Vers la reconstruction permanente ?
Dans un contexte de “polycrise”, les risques de destruction d’édifices et les besoins de reconstruction sont de retour, avec une acuité inédite depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. La guerre en Ukraine en donne depuis plus de six mois une illustration violente. Des centaines de sites patrimoniaux et plus de 92 Mrds de dollars d’infrastructures ont déjà été détruits… La crise climatique entraîne quant à elle ce que l’on appelle un “climate whiplash”, soit la multiplication radicale et l’enchaînement rapide de catastrophes naturelles. USAID estime ainsi que les inondations au Pakistan ont détruit ou endommagé 1,7 million de bâtiments. En Californie, certaines zones d’habitation ne sont plus prises en charge par les assureurs devant la recrudescence des incendies. Pour le monde du bâtiment, ces constats amènent à deux questions majeures : comment faciliter, optimiser, et accélérer la reconstruction ? Mais aussi comment limiter les risques de destruction ?
La reconstruction, c’est bien. La mitigation, c’est encore mieux
Pour éviter de reconstruire, la meilleure approche consiste sans doute à limiter les risques de destruction. On parle alors de mitigation. Le Chili, particulièrement exposé aux risques sismiques et volcaniques, a récemment lancé dans cette optique 32 projets urbains dont l’objectif est de limiter l’impact des futures catastrophes naturelles. Bernardita Paúl, Responsable Nationale de la réduction des risques et de la reconstruction, expliquait lors de l’annonce du programme que “chaque peso investi dans la mitigation permet d’économiser 6 pesos de reconstruction”. Le programme intègre la création de parcs de mitigation en zones inondables, ou la construction des premiers édifices résilients aux tsunamis du pays. Ailleurs, architectes et urbanistes réfléchissent à la place des matériaux dans les démarches de mitigation. Les bétons poreux comme Aquipor permettent ainsi de stocker une partie de l’excès d’eau en zone urbaine. Les dalles développées par Rain(a)Way permettent quant à elles de mieux gérer les flux d’eau urbains, en s’inspirant du concept des villes éponges.
Avant de reconstruire, loger en urgence
Lorsque les efforts de mitigation n’ont pas suffi, le premier enjeu consiste souvent à gérer l’urgence. Solidarité et bricolage sont alors les maîtres mots. A Irpin, des trains mis à disposition par les chemins de fer ukrainiens participent à loger les habitants de la ville détruite. Un peu partout dans le pays, on colmate comme on peut les milliers de fenêtres soufflées par les bombes. Alors que la guerre bat encore son plein, l’urgence oblige également à imaginer de nouveaux modes de construction, plus légers et éphémères. Peu après le déclenchement des hostilités et devant l’afflux massif de réfugiés, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a ainsi mandaté le cabinet Balbek Bureau afin d’imaginer un refuge pour les personnes déplacées. Avec Re:Ukraine, la réponse consiste en un village modulaire et standardisé capable de fournir un logement digne dans un temps record. Dans un autre ordre d’idée, la Cardboard cathedral, imaginée à Christchurch par Shigeru Ban, propose une architecture originale (en partie à base de carton) en réponse au tremblement de terre de 2011. Conçue comme un bâtiment éphémère, elle est toujours en activité aujourd’hui.
En image : Speestac par WZMH Architects
Développé par WZMH Architects, le module SPEEDSTAC a pour objectif de réhabiliter les immeubles partiellement détruits, mais structurellement “sauvables”. Imaginé afin d’éviter la démolition de la totalité des immeubles touchés par la guerre, SPEEDSTAC se présente sous la forme de modules préconstruits de béton spécialement conçus pour s’intégrer dans l’architecture soviétique.
Repartir sur de bonnes bases
Si la destruction par le feu ou la guerre peut sembler laisser place à une “table rase”, la réalité est plus complexe. Comme dans n’importe quel projet de construction, la reconstruction demande de préparer le terrain, mais avec de nouvelles contraintes. Selon l’ONU, la seule ville d’Irpin représente 410,000 tonnes de débris à traiter. De manière plus générale, la guerre apporte son lot de pollutions chimiques, de poussières de ciment, ou de contamination des eaux. Comme l’explique Osnat Lubrani, coordinatrice résidente des Nations Unies en Ukraine, « la restauration de l’environnement en Ukraine doit figurer en tête de l’ordre du jour », avant même la reconstruction…
L’innovation au service de la reconstruction
En 2019, alors qu’un incendie venait de ravager Notre-Dame, l’entreprise Art Graphique et Patrimoine (AGP), spécialisée dans les relevés 3D des monuments historiques, avait pu mettre à disposition une maquette 3D de la charpente de la cathédrale avant le drame. Avec plusieurs milliards de points, les modèles sont d’une précision de l’ordre du millimètre. Le même type de technologies est actuellement utilisé pour scanner cette fois-ci les villes ravagées d’Ukraine. Ces outils, s’ils ne permettent pas directement de reconstruire, restent inestimables. C’est à la fois une manière d’archiver certains édifices à un instant “t”, tout en servant de matière pour une exploitation en BIM, dans une optique de reconstruction. En Syrie, Reparametrize Studio and Digital Architects se sont appuyés sur des technologies de mapping 3D afin de construire un outil puissant d’aide à la décision dans les choix de reconstruction pour la ville de Damas.
Entre thérapie collective et réinvention
La reconstruction donne aussi l’occasion d’ouvrir une réflexion profonde sur certains choix de société. Elle revêt d’abord une grande importance politique. La publication par un think tank européen en juillet d’un Blueprint pour la reconstruction de l’Ukraine, alors que la guerre est loin d’être terminée, prend la forme d’un acte de résistance. La reconstruction offre en outre l’opportunité d’affirmer certains choix collectifs. Toujours en Ukraine, le collectif ReStart Ukraine invite dès aujourd’hui à penser la reconstruction selon des principes plus durables. Au Népal, la reconstruction de l’école primaire Shiladevi à Dhoksan suite au tremblement de terre de 2015 est également exemplaire. En n’utilisant que des “décombres” de la catastrophe, elle sert à la fois de lieu de mémoire et de démonstrateur pour une vision plus circulaire de la construction. Plus loin dans l’histoire, la reconstruction de Varsovie (détruite à 80% par la Seconde Guerre Mondiale) est emblématique. Derrière le cri de ralliement “The entire nation builds its capital”, tout un peuple s’est mobilisé pour effacer les ruines, en utilisant parfois des peintures du 18è siècle !
La Curiosité : WWII Rebuilder
Comme un symbole de la puissance des imaginaires liés à la reconstruction, le jeu WWII Rebuilder propose de reconstruire les villes détruites par la Seconde Guerre mondiale. Choix des machines, déblayage des décombres et reconstruction patiente des bâtiments sont à l’ordre du jeu…