Études et rapports sur le climat se multiplient, et les appels à l’action se font chaque fois entendre plus fort. A la fin du mois de septembre, c’est le programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP) qui publiait son « Gas Emission Report », pour la dixième année consécutive, et parlait de « décennie perdue ». Les experts de l’UNEP adressent un sévère avertissement aux 196 pays signataires de l’accord de Paris, actant leur échec collectif : l’effort à consentir pour limiter le réchauffement global à 2°C d’ici 2100 est désormais deux fois plus importants que si les efforts de réduction des émissions avaient été entrepris dès 2010. Les pays signataires vont devoir désormais réduire de 7,6 % leurs émissions de GES chaque année entre 2020 et 2030. Cet impératif fixe l’horizon des discussions de la 25e conférence mondiale pour le climat, la COP25, organisée à Madrid du 2 au 13 décembre.
L’effort est urgent, impérieux. Qui s’en saisira ? Les institutions nationales et supranationales pèchent jusqu’ici par inertie. Les citoyens, colibris infatigables ou indifférents fatigués, n’ont qu’un pouvoir limité. En France, leurs « éco-gestes » ne peuvent contribuer qu’à 25 % environ des réductions d’émissions de gaz à effet de serre, selon l’étude « Faire sa part » du cabinet Carbone 4. Le reste devra venir des entreprises et des institutions…
Les villes, aux avant-postes du réchauffement
C’est la question posée à Arianna De Toni (Directrice du département technique d’EcoAct), Karine Bidart (Directrice Générale de l’Agence Parisienne du Climat), Cécile Maisonneuve (Présidente de La Fabrique de la Cité) et Thomas Lauvaux (chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, affilié à l’université Penn State), à l’occasion de ce deuxième rendez-vous du cycle de rencontres dédié à la transition environnementale, organisé à Leonard:Paris. Pourquoi les villes ? Parce qu’elles abritent la moitié de la population mondiale et émettent 75 % des GES liés à l’énergie. Parce que l’urbanisation, entre 2020 et 2050, sera plus importante que dans toute l’histoire humaine. Parce que nombre de mégalopoles se situent dans des plaines inondables, des régions en déficit hydrique, ou sur un littoral. Bref, les villes sont à la fois les plus fortes contributrices au réchauffement et les plus exposées à ses conséquences.
En France, détaille Arianna De Toni, les émissions des villes comptent pour 67 % des émissions nationales. Les 10 premières métropoles comptent à elles seules pour 16 % des émissions, dont 33% sont issues du bâtiment, 17 % de l’industrie et 16 % pour le transport. Des chiffres issus du rapport « Le défi climatique des villes » publié conjointement par EcoAct et le WWF France. « Nous avons voulu estimer, selon une approche par budget carbone restant à émettre, quels étaient les efforts à consentir par les métropoles en France pour respecter l’Accord de Paris, tout en prenant en compte l’indicateur de développement humain dans nos calculs, permettant de pondérer les efforts des pays selon leur niveau de développement ». Résultat : « il reste 10 ans à la France pour respecter l’objectif des 2°C. La bonne nouvelle, ce sont les très nombreux engagements pris par les villes, notamment les initiatives liées au C40. A la limite près que notre analyse montre que les efforts devraient être doublés ou triplés par rapport aux plans climats en France », détaille Arianna De Toni.
Voilà qui ressemble à un air connu : l’urgence est là, les efforts à consentir dûment quantifiés, et les actes attendus…Où en est-on de leur mise en œuvre ? « Des engagements forts sont effectivement pris, reconnaît Cécile Maisonneuve. Mais il existe aussi des stratégies de marketing territorial, du fait de la concurrence qui existe entre les métropoles mondiales. Or pour que cette concurrence produise des effets bénéfiques, il faut qu’émerge une méthodologie partagée de mise en œuvre des plans de neutralité carbone. Les métropoles aujourd’hui sont face à un millefeuille de cadres, si bien qu’il est difficile de comparer les travaux réalisés. » La prise en compte du « scope 3 », mode de calcul qui intègre les émissions de GES indirectes, peut, par exemple, changer d’un facteur 10 le décompte des émissions d’une société d’autoroute, selon que sont prises en compte les seules émissions de l’infrastructure (scopes 1 et 2) ou celles de ses usagers (scope 3).
Les leviers d’action des métropoles
Se pose aussi aux métropoles le défi du « bon » périmètre de gouvernance. « Typiquement, les déplacements en voiture dans les aires urbaines se font surtout entre centre et périphéries, donc en dehors des périmètres des métropoles administratives, explique Cécile Maisonneuve. Pour réduire la part de la voiture, stable depuis 40 ans, les métropoles – qui n’ont pas autorité sur la voirie – ne sont pas forcément la bonne échelle de gouvernance. »
A Paris, l’Agence Parisienne du Climat (APC) a justement pour mission d’influer les acteurs au-delà du périmètre d’autorité directe de la collectivité. « La manière d’appliquer le plan climat est assurément cruciale, et il faut savoir que les collectivités publiques ont un effet direct sur environ 20 % des émissions seulement. Il faut donc toucher les 80 % restants, en mobilisant habitants, propriétaires du bâti, usagers privés… », expose Karine Bidart. L’APC effectue un travail de conseil et d’accompagnement au plus près du terrain : conseil aux copropriétés pour l’isolation et la rénovation des équipements de chauffage, formation de volontaires pour diffuser les bonnes pratiques environnementales, à l’échelle des quartiers, mise en place d’un service public de la donnée énergétique – pour disposer d’un cadastre solaire à chaque adresse… Un travail de dentelle, qui mobilise aussi les entreprises. Ainsi les plans de déplacement des entreprises pourraient-ils être mutualisés, pour faire émerger les « noeuds » de mobilité nécessitant la création de lieux de coworking. Une solution pour limiter les déplacements… En parallèle des réflexions menées, par ailleurs, sur la pertinence de péages urbains. « New York vient d’en mettre un en place, Barcelone y réfléchit, Londres veut approfondir ce qui est déjà en place… », rappelle Cécile Maisonneuve.
Au-delà des inévitables frictions politiques et socio-économiques qu’impliquent les réponses des villes au défi du réchauffement, se pose la question de la mesure de leurs effets : sur quoi faut-il agir d’abord ? Où sont les sources les plus importantes ? Quels effets ont les solutions adoptées ?
Des mesures nouvelles pour faire les bons choix
« Aujourd’hui, pour établir des bilans d’émissions, on combine des indicateurs socio-économiques, et l’on applique des facteurs de conversion, explique Thomas Lauvaux. Les marges d’erreur sont importantes, il arrive qu’on atteigne 15 % d’écart entre plusieurs estimations. Surtout, ces estimations sont limitées par le bon vouloir des sources. Tout n’est pas répertorié, les méthodes de comptage ne sont pas homogènes, et les données parfois très datées. » Un constat qui a amené les spécialistes de la modélisation de l’atmosphère à construire des modèles capables de retrouver les quantités de GES émises à la source à partir de la mesure de leur concentration dans l’atmosphère, via des capteurs disséminés dans les aires urbaines et des mesures par satellite. « Les gaz ont des signatures qui permettent d’identifier les secteurs industriels spécifiques, détaille le chercheur. Et pas besoin d’avoir une « maille » trop resserrée. À Los Angeles, par exemple, 60 points de mesure permettent d’estimer 70 % des émissions. Ces mesures, combinées aux inventaires usuels, permettent de confirmer l’effet d’une action, mieux que les estimations actuelles. »
Elles sont particulièrement utiles pour les très grandes métropoles des pays en développement, où les données socio-économiques sont souvent très imprécises, et qui ont un grand besoin d’informations fiables pour engager leurs forces dans la lutte contre le réchauffement.
Peut-on compter sur une « diplomatie des villes » pour enrayer l’engrenage du réchauffement ? Cécile Maisonneuve veut y croire : les villes peuvent être l’échelle idéale pour concilier décision démocratique, prise sur le réel, pouvoir économique et capacité d’innovation.
La capacité des villes à répondre au défi climatique va cependant prendre des chemins bien différents, selon les régions. Sont en train de naître des villes, en Asie notamment, qui seront plus peuplées que Paris en 2050, et dont la plupart des Européens – résidant pour leur part dans des villes de moins de 300 000 habitants pour la plupart – ignorent encore le nom. Et c’est ainsi moins le devenir des métropoles actuelles que la construction des métropoles de demain qui déterminera notre avenir climatique.
Voici le récit de cette soirée en quelques tweets :