Les infrastructures côtières au test du changement climatique

Dans le sillage du changement climatique, la montée des eaux met déjà les infrastructures côtières à rude épreuve. Face à la menace, technologies et méthodologies évoluent : entre renforcement des défenses, adaptation à la nouvelle donne et repli vers les zones plus protégées, les solutions sont multiples.

L’inexorable montée des eaux

Comme le détaille le dernier rapport du GIEC, les zones côtières concentrent aujourd’hui la majorité de la population, des activités économiques, et des infrastructures critiques. Un milliard de personnes devraient vivre dans une zone côtière de basse altitude d’ici 2050. Leur adaptation au changement climatique est donc un sujet majeur, tant sur le plan économique que social et culturel.

La communauté scientifique est unanime : le niveau des mers va continuer de s’élever dans les années à venir. Les débats portent aujourd’hui en majorité sur l’ampleur du phénomène et les mesures à prendre pour en limiter l’impact. Aujourd’hui, 5,5% de la population mondiale est confrontée au problème. Avec une hausse des températures contenue dans le cadre des accords de Paris (1,5°), c’est 500 millions de personnes qui seraient directement exposées. Au-delà du niveau de la mer, la fréquence des événements extrêmes devrait également être multipliée (par 100 avec un réchauffement de 1,5° selon une étude publiée dans Nature). Sur le plan économique, selon l’OCDE, le coût des dommages résiduels liés à l’élévation du niveau des mers au cours du XXIè siècle pourrait s’élever entre 1700 et 5500 milliards de dollars.

 

 

Consolider, adapter, replier : 3 options devant la montée des eaux

Selon la classification du GIEC, il existe trois leviers principaux afin d’adapter les zones côtières à la montée des eaux :

La protection, qui consiste principalement à construire des défenses “en dur”, restaurer les dunes et engraisser les plages ou renforcer les rivages avec de la végétation.

L’accommodation, qui recouvre l’adaptation des normes de construction (en particuliers concernant la hauteur et les fondations) et la mise en place de procédures d’urgence.

Le repli, plus radical, avec le déplacement des personnes et des infrastructures ou l’interdiction de nouveaux aménagements.

Dans la même veine, Leonard a imaginé avec l’agence d’urbanisme Concorde un scénario de littoral dynamique afin de proposer une trajectoire d’interventions publiques et privées à même de mettre en œuvre une stratégie de recul et de relocalisation des biens menacés à long terme. Cette trajectoire se déroule en trois grandes étapes :

Etape 1 : nouvelle réglementation, transferts de droits, création de réserves foncières

Etape 2 : incitation au changement, compensation, amélioration de l’existant

Etape 3 : relocalisation active, développement de nouveaux usages

 

Situation actuelle : un littoral en atténuation aux aléas climatiques

Situation projetée et proposée : un littoral dynamique en adaptation aux aléas climatiques

Les limites des digues

Mesure de protection par excellence, la digue a des vertus. Les brise-lames de Saint-Malo protègent la ville depuis des décennies. Les 17500km de digues des Pays-Bas ont fait leurs preuves. La ville de New-York a entamé un chantier à 1,45 milliards de dollars pour protéger Manhattan. Le projet Européen DURCWAVE, qui a pour ambition d’inventer des modèles de digues plus performantes, témoigne de l’intérêt toujours vif pour les murs côtiers.

Mais d’autres projets, comme le système de digues mobiles MOSE censées protéger Venise, n’ont pas eu le même succès. De manière générale, l’élévation perpétuelle des digues se heurte aux hypothèses d’élévation du niveau de la mer les plus hautes (2,4m d’ici 2100) et pose des limites techniques comme de sécurité.

Les infrastructures naturelles font leurs preuves

Les infrastructures les plus prometteuses pour lutter contre la montée des eaux sont sans doute celles inspirées par la nature elle-même. Le concept de ville-éponge – développé en particulier en Chine – consiste à rendre aux espaces urbains leurs propriétés naturelles d’absorption de l’eau. La ville de Wuhan, devenue célèbre pour d’autres raisons, a ainsi bénéficié de 1,4 milliard d’euros d’investissements pour perméabiliser les trottoirs ou développer les zones humides.

La végétalisation fait également ses preuves. A Kisakasaka en Tanzanie, la replantation de mangrove permet pour l’instant  de protéger les cultures. De la même manière, la préservation des récifs coralliens participe à la protection des villes côtières…

De nouvelles combinaisons de solutions fondées sur la nature et sur les infrastructures grises font également leurs preuves. Dans le cas des récifs coralliens, on peut citer les structures métalliques de Coralive, utilisant la technologie d’accrétion minérale aux Maldives ou les récifs artificiels X-Reef en béton imprimé en 3D dans les Calanques. Au Canada, la ville de Surrey (dont 20% du territoire est composé de plaines côtières inondables) a également pris le parti de combiner solutions naturelles et techniques. Les premières consistent à aménager des parcs ou à travailler sur les écosystèmes locaux. Les secondes s’appuient sur des digues, le remplacement des ponts ou l’installation d’égout pluvial…

Qu’ils soient artificiels ou naturels, les projets d’adaptation du littoral à la montée du niveau de la mer font l’objet d’un recensement grâce au projet Sea’ties, porté par la Plateforme Océan & Climat. 89 projets dans le monde entier y sont aujourd’hui présentés et détaillés.

Les Maldives, laboratoire grandeur nature

Pour lutter contre la montée des eaux, les Maldives (80% de l’archipel ne dépasse pas 1m au-dessus du niveau de la mer) ont opté pour une solution radicale : la fabrication d’îles artificielles grâce au dragage de millions de tonnes de sable. L’île de Hulhumalé, dont la construction a débuté en 1997 compte aujourd’hui 50 000 habitants. Les solutions flottantes sont également privilégiées par l’archipel, qui a fait appel au cabinet néérlandais Dutch Dockland afin de construire 5000 maisons au cœur des atolls.

Simuler pour mieux anticiper

En France, à Caen, un canal à houle permet aujourd’hui de simuler l’impact des vagues sur les infrastructures côtières. Installé dans L’École supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction de Caen (ESITC) il est particulièrement utile afin d’anticiper l’impact de l’élévation du niveau de la mer. A noter qu’une des plus grandes infrastructures expérimentales de ce type est aujourd’hui située à Delft aux Pays-Bas et peut créer des vagues de 4,5m.

Toujours dans un souci d’anticipation, les solutions de simulation numérique permettent de faciliter la gestion des infrastructures. Le projet Carapace – accéléré chez Leonard – offre un bon exemple d’utilisation des nuages de points et de la reconnaissance 3D. Les technologies de photogrammétrie, de LiDAR ou de bathymétrie multifaisceaux permettent en outre de modéliser et surveiller la fiabilité des digues avec une très grande précision.

Internet risque la noyade

Le monde numérique s’appuie sur des infrastructures bien réelles, qui sont elles aussi menacées par la montée des eaux. Selon un travail mené à l’Université du Wisconsin, près de 6500 kilomètres de fibre optique sont menacés à moyen terme (20 ans). Un risque sérieux pour la connectivité qui appelle une révision des infrastructures, mais également une réflexion sur la manière dont les données transitent en cas de catastrophe.

Au cœur des enjeux économiques, climatiques et sociaux et déjà largement touchées par le changement climatique, les zones côtières offrent un bon “laboratoire” pour mesurer notre capacité à pivoter rapidement vers des modèles de développement résilients.

Cet article a été publié dans le cadre de la newsletter Leonard. Abonnez-vous pour recevoir les prochaines en suivant ce lien.

Crédits photo : Aaron Burden sur Unsplash

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