Face à la crise globale de l’eau : entre innovation technique et défis politiques

Entre pénuries locales et épuisement des réserves globales, le secteur de l’eau fait face à une crise systémique. Soumis à une pression démographique et d’usage croissante, miné par les inégalités d’accès et englué dans des problématiques de gouvernance complexes, il doit aujourd’hui faire sa mue.

L’eau douce, une rareté ?

Pour les habitants des régions bénéficiant d’un bon accès à l’eau et d’infrastructures adéquates – habitués à voir couler de l’eau potable du robinet – il est difficile de comprendre la pression exercée sur la ressource à l’échelle mondiale. En réalité, seulement 2,5% de l’eau présente sur Terre est “douce”. La représentation de la distribution de l’eau sous forme de diagramme permet de prendre conscience des ordres de grandeur : une part infime de l’eau terrestre est propre à la consommation.

Dans le même temps, l’accès à une eau saine se complique pour une part croissante de la population mondiale : 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et plus de la moitié de la population mondiale est soumise à des restrictions temporaires. Goulots d’étranglement, les villes sont particulièrement touchées alors que les politiques de planification urbaine ne parviennent pas à suivre le rythme de l’urbanisation. Depuis 2000, le nombre d’habitants des villes n’ayant pas accès à une source d’eau potable contrôlée a augmenté de 50%

Une pression multifactorielle

Cette pression croissante résulte d’un faisceau de facteurs. Le premier est sociétal : l’évolution de nos pratiques de consommation, couplée à une forte pression démographique, entraîne une accélération de la demande. D’après l’OCDE, la demande mondiale en eau potable devrait augmenter de 55% entre 2000 et 2050… Le second est climatique : la hausse des températures et la dégradation des écosystèmes limitent la disponibilité de l’eau douce. Au-delà des sécheresses, la hausse du niveau de la mer entraîne la salinisation des eaux douces souterraines côtières et la fonte des eaux de montagne touche l’approvisionnement en eau d’⅙ de la population mondiale !

Le facteur environnemental s’incarne dans une dégradation croissante des réserves d’eau, alors que 25% des eaux souterraines d’Europe sont polluées chimiquement. La dimension économique se traduit dans une compétition croissante pour l’usage de l’eau entre agriculture, industrie et usage domestique. Enfin, le facteur infrastructurel joue un rôle majeur. En témoignent les installations vétustes, qui entraînent la perte d’environ 30% de la production d’eau potable en fuites dans le monde !

Vers des guerres de l’eau

La rareté de l’eau, associée à son caractère essentiel, font de cet “or bleu” le personnage central de nombreux conflits. Dans une chronologie bien documentée, Le Pacific Institute dénombre plus de 340 conflits liés à l’eau dans le monde. Les récentes attaques sur le barrage de Kakhovka en Ukraine ou la destruction des puits à Gaza rappellent également que même lorsqu’elle n’est pas la cause principale d’un conflit, l’eau reste au cœur des enjeux géopolitiques et militaires. Le United Nations World Water Development Report 2024, publié par l’UNESCO, rappelle que 40% de la population mondiale vit dans des bassins lacustres ou de rivières transfrontalières, et que seul un cinquième des pays concernés a développé des accords sur le sujet.

La réponse des watertechs

Pour répondre aux enjeux de l’eau, de nouveaux acteurs émergent et structurent un secteur technologique : les watertechs. Il s’attaquent à un marché dont la valeur économique est estimée par WWF à 58 000 milliards de dollars, soit 60% du PIB mondial. Ce chiffre colossal permet d’imaginer le chemin à parcourir pour des entreprises qui attirent aujourd’hui à peine 3% des financements destinés aux climate techs.

Parmi ces nouveaux entrants, certains acteurs repensent notre manière de traiter et purifier l’eau. C’est le cas d’Hydroleap, qui bannit les produits chimiques des processus de traitement des eaux limoneuses, pour les remplacer par une technologie de traitement électrocatalytique. C’est également l’ambition de NXO-engineering, qui met à profit les capacités de traitement des microalgues pour imaginer les stations d’épuration du futur. Ou encore de la solution GRASS de SOGEA Environnement (VINCI Construction), qui favorise le développement de certaines bactéries qui vont contribuer au bon traitement de l’eau. Aio-Loop propose quant à elle une solution de traitement des eaux usées moins consommatrice en énergie et en foncier.

Pour d’autres, il s’agit de développer de nouveaux modes de récupération de l’eau. Avec sa technologie Hydropanels, Source s’attache à collecter l’humidité atmosphérique en utilisant des matériaux hygroscopiques. Chez Oneka, l’ambition est de proposer une solution de désalinisation alimentée par l’énergie des vagues !

Du côté des infrastructures, les solutions de monitoring permettent de mieux contrôler et limiter les pertes. ACWA robotics envoie ainsi des robots autonomes dans les canalisations pour repérer les fuites. D’autres, comme Smartusers, développée par WMI et déployée notamment à l’aéroport de Rennes, oeuvrent pour optimiser la consommation en eau.

Les acteurs de l’économie circulaire s’emparent également du sujet et tentent par exemple de revaloriser les eaux usées. C’est le cas d’Hydraloop qui développe une solution déployable sur n’importe quel réseau pour faciliter la réutilisation des eaux grises.

Enfin, dans le secteur de l’énergie, on peut penser à Geocean (VINCI Construction) avec ses solutions de géothermie océane et de thalassothermie ou encore à Thermiup qui développe des récupérateurs de chaleur pour eaux usées afin d’éviter le gaspillage thermique.

Le juste prix de l’eau

Performantes, ces solutions technologiques présentent une limite : elles sont souvent coûteuses et posent la question du juste prix de l’eau. Ressource unique en son genre, cette dernière demande des modes de financement innovants. La tarification progressive, pratiquée par exemple à Dunkerque en France, permet de distinguer la consommation “essentielle”, ”utile” et “de confort”. Le Portugal a mis en place une tarification familiale, afin de ne pas pénaliser les grands foyers. D’autres pays adoptent une tarification sociale afin de garantir l’accès à l’eau des foyers les plus démunis. A Bogota, un fonds créé par l’AECID permet à 800 000 habitants parmi les plus vulnérables d’accéder à l’eau. D’autres estiment qu’un marché global de l’eau” – similaire à ce qui est déjà pratiqué avec les crédits carbone – pourrait aider à réguler son usage en encourageant les bonnes pratiques.

Eau et Communs, les limites d’une approche techno

Souvent décrite comme un “commun”, l’eau est une ressource au statut particulier. A ce titre, sa collecte, son traitement ou sa distribution portent une dimension politique. En proposant un Pacte Global pour résoudre la crise de l’eau, la Global Commission on the Economics of Water s’inscrit dans cette idée et propose un plan d’action en 7 points parmi lesquels on retrouve une meilleure collaboration entre public, privé et société civile au service du droit à l’eau, la fin de la sous-tarification de l’eau ou la publication d’une “empreinte eau” pour les secteurs les plus consommateurs…

Relativement archaïque techniquement et éminemment complexe politiquement, le secteur de l’eau doit aujourd’hui se réinventer pour éviter un effondrement global. Pour y parvenir, il doit mobiliser une capacité d’innovation portée par les “watertechs”, tout en menant une réflexion sur le statut singulier de la ressource en eau.

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