Dans une tribune publiée en avril 2020 par Le Monde, treize chercheurs du Muséum National d’Histoire Naturelle reviennent sur l’importance de la biodiversité urbaine. Ils y fustigent “l’urbanisme hygiéniste hérité du XIXe siècle [qui] prône la séparation stricte entre systèmes vivants et systèmes sociaux”. Epuration de l’air, de l’eau et des sols, régulation des espèces invasives, agriculture urbaine et vertus culturelles ou pédagogiques sont à mettre au bénéfice d’une ville qui sait intégrer les écosystèmes naturels complexes. Dans le même temps, l’expérience du confinement a accéléré la sensibilisation des populations urbaines. Une étude menée par l’IFOP et BNP Paribas au coeur de la crise sanitaire démontre que les espaces extérieurs et naturels sont plus que jamais au coeur des priorités dans l’appréciation d’un logement.
Une fois les constats posés, reste à éviter les écueils des déclarations d’intentions sans lendemain et du greenwashing. Une conviction partagée par ceux qui imaginent les solutions concrètes pour l’avènement d’une ville-nature, sur l’aspect technique comme sur l’aspect financier.
Les cycles de la ville
La prise de conscience est réelle. Comme nous l’explique Philippe Clergeau, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et consultant en écologie urbaine,“nous devons viser un paysage vivant et pas simplement un paysage esthétique. Il ne faut pas imaginer qu’un peu de mobilier vert et de végétalisation vont résoudre nos problèmes”. L’ambition aujourd’hui est de réussir un changement de paradigme, afin de passer du paysagisme à un véritable génie écologique. Pour Paola Mugnier, Consultante Biodiversité et Agriculture Urbaine chez Urbalia, il n’existe pas de solution miracle. “Il ne faut pas penser la nature en ville sous un spectre technocentré. L’innovation consiste à changer de regard sur la ville”, explique l’ écologue avant d’énumérer des solutions qui relèvent de la connaissance fine des écosystèmes plutôt que de l’arsenal technologique lourd : “on parle de végétalisation du bâti afin de mettre en oeuvre des milieux diversifiés au sein de la ville, de toitures végétalisées pour faciliter le rafraîchissement urbain ou gérer les eaux pluviales, de remplacer les gazons par des jardins de pluie pour récupérer également les eaux pluviales, ou de recycler les eaux usées avec des systèmes inspirés des marais”. C’est à travers les projets concrets menés par Urbalia que l’on prend la mesure des transformations à l’oeuvre. “Nous travaillons à Biarritz sur le pôle d’excellence sur le biomimétisme marin avec l’architecte Patrick Arotcharen. Le bâtiment s’inscrit dans la colline avec des toits qui viennent recréer la forme des vagues. Et sur ces vagues nous avons travaillé une végétalisation très forte du bâti qui s’inspire des écosystèmes alentours. Selon notre concept de “toiture miroir”, le côté le plus proche de la plage propose un écosystème dunaire, on passe ensuite sur un système inspiré des landes, pour aller vers la forêt de l’autre côté de la parcelle”, explique Paola Mugnier.
La ville productrice
A Besançon, Urbalia a installé une petite ferme urbaine sur le toit d’une usine, désormais capable de fournir de la nourriture pour les salariés. Ailleurs encore, pendant que la plus grande ferme urbaine d’Europe ouvrait ses portes à Paris, les 48h de l’agriculture urbaine faisaient la démonstration de l’intérêt grandissant pour le sujet. Un engouement dont la mise en oeuvre est soutenue par des acteurs scientifiques dont fait partie le lab recherche environnement, partenariat scientifique entre VINCI et ParisTech qui concentre un grand nombre de ses travaux sur “les processus et le fonctionnement et les rôles du vivant dans la ville” comme l’explique Jean Roger-Estrade, professeur d’agronomie à AgroParisTech école partenaire du lab. Depuis dix ans déjà, le programme scientifique du lab porte sur l’impact des projets d’urbanisme sur la biodiversité (travaux qui ont débouché sur l’outil opérationnel Biodi(V)strict) et sur des projets d’expérimentation en agriculture urbaine. Pour Jean Roger-Estrade, l’un des enjeux est ainsi de “créer et de maintenir des niches écologiques dans la ville” afin de préserver voire d’accroître la qualité de la biodiversité. D’autres travaux ont pour objet l’évaluation des services de régulation rendus par la nature en ville, en particulier les effets de la végétalisation (des immeubles, des toits, des quartiers) sur l’atténuation de l’îlot de chaleur urbain, sur la qualité de l’air, sur le cycle de l’eau. La première publication du laboratoire, Agriculture urbaine : comment aménager une toiture-terrasse (Eyrolles) propose ainsi un guide pour découvrir les meilleures pratiques et offrir une vue d’ensemble d’un secteur en pleine croissance. Des solutions low-tech à l’hydroponie, l’aéroponie et la bioponie, en passant par les spécificités des cultures urbaines et l’émergence d’un bâtiment circulaire, tous les sujets y font l’objet d’un traitement détaillé.
Vers de nouvelles comptabilités
Derrière la tendance, se pose comme toujours la question des modèles économiques qui soutiennent l’émergence d’une véritable biodiversité urbaine. “Il y a un surcoût lié à la modification des pratiques actuelles, mais on est gagnants sur le long terme. Nous allons vers des canicules et des inondations et ce sont bien les surfaces de pleine terre, végétalisées, qui vont permettre de réguler tout ça”, explique Philippe Clergeau. L’enjeu principal aujourd’hui est de valoriser l’apport de la biodiversité afin de transformer une doxa économique qui la prend très peu en compte. Une étude publiée par la Mission Economie de la Biodiversité en 2019 propose deux pistes d’évaluation de l’impact des Solutions fondées sur la Nature (SfN). La première concerne l’apport socio-économique et la seconde s’appuie sur une valorisation des services écosystémiques. A ce titre, l’exemple du Parc des Aygalades à Marseille est exemplaire. D’un point de vue socio-économique, le projet de zone humide et de réintroduction de la biodiversité en ville devrait générer 1,75 M€ de chiffre d’affaires par million d’euros investis et 1,88 M€ de chiffre d’affaires par million d’euros de dépenses d’exploitation. Du côté des services écosystémiques, l’apport économique de la fourniture en eau est estimé à 75,7 K€/an, la production alimentaire à 14 K€/an, la régulation climatique à 743 K€/an et les coûts évités en traitement de l’eau à 65 K€/an…
Malgré les preuves, l’économie de la biodiversité manque encore d’outils pour accélérer son développement. Une part importante de la solution est peut-être à trouver dans les nouvelles compatibilités, qui ne séparent plus l’impact écologique du résultat financier. Le modèle le plus célèbre aujourd’hui est sans doute celui proposé par Jacques Richard en 2012 et baptisé CARE, pour Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement. Il flanque le capital financier, d’un capital naturel et d’un capital humain, qui constituent à eux trois le bilan de l’entreprise. Une manière de rééquilibrer les fondamentaux sur lesquels reposent nos économies.