Le “hub”, clef de voûte des nouvelles mobilités

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Lieux centraux au cœur des échanges, les hubs de mobilités deviennent des infrastructures incontournables, capables de coordonner les différents modes de transport dans un paysage de plus en plus complexe.

Après un demi-siècle de règne automobile sans partage, les mobilités actives, légères ou collectives rebattent les cartes. Dans ce contexte, les infrastructures mono-fonctionnelles comme la gare ferroviaire, la station de métro ou même le parking classique sont amenées à évoluer. Peu importe leur nom, les nœuds, les pôles et autres hubs se réinventent en interfaces, capables de faciliter le passage d’une mobilité à l’autre et de multiplier les offres de services. 

Pour explorer le sujet, Leonard a interrogé Yo Kaminagai, délégué à la conception au sein du Département Maîtrise d’ouvrage des projets de la RATP. Il revient sur les grands enjeux liés aux hubs de mobilité, à leur conception et à leur déploiement dans l’espace public.

Comment définiriez-vous un “hub de mobilité” ? 

Il existe une définition de base assez simple. L’UITP attribue deux grandes fonctions aux hubs de mobilité. La première concerne le transfert entre les modes : un hub permet de passer de la marche à pied au bus, du bus au métro, du métro à l’avion, etc. La seconde fonction est celle de l’accès aux mobilités et aux différentes activités de la ville. A partir du moment où ces deux fonctions de transfert et d’accès sont remplies, d’autres usages urbains – comme le retail – peuvent venir se greffer parce que ces lieux deviennent des pôles saillants dans le tissu urbain.

On observe aujourd’hui une confusion récurrente entre deux grands types de produits. D’un côté on distingue ce que l’on appelait autrefois les “pôles d’échanges multimodaux” qui articulent les modes de transport lourds et infrastructurels, comme le métro, le RER ou le train, avec les modes de surface comme le bus et les modes individuels. De l’autre, le terme peut désigner les “micro” hubs de mobilité qui fleurissent depuis une dizaine d’années, plutôt ailleurs qu’en France, et qui associent autopartage, garages à vélos, vélos partagés, trottinettes, armoires-relais pour les colis, etc. Les premiers sont des “macro-hubs” et les seconds des “micro-hubs” qui peuvent être contenus dans les premiers. La plupart du temps, les deux sont pensés de façon indépendante.

Dans les deux cas, avez-vous des exemples phares à présenter ? 

Les “micro” hubs se développent surtout au nord et à l’est de l’Europe. En Flandres, le projet Mobipunt a pour objectif de déployer 1000 microhubs. À Hambourg les stations Hvv Switch sont associées à une app de mobilité assez complète. A Berlin, les Jelbi stations quadrillent la ville. La même chose existe à Dresde ou à Vienne. 

Les grands pôles d’échanges sont particulièrement développés et intéressants aux Pays-Bas, où Utrecht Centraal et Rotterdam Centraal font office de modèles. En France, je pense à une grande échelle au pôle de La Défense, compact et continu, issu d’une planification visionnaire des années 60 et d’adaptations et adjonctions plutôt réussies et encore à venir. A une autre échelle, il y a la place Napoléon de la Roche-sur-Yon, moins minérale et plus humaines : ancien parking à voitures reconverti en espace de promenade, elle accueille des bus en périphérie et propose un bel exemple de fusion entre la fonction transport et les autres fonctions urbaines.

Quelles sont les bonnes pratiques dans la conception, l’aménagement et la gestion de ces hubs ?  

La première consiste à mettre en place une planification globale, qui permette de prévoir toutes les correspondances dans l’architecture depuis le départ. C’est le cas dans le métro de Washington, où l’on trouve des ouvrages extraordinaires avec des voûtes qui se croisent perpendiculairement et permettent de changer de ligne avec un simple escalator. Le même degré d’intégration s’observe dans le métro de São Paulo. Dans les deux cas, on parle de réseaux inaugurés dans les années 70. A Londres, lorsque la Jubilee Line a été prolongée, la gare routière a été construite dans le même bâtiment, à Canada Water. A Shinjuku, à Tokyo, elle a été ajoutée en rooftop. Malheureusement, cette planification intermodale globale n’est pas toujours possible. Elle demande une entité “supra” – comme une région, une ville ou un état – qui porte une vision à long terme et qui a une forte autorité sur tout l’écosystème d’acteurs. 

La seconde bonne pratique consiste à mettre en place une gouvernance efficace pour la gestion quotidienne. La plupart du temps, acteurs cohabitent sans coopérer dans les hubs. Les voyageurs sont transmis comme des colis. De manière générale, les gouvernances de projets, qui garantissent la QCD (qualité, coût, délais) sont bien mises en place. Les problèmes ont lieu après la livraison, avec des exploitants qui ne se mettent pas en consortium pour gérer les espaces, et qui gèrent chacun leur domanialité

Quel est l’impact de ces infrastructures sur la voirie ? 

Le développement de la multimodalité accompagne aujourd’hui une volonté de réduire la place de la voiture. Pour les acteurs traditionnels de la ville, cela signifie qu’il faut acquérir une compétence en matière d’ingénierie du piéton, du vélo et du transport collectif, en même temps que celle de la voiture, et mixer ces différentes cultures. Dans notre imaginaire, le trottoir est annexe à la chaussée, alors qu’il devrait au moins être l’égal de celle-ci. Dans l’univers haussmannien, on a installé une sorte de hiérarchie entre chaussée et trottoirs qui doit être remise à plat. D’une certaine manière, la route en ville est dépassée. La rue de demain ne sera pas nécessairement linéaire, on pourra provoquer des échanges un peu partout. 

Comment imaginez-vous l’avenir des hubs d’intermodalité ?

Ils méritent une mobilisation générale. Nous avons besoin d’une prise de conscience au plus haut niveau quant à l’importance des hubs. L’Union Européenne a créé un cadre théorique avec le TEN-T. C’est un réseau de 9 corridors qui couvre l’Europe avec 424 nœuds urbains. Ces nœuds accueillent eux-mêmes des hubs urbains. Il y a une volonté au niveau européen de proposer une “réparation” des points de correspondance, pour que les mobilités transeuropéennes deviennent compétitives par le sol.

Avec une telle prise de conscience, il s’agit de passer à une nouvelle étape. La plupart des politiques de mobilité ont mis en avant les lignes, la vitesse, l’automatisation ou la technologie. Il est désormais essentiel de s’occuper des lieux, car c’est ici que l’on trouve la plupart des pain points. Agir sur les lieux n’est pas une consolation, c’est stratégique. La multimodalité n’est pas native, elle n’est absolument pas naturelle, et elle doit être décidée.

Les 1001 visages du hub de mobilité

Des gares hyper connectées. Routières ou ferroviaires, les gares ne choisissent plus. Certaines nouvelles infrastructures sont ainsi pensées pour intégrer “nativement” l’ensemble des modes. A Nice, le pôle multimodal Nice Saint-Augustin sera le premier en Europe à intégrer autant de solutions : bus, cars interurbains, mobilités actives, parkings pour véhicules individuels, tramway, TER, TGV et une liaison avec l’aéroport…

De l’aéroport au méga hub de mobilité. Pour les aéroports, infrastructures “macro” par excellence, le mouvement est similaire, avec des répercussions sur les mobilités à l’échelle régionale, voire nationale. En Pologne, le projet Centralny Port Komunikacyjny (CPK) incarne bien cette tendance. Prévu pour 2028, il doit à terme accueillir 40 millions de passagers par an et servir de centre à un projet plus global, qui intègre par exemple la construction de 2000 km de lignes de train à grande vitesse. 

Le parking réinventé. Figure par excellence du règne automobile, le parking s’ouvre aujourd’hui à la multimodalité. Aux Pays-Bas, Q-Park et Shell s’associent pour transformer leurs infrastructures en hubs de mobilité en intégrant des points de recharge ou des mobilités douces. En Espagne, la Madrid Municipal Transport Company (EMT) a récemment lancé Canalejas 360, un hub de mobilité qui transforme tout un étage de parking souterrain en zones de recharge pour véhicules électriques, ainsi qu’en parkings pour vélos ou pour véhicules partagés. A Paris, la startup DouzePointCinq investit les parkings non loués pour y installer des deux roues… 

L’autoroute, lieu d’accueil d’une multimodalité ? Axes routiers majeurs, les autoroutes s’ouvrent également aux nouvelles mobilités et à d’autres modes de transport. A Nîmes, la Métropole et VINCI Autoroutes ont ainsi mis en place une aire de covoiturage pour encourager les comportements écologiques. A Briis-sous-Forges, une gare de bus autoroutière unique en France est aujourd’hui victime de son succès ! A tel point que VINCI Autoroute mène une expérimentation de navettes autonomes et connectées, capables de relier le pôle multimodal de Longvilliers, la gare autoroutière de Briis-sous-Forges et la gare ferroviaire de Massy-Palaiseau en circulant à 90 km/h ! A Madrid, les autoroutes aboutissant sur le métro circulaire de la capitale ont été raccordées par des voies dédiées réservées aux bus et aux cars à des gares routières souterraines, leur permettant d’éviter de traverser les derniers carrefours encombrés de ce périphérique. Ils permettent ainsi une diffusion rapide des passagers de ces véhicules vers les lignes urbaines de bus et de métro : on les appelle les intercambiadores, et ils sont uniques dans leur capacité à relier une autoroute aux transports en commun.

Crédit photo : Christian Lue sur Unsplash

 

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