La ville, le meilleur endroit pour vieillir ?

En 1982, se tenait à Vienne la première Assemblée mondiale sur le vieillissement. 40 ans plus tard, le sujet est devenu central pour les villes du monde entier, qui tentent de redéfinir les contours d’une ville “age-friendly”.

Plus vieille la ville

Les chiffres sont éloquents : alors que l’on comptait 1 milliard de personnes âgées de plus de 60 ans en 2020, elles seront 2 milliards en 2050. Combiné à une urbanisation toujours rapide (55% de la population aujourd’hui, 68% en 2050), ce chiffre pose la question de la capacité des villes à garantir une existence digne aux plus âgés. La question est d’autant plus préoccupante que cette transformation est rapide, en particulier dans les pays en développement. En France, il a fallu 150 ans pour que la population âgée de plus de 60 ans passe de 10 à 20%. Au Brésil, en Chine ou en Inde, cette transition sera réalisée en à peine plus de 20 ans… Le défi est immense, mais la ville a aujourd’hui les arguments pour y répondre. Une étude Eurostat montre ainsi que les personnes âgées vivant en ville présentent une meilleure santé que leur homologues ruraux…

Une transformation globale pour la ville

Dans les faits, la construction d’une ville “age-friendly” appelle une réponse systémique: de l’urbanisme aux transports en passant par l’habitat, l’inclusion sociale, l’emploi, les services de santé ou les aspects communautaires. Dans le cadre de son Global Network of Age-friendly Cities and Communities, l’OMS a développé une checklist destinée aux décideurs qui donne un bon panorama des enjeux. De la qualité des trottoirs à la signalétique des transports, en passant par l’accessibilité des soins ou la valorisation publique des personnes âgées, le sujet concerne l’ensemble des politiques de la ville.

Une ville compacte ? 

Au Japon, la ville de Toyama (415 000 habitants) incarne à merveille les vertus d’une réponse globale à la question du vieillissement urbain. Impulsée par Masashi Mori, maire charismatique de la commune jusqu’en 2021, cette politique se traduit dans la mise en place d’une “ville compacte”, qui n’est pas sans rappeler la fameuse “ville du quart d’heure” voulue à Paris. Le développement de Zones d’Encouragement Résidentiel (REZs) permet – grâce à des incitations économiques – d’attirer les personnes âgées des territoires périurbains vers les zones denses, et de concentrer ainsi les services sur des espaces réduits. Le déploiement d’un réseau efficace de tramways, pensé pour être accessible, constitue la colonne vertébrale du dispositif en termes de transports. Des écoles ont été transformées en centres de santé pour personnes âgées, alors que les zones rurales autour de la ville bénéficient de services dédiés de soins à domicile.

Penser le lien intergénérationnel

Une des problématiques centrales de la ville vieillissante reste aujourd’hui l’isolement des personnes âgées. Dans ce contexte, l’habitat intergénérationnel apporte un certain nombre de réponses. Des initiatives telles que Colette en France ou Tandems au Luxembourg et en Espagne proposent des services de coliving intergénérationnel afin de répondre en même temps à l’isolement des personnes âgées et à la fragilité financière des plus jeunes. A Cleveland, la maison de retraite Judson Manor accueille des résidences de jeunes musiciens gratuitement en échanges d’un certain nombre de concerts par an. A Langres, en France, la résidence des 3 Margelles combine habitat intergénérationnel, habitat social et préservation de patrimoine inoccupé. Situé dans un bâtiment appartenant à la communauté religieuse des Sœurs de la Providence, le projet accueille désormais des retraités, des mères célibataires et des jeunes en rupture sociale. En revanche, il est important de ne pas tomber dans une forme de “gérontocratie” où les jeunes actifs précaires sont mis au service des plus âgés. Dans Le Monde, la chercheuse Sophie Buhnik prend une nouvelle fois l’exemple du Japon et souligne l’influence parfois négative des mesures de protection des séniors vis-à-vis du reste de la population, elle cite ainsi une “demande croissante en services mobiles assurés par une main-d’œuvre jeune et mal rémunérée”.

Les “age-techs” au service de la ville ?

Les nouvelles technologies ont également la tentation  d’offrir des réponses pour une ville plus accessible aux personnes âgées. Du côté du “hardware”, la startup japonaise LifeHub développe un fauteuil roulant capable de monter les escaliers ou de mettre son utilisateur en position debout pour faire face aux guichets. Dans le registre d’une meilleure communication, l’IA peut être mise à profit. C’est déjà le cas en Corée du Sud ou le service Clova CareCall permet aux plus âgés d’entretenir une conversation quotidienne… avec un ordinateur. En Chine, le développement d’une Smart Elder Care promue par le gouvernement, doit permettre un accès au soin aux personnes les plus isolées. L’utilisation intelligente des données peut également favoriser l’émergence d’une ville pensée pour les personnes âgées. C’est toute l’ambition du projet européen URBANAGE, qui a pour objectif de mettre les analytics, la visualisation de données, les algorithmes prédictifs et les technologies de simulation au service des seniors à travers des “digital twins locaux”. Le projet a déjà permis de développer un Age Friendly Route Planner pour dessiner des parcours adaptés aux séniors ou un Age Friendliness Index pour mesurer l’adaptation des différents quartiers, tout en mettant en place une base de données participative sur le sujet.

De l’aménagement urbain aux technologies en passant par les transports, la ville a encore du chemin à parcourir pour s’adapter aux besoins des personnes âgées. Cependant, le découpage des populations urbaines en “tranches d’âge” reste une démarche risquée. Trop simplificatrice, elle ne permet pas de rendre compte de la dimension systémique des dynamiques urbaines. Comme le rappelle le Cercle Vulnérabilités et Société, “La question de l’intergénérationnel est traitée comme une question de division par nature dont on s’efforcerait d’atténuer les effets, et non comme une question de cohésion par nature (productrice de lien social, de transmission) dont on s’efforcerait de promouvoir les aspects rassembleurs et le potentiel créatif”. Un appel donc à penser l’inclusivité comme une ressource pour les villes et les territoires.

Pour aller plus loin, retrouver la table ronde que Leonard avait organisé en 2021 sur le thème : « Peut-on bien vieillir en ville ? »

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