L’été a commencé, et il est probable qu’il comportera des épisodes de canicule. Le précédent fut déjà le plus chaud jamais enregistré, battant 2019 et 2016, qui se disputaient auparavant la première marche du podium.
Avec le réchauffement climatique, les vagues de chaleur vont devenir de plus en plus fréquentes, intenses et longues au cours des décennies à venir. Or, elles constituent d’ores et déjà l’élément climatique le plus meurtrier en Europe, où les 83 vagues enregistrées depuis le début du siècle ont tué 140 000 personnes.
Et si l’on associe communément chaleur et sécheresse, le réchauffement de la planète rend pourtant aussi les villes plus vulnérables aux inondations. Un phénomène qui concerne les cités côtières, affectées par la montée des eaux (celle-ci pourrait contraindre 630 millions de personnes à quitter leur habitat), mais pas seulement. En effet, le changement climatique accroît la fréquence des événements extrêmes, dont les tempêtes, ouragans et autres pluies diluviennes.
La saison 2020 dans l’Atlantique Nord a ainsi été particulièrement brutale, avec un record de 27 ouragans. Rappelons qu’en 2005, le seul ouragan Katrina a plongé 80% de La Nouvelle-Orléans sous les eaux, tuant 1 800 personnes. En France, les inondations représentent le premier risque naturel, où 17 millions d’habitants sont exposés au risque d’inondation par débordement de cours d’eau et 1,4 million à celui de submersion marine.
Vers la fin des tours de verre ?
Rendre les villes plus résilientes aux pics de chaleur et aux inondations implique d’abord de faire évoluer les pratiques architecturales. Les gratte-ciel aux façades de verre uniformes, parce qu’ils concentrent le rayonnement infrarouge, sont concurrencés par des concepts de bâtiments aux façades conçues pour préserver autant que possible l’intérieur de l’accumulation de chaleur, composés de matériaux innovants – composites constitués de couches isolantes ou matériaux à changement de phase thermiques, par exemple.
Les toitures sont également un point focal de la lutte contre le réchauffement. Localisée en Bretagne, la jeune pousse Cool Roof conçoit ainsi un enduit biosourcé permettant de lutter contre les îlots de chaleur par application d’un enduit réfléchissant sur les toitures. Un dispositif low-tech à la fois durable et abordable.
Les toits végétaux, équipés de plantes susceptibles de résister aux fortes températures et aux périodes de sécheresse, constituent une autre piste fertile pour conserver un peu de fraîcheur en intérieur quand le thermomètre atteint des sommets. La végétalisation des sols et des toits permet en outre de faire d’une pierre deux coups, puisqu’elle améliore la rétention d’eau et limite ainsi les risques d’inondations. Citons également le wet floodproofing, qui vise à concevoir des structures pour que les eaux de crue puissent y pénétrer sans dommage (matériaux résistants, protection des équipements, gestion adaptée des ouvertures, etc.)
Étienne Bourdais, qui animechez Leonard les réflexions sur la conception-réalisation innovante d’infrastructures et d’ouvrages intégrant les enjeux du changement climatique, a réuni architectes, bureaux d’études, collaborateurs de VINCI, maîtres d’oeuvre et urbanistes pour “plancher” sur des cas d’étude concrets d’adaptation au changement climatique, à faible empreinte carbone. Parmi ceux-ci, le réaménagement urbain d’une bande littorale (Concorde), la modularisation d’une plateforme aéroporturaire exposée aux submersions (Clément Blanchet Architecture), la conception de résidences senior à basse énergie, assurant confort thermique et accessibilité (Dream architectes et ZEFCO), ou encore l’adaptation d’un programme hôtelier exposé en front de mer à l’île Maurice (AIA life designers). Pour ce dernier projet, c’est le recours à des structures en matériaux locaux et bio-sourcés, conçues pour résister aux vents violents et placées en hauteur pour être moins vulnérables à la montée des eaux, qui signe la démarche résiliente.
De manière plus systématique, des outils sont progressivement mis en place pour faciliter la tâche des architectes. Conçu pour accompagner les acteurs du bâtiment et de l’aménagement urbain dans ce processus d’adaptation, le programme Bat-ADAPT (Bâtiments adaptés), initiative de l’Observatoire de l’Immobilier Durable, permet d’évaluer la vulnérabilité climatique des bâtiments à différents phénomènes, dont les vagues de chaleur et les inondations. Il fournit également des recommandations pour mieux s’en prémunir.
Les ressources de l’architecture traditionnelle
Le passé peut également être source d’inspiration. Les habitants des régions côtières ont de longue date appris à construire des maisons sur pilotis pour se protéger des risques d’inondation : on en trouve de nombreux exemples à travers les cultures, des palafitos de l’île de Chiloé, au Chili, aux maisons en bois des Ifugao, aux Philippines, en passant par le rorbu norvégien. Ce dispositif a également l’avantage de procurer de la fraîcheur grâce à l’air qui circule sous la maison.
De même, les régions les plus chaudes du globe, qui ont dû apprendre à rester au frais bien avant l’existence de l’air conditionné, disposent de techniques architecturales traditionnelles susceptibles de servir de source d’inspiration. Citons par exemple le badguir iranien, qui permet de créer une ventilation naturelle dans les bâtiments, ou encore les maisons construites autour d’une cour intérieure, qui permet d’évacuer la chaleur en journée, typique des pays du golf.
Les villes se mettent au vert
Que la démarche d’adaptation puise dans la tradition ou l’innovation la plus récente, elle doit cependant dépasser l’échelle du bâtiment pour avoir un impact significatif. Elle doit s’accompagner d’une vision politique, portée par les collectivités. En effet, la vulnérabilité à la chaleur et aux inondations comporte également une dimension systémique, liée à l’occupation du sol (sols minéralisés, absence de végétation…) et à la morphologie urbaine (voies de circulation importantes, manque de chemins d’évacuation…). Ainsi, l’étalement urbain, l’artificialisation des sols et l’assèchement des marais pour y construire des projets immobiliers ont contribué à rendre Houston plus vulnérable à l’ouragan Harvey, qui a inondé un tiers de la ville en 2017.
Une solution simple réside dans la végétalisation. La ville de Melbourne, en Australie, entreprend ainsi un vaste programme de mise au vert afin d’améliorer la qualité de l’air, de générer de l’ombre et de la fraîcheur. À Milan, le ForestaMi project vise à planter trois millions d’arbres d’ici 2030, avec pour objectif de faire baisser les températures enregistrées dans la ville de deux degrés. Les racines des arbres permettent en outre d’absorber l’eau, tandis que leurs feuilles réduisent la quantité qui s’accumule sur le sol.
La municipalité de Lyon a de son côté réaménagé la rue Garibaldi, un boulevard urbain de 5 km, avec, outre des implantations d’arbres, des revêtements de couleur claire absorbant davantage la chaleur et un fossé pour récupérer l’eau de ruissellement. Des capteurs de température évaluent l’apport de fraîcheur et permettent de détecter lorsque les les arbres ont besoin d’être arrosés. L’opération est alors effectuée au moyen de l’eau stockée dans un bassin enterré.
Les outils permettant aux villes de détecter les risques en amont grâce à la technologie vont également se multiplier. La startup toulousaine vorteX.io a ainsi conçu à l’intention des collectivités un service de mesures en hydrologie à partir d’un réseau étendu de capteurs intelligents, qui s’appuie sur la transposition de solutions satellitaires de télédétection. Il permet de recueillir un ensemble de paramètres hydrologiques, de surveiller les cours d’eau et de prévoir des phénomènes de crue et de sécheresse.
Des initiatives à toutes les échelles, de la rue à l’international
Mais l’échelle municipale est, elle aussi, trop restreinte, car les risques posés par les épisodes caniculaires affectent l’intégralité du territoire. C’est fort de ce constat que le groupe VINCI a mis en place le bureau d’études Resallience, qui offre des services de conseil, de modélisation et de pilotage de projets aux villes et territoires souhaitant adapter leurs infrastructures au changement climatique. Et c’est dans la même perspective que l’ADEME a lancé l’Appel à Communs en mars dernier, un programme de financement visant à faire évoluer la résilience des territoires dans une logique d’adaptation aux changements climatiques, en produisant des ressources ouvertes (ou communs).
Il s’agit à la fois de rassembler les acteurs publics et privés, et de travailler sur le temps long. VINCI porte dans ce contexte un des trois projets lauréats de la consultation de l’ADEME. “La rue commune” est un guide co-développé avec l’agence Richez & associés, Franck BOUTTE Consultants qui permettra dès 2022 aux territoires et aux acteurs de la ville de développer un nouveau standard de rue ordinaire métropolitaine – post-carbone et post-covid. Ce guide s’appuie sur une transition forte des mobilités, et sur deux leviers d’action : la transformation du sol et la transformation de ses usages. Désimperméabilisation, drainabilité, fertilisation… autant d’aspects qui permettraient de mieux lutter à la fois contre les vagues de chaleur, la sécheresse et les inondations.
Programme environnemental des Nations Unies, la Cool Coalition vise de son côté à assister les pays dans la mise en œuvre d’une stratégie nationale pour développer des alternatives écologiques à la climatisation. Elle rassemble des États (la France, les Philippines, le Japon…), des organisations internationales (la Banque Mondiale), des villes (Medellin, Copenhague…) et des grands groupes (Engie, Electrolux…).
Citons encore, en France, le concours national d’idées AMITER, qui vise enfin à faire émerger des solutions pour mieux aménager les territoires exposés aux risques naturels, autour de neuf sites français soumis à divers risques, dont à la montée des eaux. Les candidats doivent remettre leur projet le 16 juillet prochain.
Toutes ces innovations ne doivent pas faire oublier l’autre volet des politiques de résilience climatique/urbaine, soit la sensibilisation des populations à la lutte contre les risques. Une culture commune sans doute amenée à se développer dans les prochaines années avec des initiatives comme celle portée par Fred Courant (ex « C’est pas sorcier ») dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le Ministère de la Transition écologique à ce sujet.