Le mirage de la technologie : construire un avenir sobre en ressources

Interviewé par Construction 21 suite à son intervention à la rencontre « Nouvelles technologies et croissance durable : un modèle dépassé ? » organisée par Leonard le 15 janvier, Philippe Bihouix y explique les dangers d’une réponse technologique à la crise écologique.

Philippe Bihouix - Leonard

Pourquoi prendre position pour une plus grande sobriété ?

Aujourd’hui dans la manière de lutter contre le changement climatique, les différentes solutions technologiques sont fortement mises en avant. De l’efficacité énergétique grâce aux nouveaux outils numériques à la séquestration du CO2, on cherche à « faire plus avec moins », en misant sur des moyens toujours plus innovants sur le plan technique. Pour ma part, je suis circonspect quant à leur possible impact positif sur le climat (et encore plus sur la biodiversité), car les technologies « vertes » réclament des ressources non renouvelables, souvent plus rares d’ailleurs que les technologies ou les approches plus « traditionnelles ».

Par ailleurs, le concept de croissance verte me parait dangereux et absurde sur le long terme. Maintenir un taux de croissance de 2% à l’échelle mondiale, cela implique une multiplication du PIB par deux tous les 37 ans ou encore par… 390 millions tous les 1 000 ans. Les économistes parient sur le découplage, c’est-à-dire la possibilité de faire croître le PIB tout en diminuant, en même temps, les émissions polluantes, les déchets, la consommation de ressources. Cela peut marcher partiellement ou pendant quelque temps, certes, mais qui peut croire que dans 1 000 ans nous aurons su créer des technologies 390 millions de fois plus efficaces ou moins impactantes que celles d’aujourd’hui ? Franchement, je ne connais pas d’ingénieur ou de scientifique prêt à prendre un tel pari.

 

Quels sont pour vous les facteurs limitants de cette innovation technologique ?

A mon sens, le premier enjeu est celui des ressources. Avec l’enrichissement technologique de nos objets, de nos bâtiments, de nos villes, nous « tapons dans le stock » des ressources minérales de manière accélérée. Notre économie n’est pas dématérialisée en évoluant vers les métiers de services. Nos outils technologiques demandent d’extraire toujours plus de matières premières et cela est encore plus flagrant pour les technologies vertes.

Vient ensuite le problème systémique de ce futur présenté comme plus « vert ». Les effets bénéfiques d’un côté peuvent engendrer des conséquences néfastes d’un autre. Ainsi, par exemple, de la voiture électrique, selon l’endroit où ont été fabriquées les batteries ou le contenu carbone de l’électricité utilisée. A l’échelle de la ville, la smart city ou la voiture autonome pourraient permettre de gérer au mieux les ressources, d’optimiser les flux d’énergie et de personnes, etc. Mais il faut commencer par déployer un réseau télécom 5G – qui consomme 3 à 4 fois plus d’électricité que les réseaux existants… – et surtout tous les dispositifs génèreront des tombereaux de données, amenant des besoins de stockage supplémentaires dans les data centers. Or l’impact environnemental du numérique est déjà très important (avec 10% de l’électricité mondiale, il est un émetteur de CO2 supérieur au transport aérien, et son impact croît même plus rapidement). Les villes seront peut-être plus efficaces, mais d’autres problèmes seront externalisés.

Il y a enfin l’effet rebond. Historiquement, l’efficacité technique, qui s’accompagne d’efficacité économique, a toujours provoqué une augmentation globale de la consommation, même si chaque geste, chaque objet, chaque service unitaire peut effectivement être plus efficient. La rénovation des bâtiments ne permet pas de capturer toutes les économies d’énergie escomptées par les calculs des thermiciens ; une ligne grande vitesse qui ouvre ne vide pas les aéroports, comme le covoiturage longue-distance ne vide pas les routes : c’est l’offre de déplacements qui augmente ; dans le secteur aérien, les économies de kérosène des nouvelles motorisations ont surtout permis l’essor de l’aviation low-cost. Et dans le numérique, les data centers n’ont jamais été aussi efficaces et optimisés, mais du coup le coût de stockage est aussi de plus en plus faible, et le volume de données double tous les 12 à 18 mois !

Cet article a été initialement publié sur le site de Construction 21, pour lire la suite, c’est ici 

 

Partager l'article sur