Qu’est ce qu’une ressource ? “Le terme désigne la mise en valeur d’un capital, naturel ou encore matériel, exploité par une société donnée à un moment donné dans le but de créer des richesses”. Cette définition scolaire, proposée par Géoconfluences, précise que toute ressource est créée (et non découverte) pour répondre à un besoin.
Dans un contexte de pression maximale, elle nous invite à élargir nos horizons, et à considérer comme ressource des gisements traditionnellement ignorés. Dans le cas de la fabrique de la ville, l’exploitation des “mines urbaines” constitue une des pistes les plus prometteuses. Le concept désigne la valorisation des résidus de la ville, et en particulier les métaux critiques contenus dans les déchets électroniques.
Il porte des promesses écologiques et économiques importantes, mais reste freiné par l’inertie du business as usual.
Un enjeu pragmatique : répondre à la demande
D’après l’OCDE, la demande globale en matériaux pourrait passer de 89 milliards de tonnes en 2019 à 167 milliards en 2060. Les chiffres concernant spécifiquement les métaux critiques sont encore plus spectaculaires. Les estimations les plus prudentes de l’AIE parient sur un triplement de la demande, alors que les plus élevées prédisent une multiplication par 7. Elles pourraient être multipliées par 40 pour le cas spécifique du lithium…
Face à cette explosion, l’apport potentiel des mines urbaines n’a rien d’anecdotique.
Dans un pays comme la France, le stock de déchets métalliques en circulation représenterait entre 4 et 12 ans de consommation s’il était véritablement exploité.
A l’échelle mondiale, le recyclage des batteries pourrait représenter entre 20 et 30% de la demande en lithium, en cobalt et en nickel. Le cuivre, dont les projets d’extraction classiques ne couvrent que 70% de la demande prévue à l’horizon 2035 pourrait également éviter la pénurie grâce à une optimisation du recyclage.
De la nécessité écologique à la sécurité d’approvisionnement
Au-delà de la réponse à la demande, la “ruée vers l’ordure” porte la promesse écologique d’une limitation de l’empreinte de l’exploitation minière.
Toujours selon l’AIE, la valorisation des mines urbaines pourrait représenter une baisse comprise entre 25 et 40% de l’exploitation minière traditionnelle. La piste est d’autant plus intéressante que les procédés de recyclage sont moins énergivores que l’extraction primaire. Dans la cas de l’aluminium, on parle d’un facteur compris entre 10 et 15 ! Vertueuse sur la plan environnemental, l’exploitation des mines urbaines favorise également une autonomie d’approvisionnement vis-à-vis de la ressource minière.
“Il y a toute une série de conséquences favorables comme la réduction des émissions de CO2, la création de circuits courts ou le développement des activités locales dans les territoires”, précise Louis-François Durret, directeur exécutif du nouveau Mastère Spécialisé « Critical Materials » de l’Ecole nationale des ponts et chaussées.
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Une question de (dé)conception
Aujourd’hui, le développement de ces mines secondaires se heurte encore à des obstacles liés à la faible recyclabilité des objets eux-mêmes, au caractère souvent expérimental des méthodes d’extraction et au manque de structuration de la filière. Du côté des concepteurs, le sujet fait son chemin et la question de la “fin de vie” intéresse aussi bien les architectes, que les constructeurs automobiles ou les fabricants de batteries.
Une star-tup comme Mecaware se spécialise dans la production de métaux stratégiques à partir du recyclage de batteries. Le groupe Elemental a également mis le sujet au cœur de sa stratégie. D’autres, comme Rubicon, développent l’infrastructure logicielle nécessaire à l’industrialisation du recyclage des DEEE.
Du côté des architectes, l’intérêt pour le sujet s’incarne par exemple dans la grande compétition intitulée MINERAL. Architects of Urban Mining qui se fixe pour objectif de sourcer les meilleures innovations dédiées à la réutilisation des ressources. Côté recherche, les progrès sont rapides et l’innovation dans les procédés d’extraction des matériaux est florissante. Des chercheurs de l’ETH ont récemment mis en place une nouvelle méthode fondée sur la nature afin de récupérer l’europium contenu dans les lampes fluorescentes. Aux Pays-Bas, des chercheurs de la Delft University of Technology mettent à profit le machine learning pour optimiser la recyclabilité des polymères. De son côté, le consortium ZEBRA (Zero wastE Blade ReseArch) tente de résoudre la question épineuse du recyclage des pales d’éoliennes.
Une filière à structurer
Au-delà de la technique, l’avenir des mines urbaines se joue sur les terrains culturels et politiques. Le concept d’hibernation électronique désigne par exemple notre tendance collective à conserver du hardware arrivé en fin de vie. On estime ainsi que l’équivalent de 10 millions de dollars en or hiberne actuellement dans des smartphones sur le seul territoire suisse, alors que 40% des habitants seraient prêts à se séparer de leur ancien téléphone pour moins de 5$.
A l’inverse, certains acteurs font leur part et tentent de dynamiser la filière. C’est le cas du joailler Courbet , qui se fixe pour objectif de sourcer la majorité de son or auprès des mines urbaines. Enfin, l’incitation politique reste un des leviers majeurs pour favoriser l’exploitation des mines urbaines.
Un rapport publié par Olivier Wyman en 2024 recommandait ainsi de mettre en place des réglementations incitatives comme l’instauration d’un taux plancher d’incorporation de métaux recyclés. Dans le même temps, l’AIE publiait un guide complet en 9 points à l’attention des décideurs afin de construire “une économie circulaire globale pour les métaux critiques”.
“Si on regarde ces sujets avec un peu de recul et en mettant en œuvre une approche systémique du problème, on se dit que l’on peut trouver des solutions sans tomber dans le techno-solutionnisme. On peut trouver des façons de faire qui permettent de réduire la contrainte sur les ressources, voire de s’en affranchir en partie”, conclut Louis-François Durret.