Les complexités de la congestion touristique
L’idée d’un sur-tourisme (overtourism) est très largement discutée depuis 2016, date à laquelle le média Skift a inventé ce terme qui a pris une ampleur inattendue depuis. Le concept s’inscrit assez naturellement dans un contexte de croissance exponentielle du nombre de touristes à l’échelle mondiale : de 50 millions d’arrivées touristiques internationales en 1950, nous sommes passés à 1,3 milliards en 2017 et le chiffre continue de croître. Ces flux de personnes spectaculaires ont révélé de nouvelles formes de congestions spécifiques, (à la fois urbaines et rurales). Ils créent également de fortes tensions sur l’immobilier et constituent une menace écologique importante. Ceci dit, il convient de nuancer le mythe selon lequel le sur-tourisme serait simplement une question de volumes. L’Organisation mondiale du tourisme (UNWTO) rappelle ainsi qu’il s’agit avant tout d’un sujet de planification, de réglementation et d’infrastructures. Le tourisme sert parfois de bouc-émissaire dans un contexte de défaillance plus générale des infrastructures, pour les locaux comme pour les visiteurs. Sur l’Ile d’Aix, en France, l’afflux de touristes se heurte ainsi à un réseau d’eau vétuste, à une zone portuaire difficile à sécuriser ou à la question de l’entretien de voiries trop sollicitées.
Une planification urbaine adaptée
Dans ce contexte, la question du sur-tourisme (et plus généralement du tourisme) se pose sous l’angle de l’aménagement des espaces concernés. Les recommandations de l’UNWTO ressemblent d’ailleurs à des règles de base de la bonne planification urbaine. On y retrouve la bonne gestion du trafic, la qualité de la signalisation, l’accessibilité des transports publics, le développement des voies cyclables, l’importance de la “marchabilité” ou le dimensionnement adéquat des services de nettoyage et de traitement des déchets… Au-delà de ces incontournables, certaines villes mettent en place des solutions spécifiques. Barcelone a développé des stratégies de “micromanagement” appuyées sur les données pour interdire l’ouverture de trop nombreuses boutiques de souvenirs à certains endroits, ou établir des règles de stationnements spécifiques en fonction de la localisation. À Amsterdam, le programme Tourism in balance a pour objectif de s’assurer que les politiques mises en place fassent passer les besoins des résidents de longue durée avant ceux des touristes.
Objectif : dispersion
Quelles que soient les destinations, un des principaux objectifs consiste à disperser les touristes. Dans un contexte où les pratiques sont de plus en plus guidées par Instagram (et autres réseaux sociaux) la tendance est aux effets grégaires. Une répartition plus homogène des touristes permet à la fois d’équilibrer les retombées positives et de limiter les externalités négatives. Aujourd’hui, les logiques de communication et de “nudge” sont mobilisées pour inviter les visiteurs à sortir des sentiers battus. En Irlande, le Ancient Destination Experience Development Plan se fixe comme objectif “d’aider le visiteur à quitter les chemins touristiques traditionnels”. Une application proposant des pistes de randonnées couplées à de la réalité augmentée historique a par exemple été développée dans cet objectif. Dans ce contexte, la question des infrastructures intervient parfois comme un frein : à vouloir distribuer les touristes sur tout le territoire, le risque est de les rediriger vers des secteurs mal équipés, et de dégrader l’expérience générale du voyage. Mais elle peut également faire figure d’opportunité : un certain nombre de pays (comme la Malaisie, les Etats de l’UE ou les Emirats Arabes Unis) cherchent ainsi à développer leurs infrastructures de santé pour attirer la manne lucrative du tourisme médical.
Techno-solutionnisme et tourisme
Le numérique est largement mis à contribution dans un effort de mitigation des impacts du sur-tourisme. Les données de localisation, couplées à l’IA, permettent ainsi d’imaginer des solutions inattendues. En Italie, l’application Feel Florence identifie les flots de touristes en temps réel et suggère à l’utilisateur des parcours en conséquence. Un fonctionnalité intitulée Skip the Line permet de rediriger les visiteurs vers les attractions les moins bondées. A Amsterdam, les visiteurs peuvent télécharger une application capable de créer des itinéraires personnalisés en fonction de leurs profils sur certains réseaux sociaux.
Plus prospective – et actuellement dans le creux de la vague – la mobilisation du metavers permet également d’imaginer une nouvelle forme de réponse au sur-tourisme. Sans tomber dans le fantasme d’un tourisme purement virtuel, les applications en VR peuvent apporter des solutions complémentaires. L’immersion historique d’Éternelle Notre-Dame permet ainsi de revisiter 850 ans d’histoire. Le Coachellaverse a pour ambition de permettre aux millions de personnes qui ne peuvent pas se rendre au festival californien d’y participer à leur manière…
Un rôle de régulation par les Etats ?
Au-delà des solutions ponctuelles, des approches techniques et des adaptations locales, la question de la gestion de flux touristiques passe sans doute aussi par la mise en place de normes plus strictes. En France, le plan de lutte contre le sur-tourisme prévoit la mise en place d’un observatoire national des sites touristiques majeurs, une campagne de communication pour sensibiliser les visiteurs, une réflexion sur la désaisonnalisation du tourisme, mais pourrait également utiliser l’arme de la taxation pour limiter (et qualifier…) l’afflux de visiteurs.
Alors que les listes des endroits à ne pas visiter commencent à émerger (la Fodor No List en particulier), collectivités, habitants et opérateurs ont tout intérêt à mitiger les effets du sur-tourisme. C’est un enjeu économique car il s’agit de ne pas tuer la poule aux œufs d’or, mais également écologique et social afin de garantir l’habitabilité des zones touristiques.