NB : Cet article est issu du yearbook Leonard 2023 à paraître prochainement.
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Vous défendez depuis de nombreuses années un urbanisme politique et engagé, un urbanisme-réponse, un urbanisme-solutions, à travers un retour aux communs, la sanctuarisation de parts inconstructibles, ou du concept de TEGPOS (territoire à énergie globale positive). À quelles conditions l’urbanisme permet-il de penser un avenir durable pour les villes et les territoires ?
Si par “durable” on entend “répondre aux défis du changement climatique” alors l’urbanisme a un nouveau défi à relever : celui de l’adaptation. On a jusqu’ici été du côté de l’atténuation des effets du changement climatique. Mais ces stratégies d’atténuation reposent pour l’essentiel sur des décisions extra-territoriales, régionales, nationales voire internationales. L’urbanisme peut en être un levier, mais à la marge. Non, la vraie raison d’être de l’urbanisme aujourd’hui c’est l’adaptation. Un bel enjeu qui nécessite depenser l’urbanisme différemment, comme un vecteur de transformation et de transition.
Qu’entend-on par “adaptation” exactement ?
L’avenir est en grande partie fait du présent, surtout dans nos pays du Nord à faible croissance économique et démographique. 80 % des bâtiments de 2050 existent déjà aujourd’hui, mais quasiment aucun ne sont adaptés à demain. Adapter c’est se poser la question d’où est-ce qu’on en est aujourd’hui et quels sont les risques auxquels nous sommes soumis. Quels seront les aléas demain ? À quoi ressemble le chemin pour aller de l’état connu d’aujourd’hui à l’état supposé de demain ? C’est bien plus engageant que l’atténuation, qui tente de répondre aux problèmes d’aujourd’hui pour infléchir les trajectoires du réchauffement climatique. C’est un nouveau rôle pour l’urbanisme, bien plus local, avec des réponses extrêmement territorialisées, un commun à inventer et à partager pour se projeter dans un futur plus résilient, mieux conscient de ses limites.
Qu’est-ce que ce changement implique pour les acteurs de l’urbanisme ?
Jusqu’ici les acteurs de la ville étaient de bons perspectivistes, mais cette évolution va les obliger à devenir prospectivistes pour mieux anticiper, travailler des trajectoires et des scénarisations, comprendre les dynamiques à l’œuvre, s’installer dans ces dynamiques et créer les moyens de l’adaptation. C’est un grand changement qui nécessite d’intégrer les données d’un futur possible aux processus de transformations du présent. Mais c’est en ligne avec la façon de travailler du GIEC par exemple. Et puis le “futur” fait déjà des incursions dans le présent : regardez la crise sanitaire, ou les catastrophes climatiques de l’été 2022. Les scénarios sont déjà là.
Faut-il faire évoluer les façons de travailler ?
C’est évident. Et il ne s’agit pas de remplacer l’atténuation par l’adaptation, mais de les coupler, pour répondre à des temporalités différentes. Évidemment, tout doit être tenté pour atténuer autant que possible, agir sur les courbes pour minimiser les impacts ; mais parallèlement, il faut adapter nos villes et territoires, c’est-à-dire intégrer une forme d’indéterminé et d’aléas au projet, et donc questionner notre approche des “risques naturels”, en intégrant des méthodologies d’évaluation en temps réel. Pour travailler de façon prospective il faut aussi aller chercher au-delà du champ classique de l’urbanisme pour s’appuyer sur les travaux scientifiques ou d’autres formes de scénarisation, en faisant appel à des auteurs, des « imagineurs ». Il nous faut intégrer de nouveaux acteurs à la fabrique du projet. Cet élargissement, c’est un des apports de l’ingénierie écologique : un rapprochement entre les mondes, un urbanisme du “faire”, de l’action, qu’a voulu notamment reconnaître le Grand Prix de l’urbanisme de 2022.
Cela pousse-t-il l’urbanisme à s’intéresser à d’autres champs ?
Oui, parce que l’adaptation se joue aussi beaucoup dans les vides et il faut absolument s’y réintéresser. Les vides sont des impensés en d’aménagement puisqu’on ne mise que sur les pleins, les bâtis, les infrastructures. Or on le voit dès que l’on commence à réfléchir aux questions des îlots de chaleur dans les villes par exemple, les vides sont un levier essentiel. C’est tout l’objet d’une initiative comme Rue Commune : là où la rue ordinaire cumule tous les fléaux, penser la rue comme un vide commun permet d’en faire une solution d’adaptation.
Quels sont les enjeux prioritaires dont doit se saisir l’urbanisme ?
On l’a dit, l’adaptation est la priorité numéro 1. Mais c’est un vrai changement de braquet à opérer : un changement culturel, économique, politique et social. Ce sont des choix importants qu’il faudra avoir le courage de faire. 25% des logements existants sont par exemple déjà inadaptés aux conditions d’aujourd’hui. Et ce sont essentiellement les plus pauvres qui sont les plus vulnérables au changement climatique. Adapter le bâti ce n’est donc pas qu’une question d’urbanisme : c’est un enjeu politique et social extrêmement important. D’autant qu’il y a aussi une pertinence économique à trouver dans des opérations qui doivent changer d’ambition : intervenir sur l’existant, réhabiliter pour adapter, coûte souvent plus cher que construire du neuf dans un vide. Mais adresser les enjeux de l’artificialisation ou de la préservation de la biodiversité, vient rajouter des éléments à une équation économique qui n’est pas facile à résoudre. Il faudra donc faire des choix, mais c’est à ces conditions que l’urbanisme, croisant les enjeux sociaux, économiques et environnementaux, pourra retrouver une raison d’être et contribuer à faire émerger un monde adapté.
La Rue Commune
En France, plus de 20 millions d’habitants traversent ou fréquentent chaque jour une rue. Et si demain, celle-ci devenait Rue Commune ?
Il existe deux façons de concevoir la ville résiliente : en partant « d’en haut », dans une logique de planification urbaine, ou au contraire « d’en bas », pour construire ensemble, en réunissant autour d’une même table décideurs publics et acteurs privés, professionnels de l’aménagement et usagers.
Partisans de cette seconde approche, Rue Commune, projet porté par Franck Boutté Consultants, Richez_Associés et Leonard sour l’égide de l’ADEME, considère que c’est dans les rues, premier bien commun des villes, que nous pourrons construire la ville post-Covid, post-voiture et post-carbone en faisant converger qualité environnementale et qualités urbaines.
Retrouvez la synthèse du projet ici.