Polycrise et pénuries
Dans une note de conjoncture commandée par le Conseil national de l’Ordre des architectes, le CREDOC explique que la crise actuelle se caractérise par “des difficultés d’approvisionnement et une hausse des coûts des matériaux, elle-même due à une hausse des coûts des énergies”. Ces phénomènes sont des conséquences directes de la pandémie et de la crise d’approvisionnement qui a accompagné la reprise économique. À cela s’est ajoutée la guerre en Ukraine, qui fait craindre une inscription de la crise dans la durée, en particulier pour le secteur de l’acier, très dépendant de la Russie et de l’Ukraine, premiers fournisseurs de l’Union européenne…
L’image
L’usine Azovstal, devenue un symbole de résistance des Ukrainiens, était également un maillon clé des chaînes d’approvisionnement de l’acier en Europe. Elle produisait un cinquième de l’acier ukrainien et 3,8% des exportations de biens du pays, elle était par ailleurs la seule usine capable de fabriquer des rails en Ukraine. Les usines italiennes et britanniques du groupe Metinvest étaient entièrement dépendantes de la production de la tristement célèbre usine de Mariupol…
Une inflation généralisée
Ces crises globales entraînent tout un faisceau de conséquences dont le résultat est une hausse des prix généralisée. Depuis janvier 2020 en France, l’acier, les demi-produits en aluminium ou les éléments en béton affichent une hausse de respectivement 80%, 60% et 7%… Les causes, largement interconnectées, sont à chercher du côté de l’énergie, des coûts de transport ou de la forte demande. Le gaz et l’électricité – dont les prix ont plus que doublé depuis le début de l’année – représentent ainsi 10% des coûts des producteurs d’acier. Le prix du fret maritime a quant à lui été multiplié par 5 depuis 2019, entraînant avec lui une augmentation majeure des coûts à l’import.
Face aux retards et aux faillites, la construction demande des mesures
Les conséquences de cette crise des matériaux sont colossales. En France, les trois quarts des chantiers affichent un retard dû aux retards de livraison de matériaux. Aux Royaume-Uni, des centaines d’entreprises du secteur de la construction ont mis la clef sous la porte chaque mois en 2021, souvent à cause de difficultés d’approvisionnement ou de hausse des prix… Dans ce contexte, la Fédération Française du Bâtiment fait appel au gouvernement pour mettre en place un véritable plan de résilience : une baisse du taux de TVA sur les carburants, un gel des prix de l’énergie et des carburants, la prise en charge intégrale de l’activité partielle qui découlerait de pénurie, etc… En Inde, une mesure de baisse des taxes sur l’importation de ciment et d’acier tente également de contrecarrer l’inflation.
Une opportunité dans la crise : les alternatives durables
Face à la pénurie, tout un faisceau de solutions existent. Elles trouvent dans la crise une opportunité de s’organiser en filières, afin de passer à l’échelle.
- Favoriser les logiques circulaires. Souvent discutées pour leurs vertus environnementales, les questions du recyclage ou de la réutilisation sont également intéressantes en cas de pénurie. Elles proposent en effet des solutions locales et disponibles, mais demandent un véritable changement culturel. Aujourd’hui, environ 1% des matériaux de construction sont réemployés et la structuration de la filière est balbutiante. Dans ce contexte, la cartographie des mines urbaines est sans doute une des premières étapes. Cette pratique qui consiste à évaluer la quantité de matériaux disponibles dans le bâti permet en effet de ne plus considérer les bâtiments existants comme des futurs déchets, mais comme de futures ressources.
- Utiliser de nouveaux matériaux. Directement liée aux logiques circulaires, l’ingénierie de nouveaux matériaux peut également offrir des solutions en faisant peser la demande sur des produits moins demandés. Un béton composite comme TimberRoc s’appuie sur 90% de bois broyé et recyclé. Les briques de “cendres volantes”, issues des combustions industrielles, se développent rapidement en Inde. D’autres matériaux, loin d’être nouveaux mais peu chers, disponibles, et efficaces sont amenés à faire leur grand retour dans le sillage de la pénurie. Le bambou associe légèreté et solidité, la paille offre une excellente isolation, et le torchis est largement disponible…
- Limiter l’utilisation des matériaux. L’adaptation des procédés constructifs afin de limiter la quantité de matériaux utilisés est également une option. Un récent débat organisé par PaperJam au Luxembourg soulignait l’utilité de revenir à des normes moins contraignantes dans le béton armé par exemple. La principauté impose en effet 120 à 130 kilos de ferraille par mètre cube de béton, contre 80 à 90 en France. Les panneaux isolés préfabriqués permettent également d’économiser d’importantes quantités de bois. Une étude de la Royal Society montre par ailleurs que l’acier structurel de nos bâtiments est utilisé à 50% de ses capacités. Cela signifie qu’une optimisation de la conception – en particulier à travers les capacités de simulation du BIM – pourrait réduire de moitié l’utilisation d’acier !
Le cas particulier du sable
Matériau de construction par excellence, le sable est également au bord de la pénurie. Mais ici, la crise n’est pas due uniquement à une question de chaîne d’approvisionnement ou de conjoncture des crises. La disparition du sable propre à la construction résulte d’une surconsommation, et s’accompagne de lourdes conséquences environnementales…
Si la crise en cours est appelée à durer, les acteurs du bâtiment vont devoir entreprendre, comme dans de nombreux autres secteurs, un profond travail d’adaptation afin de réduire les dépendances étrangères et de développer des filières locales et vertueuses. Une chance pour l’économie circulaire dans la construction ?