La neutralité carbone sans ressources ?

>
La transition vers une économie décarbonée est gourmande en ressources plus ou moins rares, présentes dans les panneaux photovoltaïques et les batteries, mais également dans le bâti. Des terres rares aux métaux critiques, la préservation des matières premières est aujourd’hui une priorité.

« Plus important que le pétrole et le gaz »

En comparant le lithium et les terres rares aux hydrocarbures dans son discours State of the Union 2022, Ursula Von der Leyen pose également un constat : la transition énergétique est (en autres sujets) une question de ressources. Les minéraux dits “critiques” jouent en effet un rôle central dans la transition énergétique. Présents dans les panneaux solaires, les éoliennes, les batteries et l’ensemble des technologies bas-carbone, ils conditionnent en partie la réussite des efforts de décarbonation. A titre d’exemple, l’AIE explique qu’une voiture électrique demande 6 fois plus de minéraux qu’un véhicule thermique. Cette pression sur la ressource est amenée à s’amplifier avec l’accélération des efforts et la multiplication des plans de neutralité carbone. Selon Capgemini et l’Institut National de l’Économie Circulaire, dans un scénario de “business as usual”, la criticité des métaux et minéraux les plus demandés pourrait être multipliée par 16 d’ici 2050. 

Eviter et réduire

Pour éviter les pénuries, la première solution consiste (comme souvent) à tenter de réduire la voilure au maximum, en limitant la demande. Selon WWF, nous sommes aujourd’hui en mesure de réduire la demande de 58%, tout en conservant notre capacité à décarboner l’économie. Pour cela trois leviers principaux peuvent être actionnés : les progrès technologiques (pour 30%), la circularité (pour 18%) et le recyclage (pour 10%). Pour l’ONG, l’enjeu va bien au-delà du carbone, et touche la protection de la biodiversité. Limiter la demande en ressource permet en effet de protéger des espaces naturels encore préservés des activités minières, comme les fonds marins. 

Des innovations de rupture ?

La piste de l’innovation est à la fois la plus prometteuse et la plus incertaine. Elle se traduit aujourd’hui dans le développement de solutions pensées pour leur faible impact sur les ressources. Ce mouvement de substitution technologique pourrait avoir un impact majeur dans des domaines aussi éloignés que les batteries ou le béton. Les batteries sans cobalt formulent déjà de belles promesses alors que des matériaux plus étonnants comme le coton ou l’eau de mer font l’objet d’explorations très sérieuses. Dans le même temps, les bétons bas-carbone, capables de remplacer le clinker traditionnel par des géopolymères ou des ciments sulfo aluminate de calcium font également des progrès importants. La capture du carbone permet enfin d’imaginer de nouvelles manières de limiter les émissions, tout en donnant naissance à une économie circulaire du CO2

La circularité comme nécessité 

Bien que prometteuses, les avancées technologiques ne sont qu’une partie de la solution. Une transformation culturelle majeure est nécessaire afin de passer d’un modèle linéaire à une économie circulaire de la ressource. Plus de 50 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE ou e-wastes) sont produits chaque année à l’échelle mondiale, pour un taux de recyclage d’environ 17,5%. D’ici 2030, plus dun million de batteries de véhicules électriques devraient arriver en fin de vie. En Europe, un cadre légal est en train de se mettre en place afin d’encadrer le cycle de vie des batteries et d’assurer un haut niveau de recyclabilité. Une tendance suivie par les constructeurs, qui déploient des moyens importants pour encourager la circularité. Northvolt a récemment levé 5 milliards d’euros pour augmenter sa capacité de recyclage. Le groupe Suedois a également ouvert la plus grande usine de recyclage de batteries d’Europe, à Fredrikstad en Norvège. L’objectif d’ici 2030 ? Sourcer 50% des métaux utilisés dans les batteries à partir du recyclage. 

Vers une réindustrialisation circulaire ?  

Les “vieilles” économies sont souvent montrées du doigt pour leur retard au sujet des énergies propres (en particulier vis-à-vis de la Chine). Une transition vers des modèles plus circulaires et de nouveaux types de ressources laisse entrevoir une opportunité de réindustrialisation. Selon CapGemini, une réindustrialisation circulaire de la France pourrait réduire de 76% la dépendance aux apports en métaux et minéraux. En plus de protéger efficacement la souveraineté économique, c’est une manière d’encourager l’activité industrielle locale, en remplacement de l’importation de ressources. La levée de fonds record (2 milliards d’euros) menée par Verkor en 2023 s’inscrit dans cette logique. Le fabricant de batteries “bas-carbone” va ainsi construire une gigafactory à Dunkerque et prévoit la création de 1200 emplois directs. 

Le spectre de la greenflation

Le néologisme est assez éloquent. Il désigne la hausse des prix des matières premières liées à l’augmentation de la demande pour des solutions décarbonées. La “greenflation” est également décrite comme le résultat de l’intensification des réglementations environnementales, plus contraignantes pour les exploitations minières. Dans les faits, cette tendance à la hausse revêt une forte dimension politique, souvent utilisée par ceux qui ont intérêt à ralentir la sortie des énergies fossiles. Dans un article intitulé The deflation of greenflation, le Financial Times mettait récemment en avant les prix du lithium, revenus en 2024 au niveau de 2021. Entre une réorganisation de chaînes de distribution et une forte augmentation de l’offre, les promesses d’une catastrophe économique se sont pour l’instant révélées fausses… 

Une guerre des métaux ? 

Au-delà de la question du prix, les ressources clefs de la transition énergétique se trouvent aujourd’hui au cœur des enjeux géopolitiques. La Chine raffine 92% des terres rares, 68% du cobalt, 65% du nickel et 60% du lithium. Cette domination sans partage de la supply chain est aujourd’hui utilisée à des fins politiques, en bloquant les exports de graphite à la Suède en 2020, ou de terres rares au Japon 10 ans plus tôt. De manière plus générale, et dans un contexte de pénurie et de repli global, 10% des exportations mondiales de matières premières critiques sont aujourd’hui soumises à des mesures de restriction. A plus ou moins long terme, cette tension politique croissante autour des ressources pourrait représenter un frein majeur pour la transition écologique…

Souvent limité à la question des batteries ou des smartphones, le sujet des ressources critiques se révèle aujourd’hui central pour la plupart des acteurs industriels. Dans le bâtiment par exemple, les métaux se glissent un peu partout : du silicium des panneaux photovoltaïques au cobalt des pigments bleus, en passant par le chrome ou le nickel des serrureries ou le gallium-indium des éclairages LED… Cette omniprésence constitue aujourd’hui un argument supplémentaire en faveur d’une meilleure préservation de la ressource.

Partager l'article sur