La PropTech face aux crises de l’immobilier
L’immobilier traverse actuellement une période de crise à la fois conjoncturelle et structurelle. Le marché du neuf est au ralenti avec une baisse de 34% sur les réservations d’appartements en 2023 alors que l’ancien suit la même tendance, ce qui entraîne une saturation du marché locatif… Cette crise protéiforme bénéficie aux acteurs de la PropTech, qui trouvent dans cet ébranlement un moteur pour l’adoption de nouvelles technologies et de nouveaux modèles. “Il s’agit de faciliter l’accès à la propriété, principalement grâce à des solutions d’ingénierie financière qui n‘ont pas évolué depuis de décennies. On trouve également de nouveaux modes de consommation des logements neufs. Les proptech répondent enfin à des besoins plus structurels, à la fois sociétaux et environnementaux, et qui peuvent se résumer à construire plus vert tout en gardant des coûts maîtrisés”, explique Sara Himmich, fondatrice du collectif Women in Proptech.
Bousculer le financement
La PropTech s’est fait connaître en facilitant la transaction et la mise en relation entre acheteurs et vendeurs. Des acteurs comme Zillow aux Etats-Unis, Se Loger en France ou Idealista en Espagne et en Europe font désormais partie du paysage numérique. Dans un contexte de crise, le secteur s’est tourné du côté des nouveaux modèles de financement et tente de trouver des solutions au problème complexe de l’accession à la propriété. Leasing, prêts participatifs, co-achats ou nouvelles solutions de courtage font désormais florès. En France, Sezame ou Hestia se positionnent déjà sur le leasing alors qu’Adam Neumann – le fondateur controversé de WeWork – a levé plusieurs centaines millions de dollars avec Flow, qui propose un concept similaire. Dans le même temps, d’autres acteurs testent des modèles plus originaux. C’est le cas de Heimkapital en Allemagne, qui cible les personnes âgées (ou toute personne riche en biens immobiliers et pauvre en liquidités) en proposant à ses utilisateurs de vendre une partie de leur bien pour obtenir immédiatement du cash tout en continuant à vivre dans leur domicile.
Faire émerger des usages
Au-delà des finances, la PropTech cherche également à bousculer nos manières d’habiter et tente de démocratiser de nouveaux usages. Ici, le numérique facilite la mise en relation et la gestion des espaces, mais c’est bien les nouveaux modes “d’habiter” qui constituent la principale innovation. Au cœur de la tendance, les différentes formes de coliving apportent des solutions à la pénurie de logement. D’abord pensé pour les travailleurs nomades, ce modèle s’étend aujourd’hui à d’autres types d’usagers. En France, la startup Commune s’adresse ainsi aux familles monoparentales en proposant des espaces pensés pour faciliter les solidarités entres parents “solos”. D’autres, comme l’italien DoveVivo, ciblent en particulier les étudiants en imaginant un modèle situé quelque part entre la colocation et la résidence étudiante. Le concept séduit également les séniors, en proposant un mode de vie communautaire et une assistance médicale, sans les travers de la maison de retraite. La startup française Colette va un peu plus loin en imaginant un modèle de coliving intergénérationnel. Après avoir levé 1 million d’euros, elle espère faciliter l’accès au logement des jeunes tout en aidant les hôtes à vivre mieux à la maison.
Optimisation : quand l’IA transforme l’immobilier
Du côté des innovations technologiques, la proptech n’échappe pas à la vague de l’IA – générative ou non – qui permet de dépoussiérer et d’optimiser les méthodes du secteur immobilier. S’il est encore difficile d’embrasser la totalité du champ des possibles, un certain nombre d’acteurs valorisent déjà l’IA pour optimiser l’expérience des acheteurs, des vendeurs et des professionnels du secteur. Avec PropPal, l’entreprise américaine REAI propose par exemple des solutions d’automatisation de rédaction des offres aux agents immobiliers. Côté vendeurs, la startup italienne Casavo (qui a levé plus de 700M€ depuis 2020) met ses algorithmes au service du iBuying, qui consiste à proposer une estimation et une vente quasi “instantanée” d’un bien immobilier. Chez les investisseurs, le domaine de la gestion de portfolio est également transformé par l’impact de l’IA. Un acteur comme IMMO propose ainsi une solution de sourcing automatisée des biens, ainsi qu’une capacité à identifier automatiquement les meilleures opportunités d’investissement…
Vers un immobilier plus durable ?
Au-delà des crises conjoncturelles, tout un pan de la proptech a pour ambition de bâtir un secteur immobilier plus durable, et plaide pour un rapprochement avec le secteur de la construction. “On ne peut pas parler d’immobilier sans parler de construction. Le moment est venu de voir le sujet dans sa globalité, on manque d’acteurs ayant une vision sur l’ensemble de la chaîne de valeur”, précise Sara Himmich. En attendant, un certain nombre d’acteurs développent déjà les briques nécessaires à l’émergence d’un habitat plus durable. La startup allemande Predium permet ainsi aux promoteurs et aux gestionnaires de biens de fixer des objectifs en termes de RSE ou d’implémenter plus facilement des mesures de réduction des émissions. Pour garantir une optimisation environnementale sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments, il reste aujourd’hui à interfacer ces outils de gestion immobilière avec les innovations qui émergent dans le secteur de la construction autour des matériaux durables, de l’efficacité énergétique, de la gestion des déchets, du BIM ou des analytics…
Hyperactif, le secteur de la proptech ambitionne de transformer nos manières de construire, de financer et d’habiter le bâti. Pour y parvenir, il doit à présent s’installer durablement dans les usages au-delà de l’expérimentation. “Le grand sujet, c’est le passage à l’échelle. Pour être rentable, les économies d’échelle sont nécessaires et il faut que les startups arrivent à dépasser le stade de la Proof Of Concept”, conclut Sara Himmich.