Et si le futur de la ville, c’était l’espace ?

L’émergence du NewSpace marque un nouvel âge d’or pour les technologies spatiales. En trois scénarios prospectifs, Leonard cherche à comprendre les influences possibles de ce renouveau sur le futur de la ville et des infrastructures.

Crédit photo : NASA sur Unsplash

Avec 186 tirs, l’année 2022 marque un record absolu en termes d’activité spatiale. Ce nouvel âge d’or intervient dans le sillage de l’émergence du NewSpace, d’initiative privée, à la fois concurrent et partenaire des traditionnelles agences étatiques. Porté par SpaceX ou Blue Origin, ce mouvement marque une transformation majeure des intérêts liés à l’espace, et le passage d’une obsession de l’exploration à un recentrage sur la terre et les applications commerciales. Ces dernières offrent un certain nombre de promesses pour la ville, les grandes infrastructures et leurs enjeux, de la pollution à la surveillance, en passant par la gestion des flux en général. Leonard s’est projeté dans l’avenir pour imaginer trois scénarios dans lesquels les technologies spatiales ont durablement transformé la ville.

Des infrastructures sous surveillance

Grâce à la multiplication des constellations de satellites en orbite terrestre basse, le ciel concentre désormais la majeure partie des infrastructures numériques. Une connectivité puissante et sans latence est disponible au-delà de toute contrainte géographique. Starlink et Kuiper, ont ouvert la voie à une multitude de nouveaux acteurs. Dans ce contexte, les technologies d’imagerie spatiale se sont démocratisées et sont en mesure de scanner la surface du globe avec une précision de l’ordre du millimètre. Les opérateurs d’imagerie thermique comme VU mettent à disposition des cartes de chaleurs qui permettent de mesurer la performance énergétique des bâtiments. Elles sont utilisées par les urbanistes pour limiter les îlots de chaleur, mais également par les banques pour estimer les conditions de leurs “prêts verts”. La multiplication des catastrophes naturelles a largement complexifié le travail des assureurs qui se sont dotés d’yeux dans l’espace afin d’estimer au mieux et au plus vite les dégâts. La technologie utilisée par Icelle pour surveiller les inondations est désormais utilisée par la plupart des grands acteurs du secteur. De manière plus générale, le métabolisme urbain de la ville est analysé depuis l’espace. Les héritiers du projet TEMPO, lancé en 2023, sont en mesure de surveiller précisément la qualité de l’air. Les projets de surveillance des infrastructures – en particulier électriques – permettent d’anticiper le développement de végétation et de planifier au mieux les interventions. Cette capacité de surveillance inédite crée également de nouvelles tensions politiques, alors que l’on dénonce la dérive autoritaire de certaines administrations. D’abord utilisées pour faire appliquer la loi – en détectant par exemple les constructions non autorisées – les technologies spatiales sont de plus en plus associées aux algorithmes prédictifs pour tenter de prédire les comportements des citoyens en fonction de leurs activités… Le projet S-EDGE, initié comme un projet de recherche dès 2022, a donné lieu au développement des technologies de pilotage de drônes policiers depuis l’espace, et provoqué un tollé dans l’opinion publique.

La ville en autopilote

Les technologies spatiales sont devenues l’Operating System d’une ville et d’infrastructures de plus en plus automatisées. La combinaison de données en temps réel obtenues depuis l’espace, de puissances de calcul inédites, et de dispositifs d’intelligence artificielle apprenants conduisent à une optimisation généralisée des flux. Les technologies spatiales ont ainsi permis de lever les verrous des mobilités autonomes en permettant le développement d’une cartographie dynamique de haute précision. L’optimisation du trafic, la disponibilité en temps réel des places de parking ou la collecte des déchets sont tous optimisés à partir de données spatiales. Face à cette délégation générale des fonctions urbaines aux machines, des mouvements citoyens plaident pour une plus grande participation humaine et une explicabilité des systèmes. Ils sont ainsi mis à contribution dans des dispositifs qui combinent intelligence humaine et technologies d’automatisation. Née à Trieste, l’application Communi-Chiamo s’est par exemple diffusée dans le monde entier. Cette dernière permet aux résidents de signaler des problèmes liés aux déchets, à l’éclairage urbain, ou à la voirie. Une IA couplée à des données satellitaires prend ensuite le relai pour vérifier la validité des requêtes, puis prioriser les interventions… Les solutions de gamification permettent également d’influencer les usages de la ville à partir des données spatiales. Les applications touristiques comme The Firenze Game réussissent ainsi à contrôler en temps réel les flux de visiteurs grâce à un savant mélange d’incitations ludiques et de données satellitaires.

La géo-ingénierie solaire comme réponse à l’emballement climatique

Dans un dernier scénario, les technologies spatiales sont devenues les instruments d’une modification volontaire du climat afin d’atténuer les effets du réchauffement climatique. Face à l’urgence, les solutions les plus décriées par la communauté scientifique ont malgré tout été déployées. Des nuages de particules de soufre ou de carbonate de calcium sont régulièrement déployés dans la stratosphère afin de limiter la puissance du soleil. Les techniques d’ensemencement des nuages, destinées à faire tomber artificiellement la pluie en y ajoutant des aérosols ou du sel, sont généralisées. Des miroirs spatiaux géants sont installés et assemblés dans l’espace afin de réfléchir les rayons du soleil. Avec le même objectif, des nuages de bulles sont déployés à très haute altitude pour limiter les effets du soleil… Pressés par l’emballement du changement climatique, les États multiplient les projets les plus fous. Les grandes compagnies minières qui exploitent la lune depuis quelques années développent ainsi des prototypes de projections de particules lunaires dans l’espace, toujours dans l’objectif de limiter l’impact du soleil. Néanmoins, ces solutions restent très critiquées alors que leur efficacité à court terme et leur impact à long terme reste difficile à évaluer. Pour limiter les dérives, des efforts de régulation ont été menés sous l’impulsion de l’ONU, qui soulignait dès 2023 le risque d’initiatives unilatérales de la part d’États ou d’acteurs privés. Pour la majorité des collectivités, les solutions de géo-ingénierie restent complémentaires aux efforts de réduction structurelle des émissions de gaz à effet de serre. Ces technologies montrent en effet une limite majeure : une fois lancée, elles ne peuvent être stoppées sans prendre le risque d’un termination shock, aux effets délétères.

Une manière de gagner du temps pour tenter de résoudre les problèmes structurels liés à la consommation énergétique, aux modes de production ou de consommation, à la pauvreté et aux inégalités.

Quel que soit le scénario, une chose semble aujourd’hui certaine : l’économie de l’espace est promise à un développement exponentiel. Estimée en 2022 à 469 milliards de dollars, elle pourrait suivre le même chemin que l’économie numérique. Considérée un temps comme une verticale parmi d’autres, elle finira sans doute par irriguer l’ensemble des secteurs dans une myriade d’applications que nous commençons à peine à effleurer.

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