Après un siècle de règne sans partage, l’automobile montre certains signes de faiblesse. Contraintes par la crise climatique et l’engorgement des villes, nos sociétés réfléchissent de plus en plus aux mobilités alternatives. Si les chiffres sont encore timides (80% des déplacements mécanisés se font toujours en voiture), cette amorce de transformation ouvre un âge d’or pour les solutions de mobilité. Le secteur automobile lui même connaît de nombreux nouveaux entrants qui cherchent à récupérer leur part d’un immense gâteau. Les levées de fonds parfois déroutantes réalisées dans le secteur en 2019 et 2020 en témoignent : 300 millions pour Bird, 2,25 milliards pour Waymo (qui travaille sur le sujet depuis 10 ans) ou 1,15 milliard pour Cruise Automation (pour un total de 7 milliards levés en 3 ans)… Et malgré le regain de l’automobilité individuelle pendant la crise du Covid-19 (+10% à Shenzhen), les villes semblent décidées à préparer l’après voiture.
Dans ce contexte foisonnant d’initiatives et d’innovations, une zone d’ombre perdure : les mobilités rurales. Alors que les villes déploient des offres pléthoriques, les campagnes restent absolument dépendantes de l’automobile individuelle. La crise des gilets jaunes, née sous le signe d’un projet de taxe carbone jugée injuste, l’a rappelé. Dans une étude publiée avec McKinsey, le Forum Économique Mondial établit le même constat et tente de proposer un framework propre à encadrer et encourager les mobilités rurales. Intitulé DRIVER, il s’organise autour de 6 piliers : route dynamique, implication des résidents, intermodalité, versatilité, efficacité et dimensionnement adéquat. Pour proposer une lecture “appliquée” de ce modèle, nous nous sommes mis en quête d’initiatives originales, en écho aux grandes catégories identifiées par le WEF.
Routes dynamiques pour zones reculées
Demande variable, faibles densités, populations vieillissantes : les zones rurales sont particulièrement adaptées aux dispositifs dynamiques, affranchis de lignes fixes et strictes. Les services de Transports à la Demande (TAD) permettent de répondre efficacement à la fluctuation des besoins. En Europe, le service GoOpti incarne une nouvelle génération de solutions adaptées aux besoins de flexibilité des zones rurales. Né en Slovénie et déployé depuis en Autriche, en Italie, ou encore en Allemagne, il s’appuie sur le modèle du TAD pour permettre aux habitants des campagnes mal desservies de rejoindre facilement les aéroports locaux. Plus modeste, mais tout aussi intéressant, le projet luxembourgeois Bummelbus ajoute une dimension sociale au concept. En plus du transport à la demande, ce service financé par l’état offre une voie de réinsertion aux chômeurs longue durée. La startup VanO, incubée parLeonard, s’inscrit dans cette tendance. Pensés comme complément aux réseaux ferrés, ses vans à la demande proposent une offre de mobilité partagée pour zones de faibles densités à large amplitude horaire.
Les résidents mis a contribution
Dans certaines zones rurales, les initiatives privées ne parviennent pas à atteindre des niveaux de rentabilité suffisants. Dans le même temps, la force publique est parfois impuissante à compenser une infrastructure de mobilité lacunaire. Enfin, la pénurie de chauffeurs limite le développement des services de transport. Face à cette combinaison défavorable de facteurs, les solutions collaboratives offrent des perspectives encourageantes. Dans le sillage de BlaBlaCar de nombreuses solutions de covoiturages permettent aujourd’hui de valoriser le parc automobile existant. Atchoum propose ainsi une une solution de “courvoiturage” solidaire rural clef en main. RezoPouce revisite une pratique ancienne et propose d’encadrer l’auto-stop : une manière de réduire les temps d’attente et de renforcer le sentiment de sécurité. Plus radicales, les lignes de navettes autonomes comme celles déployées dans la ville thermale de Bad Birnbach en Allemagne offrent une bonne solution à la pénurie de main d’oeuvre.
Une intermodalité connectée
Si le développement d’une Mobility as a service est un phénomène global, il trouve une résonance particulière dans les zones rurales. La rareté de l’offre de transport demande une interconnexion précise des différents modes afin de garantir une expérience acceptable. Dans ce contexte, l’utilisation des données d’usage permet une adaptation plus fine de l’offre, et à terme, des ajustements en temps réel. Un peu partout, les initiatives de Maas rurales se développent. Au Danemark, l’application MinRejseplan est particulièrement représentative du phénomène. Elle permet à ses utilisateurs d’identifier immédiatement l’alternative multimodale au véhicule individuel la plus rapide et la moins chère. Elle est en outre doublée du service Plustur, une offre de minibus partagés pour le premier et le dernier kilomètre. Plus généraliste, l’application finlandaise Whim est aujourd’hui devenue un modèle à l’échelle globale et dépasse largement la dichotomie rural/urbain.
Désiloter la mobilité
Pour favoriser la viabilité des entreprises de mobilité en zones rurales, l’hybridation des services et l’ouverture à de nouveaux secteurs est une piste prometteuse. Face au vieillissement des populations, le secteur de la santé est particulièrement porteur et fait déjà l’objet d’initiatives intéressantes. Au Japon, l’isolement des personnes âgées est un problème national. Le service de navettes à la demande Choisoko permet aux plus fragiles de rester en contact avec les institutions de santé et les commerces. En Belgique, le service Buurtkar prend le parti inverse, en proposant une boutique et un centre de services mobiles. Une logique itinérante qui a pour effet de réduire largement les besoins en mobilité des personnes les plus fragiles.
Optimiser l’existant
Si c’est peut-être l’option la moins spectaculaire proposée par le framework DRIVER, c’est également l’une des plus importantes. Pour s’ouvrir à de nouvelle mobilités, le monde rural doit s’appuyer sur une offre technologique en évolution permanente, mais également faire évoluer son infrastructure. A ce titre, le vélo offre un bon cas d’école. Si les 24 km qui séparent en moyenne les ruraux de leur travail jouent un rôle dissuasif, l’absence d’infrastructure est un autre frein non négligeable. Selon Nicolas Mercat, spécialiste des mobilités chez Inddigo, les deux fronts pour encourager l’utilisation du vélo en milieu rural sont le développement des vélos à assistance électrique “objets transitionnels” et le déploiement de parcours sécurisés.
Une question de taille
Le maintien d’un service public de mobilité dans les zones rurales est souvent un casse tête. En 2016, une gare japonaise défrayait la chronique en maintenant le service pour une seule lycéenne. Si l’image est poétique, elle illustre avant tout la nécessité d’adapter l’infrastructure au besoin. Le service TADOU, déployé dans le Doubs suite à une réduction de l’offre de transports en 2006 offre un bon exemple d’adaptation rationnelle à la baisse des besoins. Il propose un dispositif de taxi à la demande et sur inscription. Les usagers sont limités à 20 utilisations par mois et peuvent se rendre à la destination de leur choix sur le territoire de 6 communautés de communes. Aujourd’hui, TADOU affiche environ 400 utilisateurs par mois et prouve qu’une faible activité ne coïncide pas toujours avec une disparition des services de mobilité.