L’intelligence artificielle saurait-elle entièrement automatiser la conception du bâtiment ?

Ces dernières années, de nombreux projets de recherche, de start-up ou encore d’innovation au sein de grands groupes ont porté sur l’utilisation des technologies d’Intelligence Artificielle (IA) les plus récentes pour la conception technique des bâtiments.

Les enjeux sont nombreux : densification des villes, gestion des ressources à l’échelle des collectivités ou de pays tout entiers, conception d’ouvrages répondant à des objectifs simultanés de performance économique et environnementale, intégration d’objectifs de résilience (climatique, sanitaire), etc. Face à ces défis complexes, l’IA offre de nouvelles possibilités de résolution de problèmes intégrant simultanément différentes sources de données et différents objectifs. Les cas d’usage du numérique et de l’IA pour la conception se multiplient et se concrétisent. Et si la conception de bâtiment devenait complètement automatisée ?

Le « tout IA » et « tout automatisé » sont des mythes

Commençons par démystifier les approximations et raccourcis auxquels donnent fréquemment lieu les commentaires sur l’IA et l’automatisation. Si des outils opérationnels basés sur l’IA commencent en effet à traiter certains problèmes spécifiques, ils sont encore loin d’avoir fait la démonstration de l’efficacité de l’intelligence artificielle à l’ensemble des étapes et procédés de la phase de conception. D’une part, de nombreux enjeux peuvent être résolus avec des outils numériques traditionnels et souvent déjà existants, comme le montrent de nombreuses solutions commerciales ou gratuites de conception assistée par ordinateur. D’autre part, les technologies d’IA adressent des problèmes très précis et répondent à des besoins très spécifiques de traitement des données.

En ce sens, il n’est pas et ne sera pas possible, dans les prochaines années, d’automatiser l’ensemble de la conception d’un bâtiment avec les technologies modernes et à venir. Par exemple, les technologies aujourd’hui à disposition ne sont pas capables de :

  • Généraliser des problèmes aussi complexes que la conception d’un bâtiment ou de ses sous-systèmes en général ;
  • Animer la relation avec les parties prenantes pour déterminer et répondre aux besoins clients ;
  • Traiter génériquement les exceptions, aléas et cas particuliers ;
  • Modéliser les nouveaux problèmes ou besoins rencontrés dans la conception du bâtiment ;
  • Labelliser automatiquement les nouveaux jeux de données requis.

Le rôle de l’humain reste donc central dans l’organisation d’un projet ayant recours à un outil basé sur l’IA : l’expert métier est incontournable lorsqu’il s’agit d’utiliser et d’approfondir l’outil d’IA, de résoudre des cas particuliers, de contrôler le résultat et d’échanger avec les différentes parties prenantes.

Des solutions émergentes qui ont le vent en poupe

Les projets d’IA pour la conception n’en restent pas moins très prometteurs et couvrent une large gamme de cas d’usages. Ainsi, la start-up Spacemaker.ai, née en Norvège en 2016 et membre du programme CATALYST de Leonard, qui propose une solution numérique utilisant notamment des technologies d’IA pour améliorer et accélérer la phase de programmation immobilière, a été rachetée par Autodesk, acteur majeur des logiciels de conception. Le montant du rachat, 200 millions d’euros, est colossal au regard d’un projet né 4 ans plus tôt, et montre l’intérêt et le potentiel de telles solutions.

Intégrer différentes sources de données pour l’optimisation de projets complexes, c’est également l’approche de Vizcab, start-up construite à partir d’une technologie développée au sein de l’EPFL et accompagnée par le programme CATALYST de Leonard, qui propose d’explorer différents choix de conception pour atteindre les objectifs énergie et carbone des futurs projets.

Du côté des entreprises dont c’est le cœur de métier, des solutions très concrètes émergent au travers de l’IA pour la conception générative, pour le gros œuvre comme pour le second œuvre. VINCI a fait émerger deux projets l’année dernière : chez VINCI Construction France, le projet Synapse applique l’IA et la conception numérique à de nombreux cas d’usage en gros œuvre, et chez DIANE (VINCI Energies), SprinkIA est un outil dédié à la conception des réseaux de sprinklers.

L’IA pour la conception n’en est qu’à ses balbutiements

Le paradoxe entre les limites de l’IA pour la conception aujourd’hui et les résultats que fournissent certaines solutions suggère un vaste potentiel encore inexploré pour l’IA appliquée à la conception de bâtiment.

Premièrement, des travaux de recherche ouvrent de nouveaux champs d’application et de logiques de conception, du développeur au bureau d’études en passant par l’architecte. Stanislas Chaillou, architecte et data scientist, a par exemple mené de nombreuses analyses d’applications d’algorithmes d’IA à l’aménagement des espaces d’un bâtiment. Avec ses travaux, il ouvre la voie à de nouvelles possibilités d’aménagement en temps réel permettant de proposer aux professionnels différentes solutions pour un même cahier des charges.

Deuxièmement, on peut raisonnablement s’attendre à ce que les algorithmes d’IA, hébergés dans des systèmes d’information de plus en plus complets et interfacés, donnent prochainement naissance à des briques logicielles qui permettront peu à peu de traiter des sujets de plus en plus larges. Il s’agira par exemple de passer progressivement d’outils de conception spécialisés sur une gamme d’équipement à une logique de conception pour l’ensemble du second œuvre.

Enfin, de nombreuses pistes prospectives restent encore inexplorées dans le domaine de l’exploitation des données pour la conception des bâtiments et des villes. Ainsi le projet de développer une « ville de données » conçue ex nihilo ne fait-il sans doute pas sens dans le monde réel (où de tels projets sont rarement menés). En revanche, s’il l’on couplait cette réflexion aux besoins métiers qu’une telle conception nécessiterait, on pourrait alors, en découpant le projet en différents sous-systèmes, dégager des pistes d’innovation stratégiques pour le domaine. Cette démarche correspond à une méthode de prospective connue et pratiquée par Leonard : le backcasting. La table ronde « Le data scientist et l’architecte : comment se construit une ville de données » , qui s’est tenue en 2020 pendant le Festival Building Beyond, permet de s’en faire une idée.

 

En synthèse, bien que l’IA ne soit ni une technologie sans limite ni une réponse à tous les problèmes de conception – et sous condition que son développement soit intégré à une réflexion opérationnelle et SI autour du futur de la conception des villes – nous pouvons affirmer que ses technologies accélèreront la transformation de la conception en réponse aux nouveaux défis économiques, sociaux, environnementaux et sanitaires posés au secteur du bâtiment.

Quentin Panissod, AI Lead, Leonard

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