Entre belles promesses et stagnation : la géothermie souffle le chaud et le froid

La géothermie est rarement citée dans le mix énergétique, tant elle reste aujourd'hui anecdotique. Paradoxalement, elle présente un certain nombre d’atouts : ressource abondante et renouvelable, pilotabilité, non-intermittence… Léonard fait le point sur l’énergie venue du sol.

“L’énergie renouvelable oubliée”. Ce surnom parfois donné à la géothermie illustre bien le faible niveau de développement du secteur au regard de son potentiel. On parle ici d’un faisceau de technologies permettant de produire de la chaleur, du froid ou de l’électricité à partir de calories captées à différents niveaux dans le sous-sol. Selon le MIT, la géothermie permet théoriquement de couvrir deux fois les besoins en électricité de la planète. Elle présente également l’avantage considérable d’être pilotable et sans intermittence. Aujourd’hui, elle représente pourtant une part anecdotique du mix énergétique au niveau mondial avec 0,3% de la production d’électricité. Avec une croissance annuelle d’environ 2%, le secteur est loin d’atteindre les 13% nécessaires pour rester dans les objectifs Net Zero Emissions by 2050 de l’IAE.

Comment ça marche ?

Si les technologies sont nombreuses, on distingue deux grandes familles de géothermies, liées principalement à la profondeur d’extraction. La géothermie profonde peut s’aventurer à plus de 2000m de profondeur pour des températures supérieures à 150°. La géothermie de surface est généralement située à moins de 200m de profondeur pour des températures de moins de 30 degrés. Utilisable sur plus de 90% du territoire en France, cette dernière présente sans doute le plus gros potentiel alors qu’elle fournit aujourd’hui 3% de la chaleur renouvelable. 

La clef des sols

La géothermie profonde, si elle n’est pas mise en place dans des zones volcaniques avantageuses – comme l’Islande où elle représente 90% du chauffage et 27% de l’électricité – reste une technologie très coûteuse. Pour soulever ce frein, la startup Quaise développe aujourd’hui avec l’aide du MIT un système de forage à micro-ondes capable de s’appuyer sur les infrastructures existantes des producteurs d’hydrocarbures. Grâce à un financement de 24M$, la startup devrait déployer une usine pilote aux Etats-Unis d’ici 2024. Une belle promesse pour la transition énergétique.

En surface, la géothermie est particulièrement adaptée au chauffage de l’habitat, mais reste complexe à mettre en œuvre dans les espaces contraints. Le projet Européen GEOFIT réunit 24 partenaires pour tenter de lever ce frein. 5 démonstrateurs situés dans tous les climats d’Europe doivent permettre de standardiser des solutions techniques performantes et éprouvées.

Le lithium, meilleur allié de la géothermie ? 

« Une des idées pour améliorer la rentabilité est d’extraire des coproduits existants dans les eaux géothermales, notamment le lithium qui pourrait être valorisé dans des secteurs divers comme l’industrie automobile », explique Robin Apolit, responsable géothermie au sein du syndicat des énergies renouvelables pour BPI France. Au Royaume-Uni, une concentration record de 250 milligrammes de lithium par litre de fluide géothermique a été détectée à l’usine géothermique United Downs. La promesse d’un “double” business modèle particulièrement prometteur.

Les villes : une piste chaude face à l’urgence climatique

La géothermie est particulièrement efficace dans les réseaux de chaleur urbains, dans une logique de mutualisation et de décarbonation du chauffage ou de la climatisation. La méthode est ancienne, et la ville de Chaudes-Aigues – dans le Cantal – utilisait déjà les principes géothermiques pour chauffer ses habitations au Moyen Age. En France, le Val de Marne affiche la plus grande densité de centrales géothermiques au monde, pour environ un tiers de la production de chaleur. En Europe, le réseau Decarb City Pipes 2050 réunit 7 villes (Bilbao, Bratislava, Dublin, Munich, Rotterdam, Vienna and Winterthur) afin de mettre en place une roadmap de décarbonation. Selon l’association, la géothermie pourrait représenter entre un et deux tiers de l’énergie produite dans le futur.

Les routes peuvent également être mises à contribution. Le projet Dromotherm vise ainsi à valoriser le potentiel énergétique des voiries en stockant la chaleur récupérée par les routes dans le sol, avant de la restituer pendant la période hivernale. Le projet, qui laisse également imaginer une limitation des îlots de chaleur urbains, s’appuie sur les principes de la géothermie de surface.

Des politiques publiques encore timides

Bien que les rendements de la géothermie soient excellents, les investissements initiaux sont importants. Il faut compter entre 3 et 6000 dollars par kilowatt, là où l’éolien et le solaire demandent entre 1700 et 2100 dollars par kilowatt. Dans ce contexte, l’investissement public est essentiel.

  • En France, le Fond de garantie géothermie permet de limiter les risques de ne pas trouver de ressources exploitables liés au forage profond.
  • Aux Etats-Unis, le Congrès a alloué 85 millions de dollars pour favoriser la R&D sur le sujet de la géothermie. Un bon signal qui reste relativement anecdotique au regards des 62 milliards prévus dans l’enveloppe globale dédiée aux infrastructures du Department of Energy.
  • La Banque mondiale finance un nombre important de projets liés à la géothermie, en particulier dans des pays particulièrement propices. 610M$ ont ainsi été investis en Indonésie, en Turquie, en Ethiopie, à Djibouti et en Arménie.
  • L’Indonésie, un des pays les plus géologiquement actifs au monde, est assise sur la plus grande réserve géothermique du globe. Mais l’archipel peine aujourd’hui à attirer les investisseurs, malgré des efforts d’atténuation des risques et d’incitation économique…

En image !

Hellisheiði est la plus grande et la plus récente usine géothermique d’Islande, située sur le volcan actif Hengill. Elle fournit la moitié de la chaleur destinée à la capitale Islandaise. Elle abrite en outre une exposition sur le potentiel de la géothermie. L’usine est également célèbre pour abriter le plus grand dispositif de “carbone capture” au monde, ce qui en fait une infrastructure particulièrement vertueuse.

Source

Les pépites du secteur attirent le secteur privé

La startup Enerdrape est lauréate du prix Mobility and Urban Sustainability décerné lors du Hello Tomorrow Summit 2022 et soutenu par Léonard. Elle propose de s’appuyer sur des infrastructures souterraines nouvelles ou existantes (comme des parkings) afin d’y intégrer des dispositifs géothermiques.

La startup américaine Fervo s’est associée à Google afin d’optimiser ses techniques de forage grâce à des solutions d’intelligence artificielle et une approche data driven. A terme, l’ambition des deux partenaires est de fournir aux datacenters une source d’énergie fiable et renouvelable. Un projet pilote est en développement dans le Nevada.

BP et Chevron ont récemment investi 40 millions de dollars dans la jeune société Eavor. L’entreprise cherche à contourner la contrainte des bassins aquifères favorables ou la nécessité d’avoir recours à un forage de type “fracking” grâce à des réseaux de puits comparables à un gigantesque radiateur souterrain.

La startup dédiée au chauffage par géothermie Dandelion a levé 30M$ auprès du fonds Breakthrough Energy Ventures. La somme est destinée à augmenter les parts de marché et donc les économies d’échelle pour un secteur de la géothermie encore confidentiel.

L’avenir du renouvelable ?

Forages profonds et investissements importants ont longtemps ralenti le développement de la géothermie. Aujourd’hui, l’urgence climatique, les objectifs de réduction d’émission ou la nécessité de trouver des sources d’énergie domestiques et durables en font un candidat idéal pour le développement de la chaleur et de l’électricité renouvelable. Une étude du gouvernement américain estime que la production d’énergie géothermique pourrait être multiplié par 26 d’ici 2050…

Cet article a été publié dans le cadre de la newsletter Leonard. Abonnez-vous pour recevoir les prochaines en suivant ce lien.

 

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