L’innovation au bout du tunnel

Poussés par l’urbanisation et la pression démographique, les besoins en infrastructures souterraines sont toujours plus nombreux et pressants. 
En revanche, les technologies qui permettent de les percer évoluent peu : une situation qui pourrait changer rapidement.

Un peu d’histoire : une innovation lente

Le tunnel est une infrastructure aussi utile que complexe à réaliser. Nos ancêtres préhistoriques les mettaient à profit pour améliorer leurs habitats souterrains, les Babyloniens s’en servaient pour l’irrigation, les Grecs et les Romains bâtissaient déjà des tunnels de drainage et d’acheminement de l’eau, mais également des voies de communication, comme en témoigne la superbe Crypta Neapolitana, située entre Naples et les champs Phlégréens, longue de 750 mètres pour 4,5 mètres de large. En termes de techniques de construction, la force humaine a longtemps joué le rôle principal. Il faut attendre la révolution industrielle et la multiplication des tunnels miniers ou ferroviaires pour voir émerger de nouvelles méthodes. C’est finalement le tunnelier qui s’impose, jusqu’à se démocratiser dans les années 80 avec le boom de l’urbanisation et les besoins en réseaux d’assainissement, de logistique, ou de transport qui l’accompagnent.

Le tunnelier traditionnel face au défi de l’innovation

Le tunnelier est une des machines les plus imposantes jamais imaginées par l’homme. Les plus grands mesurent plus de 100m de long et peuvent atteindre 19m de diamètre. Il réalisent l’abattage de la roche, l’évacuation des déblais et souvent le soutènement, ce qui en fait des outils polyvalents et efficaces. Pour autant, la technologie a peu évolué depuis l’invention de la machine, malgré l’intégration incrémentale “d’automatisation, de robotisation, de techniques d’intelligence artificielle et d’analyse de données pour permettre un creusement plus rapide, plus régulier, plus sûr et plus écologique”, comme l’explique Marc Hasenohr, directeur de la Tunnel Factory chez VINCI Construction.

En chiffres : des besoins croissants

En 2019, 1615 tunnels étaient en construction dans le monde, dont 750 en Chine. Avant la crise du COVID-19, 5200km de tunnels étaient construits chaque année. Ils représentaient entre 6 et 7% du marché de la construction d’infrastructures, pour une croissance régulière de 9%, soit le double de la croissance du marché de la construction en général.

Aux Etats-Unis, l’Infrastructure Bill de 1200 milliards de dollars proposée par Joe Biden laisse imaginer des besoins importants à venir en termes de forage, même si Associated Builders and Contractors (ABC) s’inquiète de l’enveloppe dédiée aux infrastructures routières (282 milliards de $).

Elon Musk, champion du forage ?

Dans ce contexte de croissance des besoins, le forage de tunnels attire de nouveaux entrants, prêts à remettre en cause l’ordre établi. Le plus médiatique d’entre eux est sans aucun doute le patron de Tesla avec sa Boring Company :

  • Elon Musk lance l’entreprise en 2017 autour de la promesse d’un forage plus rapide et d’un coût divisé par 10. Il explique qu’un escargot avance 14 fois plus vite qu’un tunnelier classique et espère atteindre cette vitesse.
  • Prufrock, le tunnelier de la Boring Company annonce une vitesse de 1 mile par semaine, soit 4 fois moins vite qu’un escargot.
  • En 2021, Avec “Not a boring Competition”, Musk s’inscrit dans une logique d’innovation ouverte et tente d’attirer des talents autour de son projet. Dans le même temps, les industriels du secteur restent sceptiques, The Boring Company n’ayant pas fait la démonstration d’innovations de rupture sur le terrain.

Début Janvier 2022, les tunnels expérimentaux “anti-bouchons” construits par Elon Musk à Las Vegas apparaissent congestionnés, rappelant que malgré leur efficacité, les tunnels ne sont pas miraculeux…

Des drônes et des robots !

The Boring Company n’est pas la seule entreprise lancée dans la “disruption” du marché du tunnel. Au cœur des technologies d’avenir, on retrouve l’IA, la robotique et les drônes.

Hypertunnel fait partie des 10 entreprises innovantes sélectionnées dans le cadre du programme Catalyst de Leonard. Cette start-up anglaise met à profit le machine learning, l’impression 3D et la robotique pour proposer une solution de forage inédite. Une nuée de robots semi-autonomes est envoyée dans des forages horizontaux afin de réaliser la structure de l’édifice, avant que le déblais ne soit extrait par une machine dédiée !


Avec son robot Swifty
, la startup Petra espère remplacer les explosifs, même dans les terrains les plus durs. Le robot utilise une torche sans contact direct avec la roche, projetant un mélange de gaz à 1000 degrés. La piste de la torche à plasma d’abord envisagée a finalement été abandonnée : elle transformait la roche en lave et réduisait la vitesse des travaux. La startup a récemment levé 30M$.

Quelques chefs d’oeuvre pour la route

Actuellement en cours de forage, le Brenner Base Tunnel sera bientôt le plus long tunnel ferroviaire au monde, reliant Innsbruck (Autriche) et Fortezza (Italie) sur 64km. La moitié du travail sera réalisé par des tunneliers, l’autre grâce à des explosifs…

A Kuala Lumpur, le SMART Tunnel est à la fois conçu pour drainer les eaux de pluie dans un pays de mousson et pour réguler le trafic de la métropole. En plus d’être le plus long tunnel de Malaisie, il est le premier tunnel à double fonction de ce type dans le monde.

Le tunnel le plus long au monde est un aqueduc. Le Delaware Aqueduct s’étend sur 132 km pour 4m de diamètre. Il représente une des principales sources d’approvisionnement en eau de la ville de New-York.

Pour terminer cette revue de tunnels sur une touche esthétique, le Laerdal Tunnel en Norvège offre un bel exemple d’éclairage. Conçu pour éviter aux conducteurs de s’assoupir pendant les 24,51km de traversée, il imite les lumières d’un lever de soleil !

Source – Svein-Magne Tunli – CC

Vers une ville souterraine ?

Au-delà des enjeux d’infrastructure, le déploiement des tunnels pose la question de l’occupation des sous-sols. L’architecte Dominique Perrault propose d’ailleurs le nom de “groundscape” pour caractériser ce nouveau paysage. Celui-ci ne doit plus être uniquement caché, humide et hostile, mais valorisé et sublimé. De quoi imaginer de nouvelles fonctions pour nos chers tunnels ?

 

 

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