats d’énergie.
Enfin, « dans plusieurs pays en développement, en particulier en Afrique, le modèle de l’DaaS permet à des professionnels situés en milieu isolé de bénéficier d’une énergie décarbonée, tout en s’affranchissant des coûts nécessaires pour se raccorder à la grille, grâce à des plans tout-en-un combinant contrat énergétique, appareils et installation de panneaux solaires », détaille Adrian Gonzalez, Programme Officer for Innovation & End-use Sectors à l’Innovation and Technology Center de Bonn, en Allemagne.
Un modèle inspiré de l’expérience accumulée par les plateformes numériques
Ce paradigme puise dans l’expérience des plateformes numériques. Depuis une quinzaine d’années, avec l’essor du cloud, elles ont développé des modèles d’affaires fondés sur l’abonnement, proposant aux entreprises clientes de prendre intégralement en charge une partie de leurs besoins en informatique. Ces services sont généralement rassemblés sous la bannière du “XaaS” pour « Everything as a service. »
Le modèle du cloud, qui consiste, pour un professionnel, à louer de la puissance informatique via les serveurs d’une entreprise tierce (un fournisseur cloud comme Google Cloud, Microsoft Azure ou Amazon Web Services) plutôt que de construire ses propres centres de données, a constitué le coup d’envoi de ce phénomène qui explique à lui seul l’explosion du nombre de startup du digital qui ont pu accélérer leur accès au marché en se concentrant uniquement sur le service final sans avoir à développer eux-mêmes l’infrastructure nécessaire au service rendu. On retrouve de nombreuses similarités entre ces modèles et le DaaS. Flexibilité (possibilité de moduler plus facilement sa consommation énergétique) ; modèle clef en main permettant de sous-traiter la conception, la réalisation et l’exploitation-maintenance avec garanties de résultats contractualisés sur les objectifs de réduction des émissions de CO2 par kWh consommé.
Les nombreux atouts de ce modèle en font donc un atout précieux pour convaincre davantage de professionnels de passer aux énergies propres. Allégeant considérablement le fardeau que peut constituer cette transition, il leur permet de rester focalisés sur leur modèle d’affaires en sous-traitant l’aspect énergétique à un spécialiste, comme on peut sous-traiter ses infrastructures numériques à un acteur du cloud.