Admir Masic est un homme “résilient”. Celui qui est aujourd’hui professeur assistant au département d’ingénierie civile et environnementale (CEE) du MIT a passé une partie de son adolescence dans un camp de réfugiés croate pendant la guerre de Bosnie. Au prix d’un itinéraire brillant mais chaotique, qui l’a conduit de Bosnie en Croatie puis en Italie, en Allemagne et aux Etats-Unis, ce spécialiste des “manuscrits anciens et des matériaux” s’est forgé une expertise qui fait écho à son parcours. A la tête du MCMD Lab (Laboratory for Multiscale Characterization and Materials Design), il cherche aujourd’hui à percer les secrets de la résilience des matériaux anciens pour inspirer les constructions futures !
Pourquoi le béton romain ou les pigments indigo des fresques maya sont-ils aussi résistants ? Pourquoi certaines constructions ont-elles traversé les siècles alors que d’autres sont retournées à la poussière depuis bien longtemps ? C’est tout l’enjeu de la “paléo-inspiration”, chère à Admir Masic, mais également à Loïc Bertrand, Claire Gervais et Luc Robbiola, les quatre scientifiques qui ont publié en novembre 2017 une étude dédiée au sujet dans Angewandte Chemie International Edition. Dans une publication que l’on pourrait traduire par “Systèmes paléo-inspirés : résistance, durabilité et propriétés remarquables”, les chercheurs s’intéressent aux propriétés mécaniques, optiques et structurelles de matériaux anciens. Le béton romain offre un bon exemple et cristallise les espoirs de la discipline. Conçu à partir de cendres et de roches volcaniques ainsi que de chaux, le matériau affiche des caractéristiques exceptionnelles, en termes de résistance à l’eau de mer ou d’élasticité par exemple. Grâce à des techniques de modélisation et d’imagerie de pointe, Admir Masic et ses camarades sont capables de mettre à jour les éléments de microstructure et les minéraux présents dans le matériau antique. Comme l’explique le journaliste Nathaniel Herzberg dans une longue enquête pour Le Monde, les bétons romains affichent une présence de stratlingite à même de combler les failles du mortier, ou encore de tobermorite alumineuse, un minéral qui se cristallise au contact de l’eau et permet au béton exposé de se renforcer, au lieu de s’effriter, durant des siècles après la construction !
Pour les industriels, la recomposition de ces recettes anciennes constitue une mine d’or dans la course à la conception de nouveaux matériaux innovants. Une promesse d’autant plus séduisante que nos ancêtres opéraient dans des contraintes bien plus strictes. “Beaucoup de ces matériaux anciens témoignent de stratégies d’adaptation à des environnements et des contraintes spécifiques et ont été produits par une chimie douce, sobre en énergie et utilisant souvent des équipements rudimentaires”, expliquent les chercheurs du laboratoire IPANEMA du CNRS. Ainsi, le ciment romain, préparé à des températures bien moindres que celles que l’on utilise aujourd’hui, était également bien plus économe en ressources et en énergie…