L’eau, un réseau urbain sous tension

La pression démographique, la pollution ou les sécheresses mettent les réseaux d’eau douce sous tension. Menacées de pénurie, les villes s’organisent, entre innovation technique et rénovation des écosystèmes.
une rivière en zone humide avec une bille en arrière plan
Crédit photo : Javon Swaby sur Pexels

Le cycle de l’eau douce : une limite planétaire dépassée

Parmi les neuf limites planétaires identifiées par le Stockholm Resilience Center pour caractériser l’état environnemental global de la planète, l’usage de l’eau douce vient de dépasser un seuil critique. Ce dépassement concerne principalement l’eau dite “verte”, stockée dans les sols ou les plantes, désignée en opposition à l’eau “bleue”, que l’on trouve dans les rivières, les lacs ou les nappes.  Si les deux sont intimement liées, la première est d’autant plus importante qu’elle représente environ 60% de la masse totale d’eau douce. La situation s’explique par de multiples facteurs comme l’agriculture intensive, la déforestation, la dégradation des sols ou la pollution atmosphérique. La forêt amazonienne incarne une transformation qui s’observe partout dans le monde et se traduit par une aridification généralisée des sols. Un article publié dans Nature intitulé A planetary boundary for green water estime que 18% des sols à l’échelle mondiale sont déséquilibrés.

Des villes sans eau potable ?

L’eau douce représente environ 2,5% de la totalité de l’eau sur la planète. 70% de cette eau est aujourd’hui stockée sous forme de glace et de neige. Le reste – utilisable par l’homme – est stocké dans les aquifères, les cours d’eau ou les lacs. 70% des prélèvements d’eau douce sont consommés par l’agriculture, 19% par l’industrie et 11% pour l’usage domestique. Croissance démographique, pollution, sécheresses et mauvaise gestion des ressources entraînent une compétition croissante entre ces trois pôles, et font planer la menace de pénuries. Dans ce contexte, les villes sont au cœur des enjeux alors que les situations d’urgence se multiplient. Delhi, très dépendante du fleuve Yamuna pour son approvisionnement en eau, est ainsi menacée par des sécheresses mais également par un trop fort taux d’ammoniac dans les eaux du fleuve. En France, 550 communes ont dû être approvisionnées par camion citerne pendant les sécheresses de 2022. Aux Etats-Unis – à Jackson par exemple – l’approvisionnement en eau potable est menacé par des infrastructures vieillissantes…

La gestion des ressources au cœur des enjeux

Face au risque, les villes peuvent mobiliser trois grandes familles de réponses. Les premières sont techniques : il s’agit d’optimiser la gestion, le stockage et l’acheminement de l’eau. Les secondes sont écosystémiques et consistent à repenser la place de l’eau en ville. Enfin, les dernières sont liées aux usages, en particulier autour de la sobriété.

  • Une optimisation des réseaux

On estime que la part des Non Revenue Waters, soit l’eau “perdue” avant d’être utilisée, principalement à travers les fuites, s’élève à 30%. Un chiffre colossal qui plaide pour le déploiement de solutions techniques performantes. La robotique peut ainsi être mise à contribution à travers des pipebots, petits robots capables de naviguer dans les tuyaux pour en détecter les faiblesses. Les compteurs intelligents permettent également de s’appuyer sur des données précises afin d’identifier les incohérences sur le réseau d’eau et d’intervenir en conséquence. La détection par satellite – comme celle déployée par SUEZ grâce aux technologies développées par Asterra – pourrait également se démocratiser.

 

  • Green infrastructure, vers une ville éponge ?

Au-delà des technologies, c’est tout notre rapport à l’eau en ville qui doit être repensé pour réintégrer le cycle de l’eau, dans une logique de biomimétisme. Elodie Brelot, chercheuse en hydrologie urbaine et directrice du Graie, plaide pour le passage d’une ville entonnoir à une ville-éponge. Pour y parvenir, il est impératif de déployer des infrastructures vertes, qui transforment la menace des eaux pluviales en ressources. Les dispositifs les plus prometteurs aujourd’hui sont les trames vertes, bleues ou brunes, qui favorisent les continuités de nature en ville. Les programmes de désartificialisation, comme dans certaines cours d’écoles françaises, s’inscrivent dans la même logique. On peut également citer l’utilisation de matériaux poreux, la mise en place de jardins de pluie, de barrages semi-étanches ou de toitures végétalisées pour favoriser une gestion durable des ruissellements…

 

  • L’impératif de sobriété

En 2018, la ville du Cap en Afrique du Sud a frôlé la catastrophe à la suite d’une sécheresse historique. Depuis, la ville a réduit de moitié sa demande en eau, en particulier grâce à une politique stricte de sobriété (et de restrictions). Elle fait aujourd’hui figure de modèle d’utilisation rationnelle de l’eau. Parmi les mesures mises en place, on compte des limitations d’urgence comme l’interdiction de remplissage des piscines ou de lavage des voitures. Une limitation de la quantité d’eau utilisée par jour et par foyer a également été mise en place ainsi qu’une tarification progressive de l’eau. Des programmes de sensibilisation à l’école et d’affichage public ont permis de faire appel à la responsabilité de tous. La crise a en outre permis de mettre en valeur de fortes inégalités d’accès à l’eau entre les plus riches et les plus défavorisés. Un constat qui a donné lieu à une rénovation profonde de l’infrastructure détaillée dans la Water Strategy de la ville.

ville au bord de l'eau avec montagnes en arrière plan
Crédit photo : kylefromthenorth sur Unsplash

Les métiers de l’eau : entre protection des milieux et assainissement

Face à ces enjeux, les métiers s’adaptent alors que la filière de l’eau s’impose comme un secteur d’avenir pour l’emploi. En France, le secteur prévoit 13 500 embauches d’ici 2025. On distingue d’abord les métiers liés à l’assainissement ou à la gestion des infrastructures, qui relèvent la plupart du temps de l’ingénierie. Les métiers liés à la surveillance et à la protection des milieux naturels ont également le vent en poupe. Les hydrologues, écologues ou techniciens de rivière sont amenés à se multiplier dans le cadre d’une prise en compte croissante de l’environnement dans les projets urbains. La demande est également portée par le vieillissement des professionnels du secteur. Aux Etats-Unis, c’est 30 à 50% des professionnels qui prendront leur retraite dans les 10 ans à venir !

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