“Les territoires industriels les plus dynamiques aujourd’hui sont souvent ceux où les acteurs publics et privés arrivent à coopérer de manière efficace”

Quels territoires sont les plus à même d’accueillir de nouveaux projets industriels ? A quelles conditions ? Ces questions sont au coeur des travaux de recherche de la géographe Anaïs Voy Gillis, chercheuse associée à l'Université de Haute-Alsace (Centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques) et directrice au sein du cabinet June Partners. Elle a récemment publié, avec Olivier Lluansi, “Vers la renaissance industrielle” (éditions Marie B, 2020). Entretien.

Où en est la dynamique industrielle en Europe ?

Tous les pays européens ont vu la part de l’industrie dans leur PIB s’éroder. Toutefois, la France a une situation plus détériorée qu’ailleurs avec une balance commerciale très déficitaire par rapport à l’Italie ou l’Allemagne, par exemple. Les pays d’Europe de l’Est restent ceux où l’industrie manufacturière représente encore plus de 25% du PIB. A noter toutefois que certaines destructions d’emplois industriels s’expliquent par le fait qu’une partie des activités de services, comme la logistique et la maintenance, opérées auparavant par des industriels, ont petit à petit été sous-traitées à des entreprises qui se sont spécialisées. Ces activités sont, au sens de l’INSEE, dans la catégorie des services, mais une grande partie d’entre elles perdurent grâce à l’industrie.

Les situations sont très différentes, par ailleurs, selon les pays. Par exemple, en Allemagne, l’industrie est considérée comme une activité clé et face à l’émergence de nouveaux acteurs (Chine, GAFAM, etc.), une feuille de route autour de l’industrie 4.0 a été développée. L’Italie, de son côté, profite du positionnement de nombreuses entreprises sur des marchés de niche et la coopération inter-entreprises y est assez marquée.

Sur le sujet de la réindustrialisation, il faut être mesuré et prudent. L’industrie semble être dans une dynamique positive depuis fin 2017 avec la création d’emplois dans des secteurs emblématiques, comme le textile. La dynamique s’est maintenue, même pendant la crise, notamment sous l’effet des différentes mesures de soutien mises en place par le gouvernement. Si l’on observe d’importants efforts de modernisation, des extensions de sites et certaines relocalisations, les créations de sites ex nihilo sont cependant rares.

 

Qu’est-ce qui motive une relocalisation ?

La crise et les ruptures d’approvisionnement, l’augmentation des coûts de transport et la pression environnementale poussent les entreprises à repenser leur organisation industrielle. Par conséquent, certaines entreprises relocalisent pour sécuriser leurs approvisionnements, réduire les délais, réduire leur stock, etc. Toutefois, il va falloir voir sur le temps plus long quelles seront les relocalisations durables et celles relevant d’un effet d’aubaine. Surtout, il faut s’interroger sur ce qui est à la racine de la désindustrialisation. S’il est beaucoup question de compétitivité coût, il y a également un enjeu très fort autour de la compétitivité hors coûts, qui passe par l’innovation (techniques et procédés, marketing), l’agilité, la qualité, les délais de livraison, ou encore la capacité à co-construire avec ses clients. S’ajoute le positionnement : la France est peu spécialisée, au contraire, à nouveau, de l’Italie et de l’Allemagne, où les tissus industriels sont plus denses et l’approche en écosystème industriel plus marquée.

 

Les villes moyennes sont-elles le lieu privilégié de la réindustrialisation ?

C’est plus ou moins vrai. De nombreuses entreprises industrielles sont aujourd’hui localisées dans certaines villes moyennes et offrent donc la possibilité de reconstruire des écosystèmes productifs autour d’elles. Certaines d’entre elles offrent d’indéniables avantages : le prix du foncier, une culture industrielle, des contraintes de flux moins importantes que dans les métropoles, etc. Mais elles peuvent également souffrir de certains handicaps, comme la plus faible disponibilité des compétences, notamment celles liées à l’augmentation de l’usage de la donnée et la forte numérisation des sites. La moindre taille des bassins d’emploi, ou l’enclavement géographique, peuvent dans cette perspective réduire l’accès à certains talents.

En outre, il ne faut pas sous-estimer l’existence d’activités industrielles en zone urbaine dense, comme le textile, qui reste fortement développé en Ile-de-France, notamment à Paris et en Seine-Saint-Denis. Certains territoires autour de métropoles ont également une spécialisation forte, ce qui va favoriser leur attractivité dans certains secteurs d’activités – la métropole lyonnaise, avec la chimie, en est un exemple.

 

Quels sont les plus importants leviers d’attractivité d’un territoire ?

Il n’y a pas de trajectoire unique. Néanmoins, dans les facteurs qui favorisent l’attractivité, il est possible de citer la culture industrielle du territoire, la capacité des acteurs locaux à coopérer, notamment pour construire des solutions communes, la force de l’écosystème local et sa capacité à interagir avec les territoires limitrophes. Citons encore les compétences et plus largement la taille du bassin d’emplois, le positionnement géographique (proximité de nœuds logistiques, enclavement ou non, haut débit, etc.), les infrastructures offertes et, enfin, dans certains cas, la présence de ressources naturelles. Le sujet des aides publiques entre également en compte, surtout pour les projets où plusieurs territoires européens sont mis en concurrence. La coopération entre les acteurs n’est peut-être pas le premier facteur d’attractivité, mais c’est un facteur de réussite territoriale. Les territoires industriels les plus dynamiques aujourd’hui sont souvent ceux où les acteurs publics et privés arrivent à coopérer de manière efficace.

 

Les friches industrielles sont-elles un atout à l’heure du Zéro Artificialisation Nette ?

La réindustrialisation de la France va augmenter les besoins fonciers, il y a donc un intérêt à réhabiliter d’anciens terrains industriels pour y implanter de nouvelles usines. Par ailleurs, la question de la réindustrialisation ne doit pas être limitée à la question des usines, mais intégrer une réflexion sur les infrastructures nécessaires, l’augmentation des flux logistiques, l’augmentation des besoins en termes de stockage – les logisticiens ont un rôle à jouer dans la réindustrialisation.

Plusieurs questions sous-tendent le sujet de l’artificialisation. La première est une réflexion de long terme sur l’aménagement du territoire. Il y a également une réflexion sur les modes de production puisque nous sommes confrontés à une crise climatique qui appelle à repenser en profondeur la manière de produire, la nature des produits, mais aussi les modes de consommation. Il convient également de rappeler que si l’industrie est très souvent pointée du doigt comme une source de pollution, elle n’est pas la première cause d’artificialisation des sols. Les deux premières causes sont la construction de logements individuels et les infrastructures, ce qui plaide pour une réflexion plus systémique.

 

Les territoires de la France métropolitaine peuvent-ils accueillir des « méga-sites » ?

Sur le principe oui. Mais j’observe qu’il y a une très faible acceptation de l’implantation de nouveaux entrepôts en France, qui font l’objet d’une contestation systématique. Nous avons besoin d’une logistique au service de l’industrie – d’autant plus importante pour les « méga-sites » tels que, par exemple, Tesla en construit pour ses véhicules. Mais les projets industriels restent plus intéressants d’un point de vue création de valeur et d’emploi au regard de leur effet d’entraînement sur un territoire. De plus, les emplois industriels sont souvent mieux rémunérés et de meilleure qualité que ceux dans la logistique.

L’attractivité des « méga-sites » se fait aussi sur la disponibilité des compétences et le prix du foncier. Sur le cas de Tesla, qui a choisi l’Allemagne plutôt que la France. Peut-être parce que le positionnement en gamme des constructeurs allemands offrait un vivier de compétences – notamment sur le plan de l’ingénierie – plus intéressants pour l’entreprise que ce que la France offrait. La proximité avec les pays d’Europe de l’Est, bien intégrés dans la stratégie industrielle allemande, a pu également être un plus.

Pour ce type de projets, il y a en général plusieurs sites en concurrence à l’échelle européenne. Il y a donc un enjeu à renforcer nos stratégies d’intelligence économique et notre capacité à parler d’une seule voix en termes d’attractivité et d’investissement.

Cet article a été publié dans le cadre de la newsletter Leonard de décembre 2021 : « Relocalisations, réindustrialisation : quelle renaissance industrielle dans les territoires ? ». Retrouvez cette Newsletter dans son intégralité ici et abonnez-vous pour recevoir les prochaines en suivant ce lien.

 

 

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