Les EnR laissent leur empreinte
Les infrastructures de production d’énergie prennent de la place. Si l’enjeu du foncier n’est pas nouveau, il prend aujourd’hui une ampleur inédite avec le développement des énergies renouvelables et la croissance rapide des besoins en électricité. Or, toutes les énergies ne présentent pas la même empreinte au sol. Les données de l’UNECE montrent des écarts importants, souvent en défaveur des énergies renouvelables. Le nucléaire et le gaz sont les énergies les moins gourmandes en espace avec respectivement 0,3 et 1 m² par MWh. Viennent ensuite le photovoltaïque (entre 12,6 et 22m² par MWh selon le type d’installation), l’hydraulique (entre 14 et 33m² par MWh) et le charbon (entre 15 et 21m² par MWh) qui demande d’importants espaces miniers. L’éolien est plus difficile à quantifier car l’espace entre les turbines est souvent utilisable pour d’autres activités comme l’agriculture (les évaluations varient ainsi entre 8,4 et 184m² par MWh selon les fermes solaires…). À l’échelle globale, un article récent publié dans PLOS One estime que l’espace nécessaire au déploiement des infrastructures d’énergies à l’horizon 2050 pourrait en faire l’un des premiers facteurs d’artificialisation…
La mise à contribution des terres agricoles : vers un agrivoltaïsme
Aujourd’hui, les infrastructures énergétiques occupent environ 0,4% des terres libres à l’échelle du globe, contre 30 à 38% pour les activités agricoles. Ce ratio est amené à évoluer dans les prochaines années et pose plusieurs questions fondamentales. Comment éviter que le développement des énergies renouvelables se fasse au détriment de la sécurité alimentaire (en particulier avec le développement des biocarburants parfois plus rentables que l’alimentation pour les agriculteurs et donc privilégiés) ? Comment faciliter la cohabitation entre activités agricoles et production d’énergie ? Ces grands enjeux accompagnent la naissance d’une nouvelle pratique au nom explicite : l’agrivoltaisme. Parmi les pratiques les plus courantes, on retrouve le développement d’ombrières solaires au-dessus des cultures, la mise en place de serres photovoltaïques ou la cohabitation des infrastructures solaires et éoliennes avec des ruminants. Le sujet fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement réglementaire visant à poser des gardes-fous. En France, le débat cherche à fixer un équilibre entre souveraineté alimentaire et souveraineté énergétique. Des amendements au projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables prévoyant la réversibilité des installations, « le maintien du potentiel agronomique actuel et futur des sols concernés » et la limitation des déploiements au sol aux espaces « incultes » ont été adoptés.
Les EnR face à la spéculation foncière
La compétition pour les terrains propices au déploiement des EnR pourrait rapidement devenir un frein à leur développement. L’exemple de l’Allemagne, bien positionnée sur le sujet, est particulièrement marquant. Une étude de McKinsey a identifié que 51% du territoire allemand est techniquement propice au déploiement d’éoliennes. Un chiffre qui tombe à 9% lorsque l’on prend en compte les contraintes environnementales, les enjeux de régulation ou les facteurs de capacité. Cette rareté a poussé les prix du terrain non résidentiel vers le haut (+10% en Allemagne ou aux Etats-Unis entre 2011 et 2020). A cela s’ajoute une régulation toujours changeante et des processus parfois bureaucratiques qui pourraient représenter un frein au développement des EnR. Le temps d’obtention d’un permis pour une installation éolienne est ainsi de 8 ans en France, toujours selon McKinsey.
Le paradoxe africain
Alors que 650 millions d’africains n’ont pas un accès adéquat à l’électricité, l’Afrique représente un terrain propice pour le développement des EnR. Ici, la disponibilité du foncier est moins problématique qu’en Europe ou aux Etats-Unis : c’est avant tout sa “sécurisation” qui freine les investissements. Un rapport récent de l’ONG Land Matrix, montre que 8 transactions foncières sur 10 ne sont pas en règle sur le continent, ce qui augmente considérablement le risque de litige pour les investisseurs. Dans un autre ordre d’idée, la question de la justice sociale (souvent bafouée) est incontournable et demande un travail de pédagogie important sur l’utilité publique du développement des EnR.
Toitures et bords d’autoroutes : l’interstitiel comme solution
Devant la contrainte foncière, les énergies renouvelables cherchent à investir les espaces délaissés. Les toitures et la proximité immédiate des grands axes de communication sont aujourd’hui les zones les plus prometteuses. La SNCF, qui dispose aujourd’hui de 19 000 hectares de foncier, est particulièrement engagée. Au Mans, la gare de triage délaissée d’Arnage et ses 30 000 cellules photovoltaïques est emblématique du phénomène. L’Armée française participe également à l’effort avec près de 2000 hectares mis à disposition pour augmenter le parc photovoltaïque. Le potentiel des toitures est peut-être plus important encore dans le parc privé. Une étude de Frontier Group estime ainsi à 84.4 TWh, le potentiel solaire des édifices commerciaux aux Etats-Unis…
Le sujet de l’optimisation de l’empreinte spatiale de l’énergie attire naturellement de nombreux acteurs qui cherchent à tirer leur épingle du jeu. “Sur l’agrivoltaïsme, je pense à Voltalia, on peut citer Solarvia ou Boralex concernant le photovoltaïque flottant, Solarvia se positionne également sur délaissés autoroutiers ou ferroviaires. On ne peut plus vraiment considérer les ombrières photovoltaïques comme une innovation aujourd’hui mais elles se développent un peu partout, des expérimentations sont en cours pour du photovoltaïque sur canal ou en couverture d’autoroute”, explique Raphaël Ventre, fondateur de Solarvia, filiale du groupe VINCI.
Le sous-sol à la rescousse ?
La saturation des espaces de surface invite naturellement à explorer la piste souterraine pour les infrastructures d’énergie, en particulier pour le transport ou le stockage. Le stockage géologique est ainsi porteur de belles promesses, en cavités salines, en milieux poreux ou en cavités minées. Geostock, filiale de VINCI, développe ainsi des technologies de stockage d’hydrogène, d’air comprimé ou de chaleur. Ces solutions permettent aujourd’hui d’accompagner efficacement le développement des énergies intermittentes, de lisser la production d’énergie, ou de compenser un déficit de production. Solution intermédiaire, l’exploitation des fonds marins, permet également de soulager l’impact foncier des infrastructures énergétiques. En témoigne le projet de pipeline d’hydrogène vert entre Barcelone et Marseille, baptisé H2Med, et dont la construction a été confirmée par Emmanuel Macron le 9 décembre 2022. Plus largement, cette initiative s’inscrit dans la stratégie énergétique de l’Union Européenne, qui souhaite mettre à profit les terres (et le soleil) du sud de l’Europe et du Maghreb pour accélérer sa transition : entre eldorado solaire et “colonialisme vert”, il n’y a qu’un pas.
Un aperçu du futur : des panneaux solaires dans l’espace ?
À plus long terme, la production d’énergie renouvelable pourrait quitter le sol terrestre et s’inviter dans l’espace. C’est en tous cas l’ambition de la Space Energy Initiative, qui regroupe un grand nombre d’entreprises et d’institutions académiques. Le projet consiste à envoyer des satellites solaires dans l’espace, puis à transmettre l’énergie produite à la terre par micro-ondes. L’objectif est de disposer d’un pilote en 2030 afin de se connecter au réseau dès 2040…
La contrainte foncière du déploiement des énergies renouvelables ouvre une période passionnante de réflexion et d’innovation sur l’optimisation de l’utilisation des espaces urbains mais aussi ruraux. En risquant de faire dérailler les objectifs de Zéro Artificialisation Nette s’il est mal anticipé, de déploiement des énergies renouvelables oblige à revoir la valeur que nous donnons aux interstices, aux friches et aux vides.
Cet article est extrait de la newsletter bimensuelle de Leonard. Inscrivez-vous pour recevoir la version complète.