En octobre 2021, le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, estimait que les scénarios les plus sûrs et abordables pour atteindre la neutralité carbone dans trente ans passaient par le développement massif de l’éolien et du solaire, la prolongation d’une partie du parc nucléaire existant mais aussi la construction de 8 à 14 réacteurs EPR. Deux mois plus tard, la Commission européenne ouvrait la voie à une telle perspective avec une circulaire sur la taxonomie « verte » (classification des activités économiques selon leur potentiel de contribution aux objectifs environnementaux définis par l’UE), incluant le gaz et… le nucléaire au nombre des énergies de transition.
Dans la foulée, après avoir annoncé en novembre 2021 son intention de lancer la construction de nouveaux réacteurs en France – une première depuis le lancement de la construction de l’EPR de Flamanville en 2007 – le président français Emmanuel Macron a détaillé le 10 février de nouvelles mesures signant le retour en grâce du nucléaire.
Et le nucléaire devint une énergie « verte »
Cette annonce intervient alors que la pression pour atteindre un objectif zéro carbone ne cesse de croître. Que ce soit l’AIE, Agence internationale de l’énergie, ou le GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, tous s’accordent en effet sur un point : pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, l’électrification de nos usages s’impose. Et pour augmenter cette part de l’électrique dans notre mix énergétique, l’augmentation de toutes les sources de production d’électricité décarbonée.
Partant du principe que les énergies renouvelables ne pourront pas, à court ou moyen terme, répondre à ces besoins croissants, sans compter que les technologies de stockage ne sont pas assez abouties, nombreux sont ceux qui estiment finalement que le nucléaire est appelé à être le complément indispensable au déploiement des renouvelables. L’acte délégué adopté par la Commission européenne le 2 février 2022 intègre à ce titre le nucléaire au nombre des énergies qui contribuent à l’atténuation du changement climatique, à condition que les nouvelles constructions prévoient des garanties pour le traitement des déchets nucléaires et le démantèlement des installations.
De nombreux pays intéressés par l’énergie nucléaire
Certains pays ont résolument adopté cette voie. La France, donc, qui envisage de construire 14 nouveaux EPR d’ici 2050 et de rénover ses réacteurs existants pour les prolonger au-delà de 50 ans. Mais, aussi, le Japon. Le pays, où a eu lieu la catastrophe de Fukushima en 2011, déclare aujourd’hui que le nucléaire doit faire partie de son « bouquet énergétique » s’il veut devenir « neutre en carbone » en 2050. Le pays a déjà relancé la moitié de ses 35 centrales nucléaires.
Confrontés à la flambée des prix de l’énergie et à la question de leur sécurité énergétique, plusieurs pays d’Europe de l’Est comme la Pologne, encore fortement dépendants du charbon et du gaz, se tournent également vers le nucléaire. La Grande-Bretagne, la Russie, l’Inde ont, elles aussi, planifié la construction ou la réactivation de centrales. Mais c’est la Chine qui a fixé les objectifs les plus élevés en la matière : sur les 59 réacteurs dont la construction a démarré depuis Fukushima, 28 sont chinois.
Des pays ont au contraire fait le choix de sortir du nucléaire. Les précurseurs en la matière ont été l’Autriche dès 1978, la Suède (1980) et l’Italie (1987). La Belgique a également décidé de s’en passer en 1999, suivie par l’Allemagne et la Suisse en 2011. Un tel choix nécessite cependant d’adapter de façon transitoire son système de production d’électricité. L’Allemagne par exemple, qui s’est engagée à recourir pour 80% aux renouvelables en 2030, doit en attendant massivement recourir à ses centrales thermiques au gaz et au charbon.
Quant aux pays les plus avancés sur le chemin du 100% énergie renouvelable, s’ils ne sont pas légion, leur nombre ne cesse d’augmenter. L’Islande, la Norvège, l’Écosse, le Paraguay ou le Costa Rica sont sans conteste les bons élèves de la classe avec la totalité ou presque de leur électricité issue d’énergies renouvelables. D’autres sont sur la bonne voie tels la Suède ou l’Uruguay dont les énergies fossiles pèsent pour moins de 30% de leur production d’électricité.
Des réacteurs de 4ème génération à des réacteurs à fusion nucléaire ?
Ce regain d’intérêt pour le nucléaire peut s’appuyer sur des technologies éprouvées comme les réacteurs à eau sous pression (REP) qui représentent 55% des installations dans le monde. L’EPR ou European Pressurized water Reactor est un concept de réacteur à eau sous pression de nouvelle génération. Il existe actuellement 3 réacteurs EPR en service dans le monde (2 en Chine et 1 en Finlande). Trois autres sont en construction (1 en France et 2 au Royaume-Uni). L’EPR est censée préparer la rupture technologique que devraient représenter les réacteurs à neutrons rapides ou « surgénérateurs » de 4ème génération.
Lancé en 2010, le projet français ASTRID, qui devait aboutir à la construction d’un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (RNR-Na) dans la lignée de Superphénix dans les années 1980, a été abandonné en 2019. Cette technologie permet d’exploiter la quasi-totalité du potentiel énergétique de l’uranium et de recycler le plutonium extrait des combustibles usés. Avec deux réacteurs de ce type, la Russie, leader sur cette technologie, poursuit son programme en construisant un nouveau réacteur plus puissant prévu vers 2035. La Chine a mis en service un réacteur à neutrons rapides expérimental en 2011 et vise la construction d’un réacteur d’ici les années 2030. Enfin, les États-Unis ont annoncé la réalisation d’un réacteur de recherche à neutrons rapides pour 2026.
Autre piste de développement, les petits réacteurs modulaires (SMR). Beaucoup moins puissants que les EPR, ils sont en revanche beaucoup plus maniables. L’idée est de s’attaquer à de nouveaux marchés (États, villes, industries…) qui jusqu’à présent ne pouvaient pas se doter de grosses centrales. Plus de soixante-dix projets, de troisième ou quatrième génération, sont en cours dans le monde, dont un en France (Nuward). Mais à ce jour, le seul SMR opérationnel est russe.
Au-delà de technologies en cours de développement comme les réacteurs à très haute température refroidi à l’hélium (RTHT), à eau supercritique (RESC) ou à sels fondu, d’autres voies de recherche se profilent à plus long terme, comme les réacteurs pilotés par accélérateur de particules considérés comme plus efficaces et plus sûrs. Plus prospectif encore, la fusion nucléaire, et non la fission utilisée jusqu’alors par tous les réacteurs, laisse présager une promesse d’énergie propre « infinie », mais pas avant… 2050. Le réacteur international ITER, en cours de construction dans les Bouches-du-Rhône, vise d’abord à démontrer la capacité à générer de l’énergie par la fusion nucléaire, avant toute perspective d’application commerciale. Cependant, en septembre 2021, le Massachussetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis a fait un pas décisif dans ce domaine en réussissant à confiner le plasma en fusion et à produire plus d’énergie que consommée. Une prouesse qui pourrait sensiblement raccourcir le temps de commercialisation d’un réacteur à fusion. L’échéance de début 2030 est désormais évoquée.
Un coût hypothétique
Reste la question du financement. En France, les futurs réacteurs nucléaires promis par Emmanuel Macron devraient coûter au total entre 46 milliards à 64 milliards d’euros. Le prix des 6 à 14 futurs réacteurs de troisième génération prévus d’ici à 2050 est en revanche encore hypothétique. Le Président a évoqué « des financements publics massifs de plusieurs dizaines de milliards d’euros ».
Une maîtrise publique du programme pourrait s’imposer compte tenu du délai de réalisation d’un nouveau réacteur évalué à une quinzaine d’années. Dans son rapport, RTE estime que les scénarios les plus nucléarisés « peuvent conduire, à long terme, à des coûts plus bas pour la collectivité qu’un scénario 100 % renouvelables ». Un avis que ne partagent pas les opposants au nucléaire tablant sur une très forte chute des coûts du solaire et de l’éolien.
La controverse est forte également concernant la gestion et le coût des déchets nucléaires. En 2019, la Cour des comptes s’inquiétait ainsi de la charge financière du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), destiné à confiner les déchets nucléaires français les plus dangereux dans le sous-sol de la commune de Bure dans la Meuse. Les différentes estimations oscillent entre 19 et 34 milliards d’euros.
Le pari des start-up
Ces questions de financement ne semblent pas toutefois rebuter certains investisseurs privés comme Bill Gates qui développe, via sa start-up TerraPower, Natrium, un petit réacteur à sels fondus de quatrième génération dont la commercialisation pourrait se faire d’ici 2030. En France, Naarea développe un réacteur aux sels fondus, une technologie nucléaire de pointe, dite de «quatrième génération». La jeune pousse Jimmy vise, elle, à accélérer la décarbonation de l’industrie en proposant des générateurs thermiques utilisant l’énergie atomique et installés à proximité de sites industriels.
L’arrivée de ces start-up pourrait accélérer la mise sur le marché de certaines technologies, particulièrement celles liées aux petits réacteurs modulaires.
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L’innovation, notamment sur de nouvelles technologies comme la fusion, laisse donc présager un avenir au nucléaire qui ne se réduira peut-être pas à en faire une simple énergie de transition vers la neutralité carbone.
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