Maintenance prédictive : jusqu’où pourra-t-on anticiper les pannes ?

>
La prolongation de la durée de vie des infrastructures est l’un des piliers pour aller vers des villes et des territoires plus sobres dans l’utilisation des ressources. Un effort qui passe notamment par le développement de nouvelles stratégies de maintenance, capables de mieux optimiser le remplacement des équipements et de prévenir les défaillances. Pierre Naccache, Président-fondateur d’Asystom et Nicolas Hélas-Othenin, Responsable des opérations et de la transformation numérique de LISEA, se rencontrent pour discuter des enjeux de ce secteur émergent.

Créée en 2016, Asystom est une startup spécialisée dans le développement de solutions associant capteurs et intelligence embarquée pour prévenir les pannes des équipements industriels. Elle fait partie des dix entreprises sélectionnées pour faire partie du programme d’accélération CATALYST de Leonard en 2022.

Filiales de VINCI Railways (VINCI Concessions), LISEA et MESEA sont respectivement gestionnaire et mainteneur de la première concession de grande vitesse ferroviaire en France : la LGV  Sud-Europe Atlantique (LGV SEA) reliant Tours à Bordeaux. Elles sont partenaires sélectionnés au sein de notre parcours IA pour travailler sur l’enjeu du prolongement de la durée de vie des voies ferrées. 

Dans cette interview, Pierre Naccache, Président-fondateur d’Asystom et Nicolas Hélas-Othenin, Responsable des opérations et de la transformation numérique de LISEA au travers du projet SEACloud, se rencontrent pour discuter des  aspects opérationnels liés au secteur naissant de la maintenance prédictive, savoir-faire crucial réunissant  les deux projets. 

Comment sont nés vos projets respectifs ?

Pierre Naccache : Asystom est née dans la continuité de nos activités de vente d’équipements industriels de haute technologie dans le monde entier. Lorsque nous recevions un appel de demande de support, nous étions systématiquement confrontés à deux problèmes : nos clients n’étaient pas des experts de l’équipement, ce qui est tout à fait normal, et la barrière de la langue complexifiait beaucoup les choses. Une perception précise du fonctionnement d’une machine est pourtant indispensable afin de pouvoir accompagner au mieux le client. Elle nécessite d’avoir les bonnes informations, en quantité suffisante et en continu. Or quoi de plus informatif que l’écoute (son) et le toucher (vibrations) ? C’est ainsi que nous avons développé notre solution.

Nicolas Hélas-Othenin : Après 6 ans de travaux et une livraison en avance sur le planning par le groupe VINCI, la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique (LGV SEA) a été inaugurée commercialement en juillet 2017. Pour la première fois, un partenaire privé était confronté à la gestion d’une infrastructure ferroviaire à grande vitesse, qui plus est pour une durée de cinquante ans. C’est là un vrai défi mais aussi une opportunité !

Grâce à l’expérience de VINCI Concessions dans l’exploitation de grandes infrastructures de mobilité, nos fondations étaient solides. Nous avons donc engagé des travaux visant à nous doter d’outils précis et efficaces destinés au suivi des circulations, à la compréhension des incidents, à la mesure de la performance de la ligne ou encore à la parfaite connaissance de l’état de nos installations. Une démarche essentielle dans un contexte où l’exploitation-maintenance de la ligne est assurée par des structures légères mais robustes.

C’est en cherchant ce gain d’efficacité et en voulant capitaliser sur la quantité de données existantes et produites en continu, que nous avons avancé vers l’automatisation (d’abord sous forme de macro Excel !), la business intelligence puis l’IA. Depuis la mise en service en 2017, nous avons fait la démonstration de notre capacité, en tant que nouvel acteur, à apporter des idées neuves. Cette belle dynamique d’innovation nous a d’ailleurs permis d’ouvrir l’un des centres d’excellence pour l’innovation de VINCI Concessions, sur le site de maintenance de MESEA à Villognon.

Faire de la maintenance prédictive, ça veut dire quoi pour vous ?

Nicolas Hélas-Othenin : C’est d’abord vouloir éviter de faire le pompier en intervenant à posteriori pour éteindre les incendies (maintenance corrective), ce qui est bien trop risqué et aussi moins efficace économiquement. C’est ensuite constater que la maintenance préventive est sous-optimale. Pour éviter la défaillance avec la prudence souhaitée, on privilégie la maintenance préventive des équipements, même sains, ce qui, encore une fois, n’est pas neutre sur le plan financier. Cette prudence est d’autant plus grande dans le ferroviaire, dont le premier enjeu est la sécurité. Enfin, faire de la maintenance prédictive, c’est analyser les signaux faibles pour comprendre les causes sous-jacentes des défaillances, puis les surveiller en temps réel pour prévoir la date de la prochaine défaillance et planifier la maintenance en conséquence.

Pierre Naccache : Je peux ajouter que pour faire de la maintenance prédictive, il faut avoir accès à au moins deux éléments. D’abord, des informations détaillées et sensibles (capteurs de précisions) détectant le plus précocement possible une évolution dans le fonctionnement. Ensuite, des traitements algorithmiques pour simuler le processus d’analyse d’un expert, via des analyses acoustiques et vibratoires.

Justement, quels sont les grands défis vis-à-vis des données que vous utilisez ?

Pierre Naccache : Notre objectif principal est d’être le plus flexible possible pour surveiller tout type de machine, quelle que soit son utilisation. Pour cela le premier défi est déjà d’avoir accès de manière indépendante a de la donnée pertinente et de qualité. C’est la raison pour laquelle nous avons développé une balise multicapteurs intelligente et très autonome.
Le second est de fournir des résultats que tout le monde peut comprendre et utiliser, quelles que soient ses connaissances, sa fonction et son expertise.

Nicolas Hélas-Othenin : Je rejoins Pierre. Le premier défi est d’obtenir une donnée d’entrée de qualité. Cela semble évident mais cela nécessite souvent un très gros travail, dont la valeur ajoutée est nulle pour l’œil extérieur… Sans ce “Garbage In – Garbage Out” comme le disent les anglo-saxons, toutes les analyses sont bonnes à jeter.
Le second défi est de désiloter la donnée pour la rendre accessible et exploitable par tous ; et également d’en assurer la diffusion afin de faciliter les analyses des experts métiers.
Le troisième défi est de gouverner la donnée pour maintenir, voire accroitre, sa qualité dans le temps. Cela suppose de sensibiliser à tous les étages sur l’importance de la donnée, que chacun se l’approprie.

Est-ce que cela implique des changements pour les équipes sur le terrain ?

Pierre Naccache : D’abord, croire que l’IA, qui concentre généralement les craintes dans le débat public, remplacera les équipes destinées à la maintenance est purement irréaliste même à très long terme. Restons un peu pragmatiques, les équipes sur le terrain ont besoin d’aide et sont très demandeuses d’outils de diagnostic leur permettant de répondre à l’exigence d’amélioration constante du processus industriel. La digitalisation de la maintenance et – concernant Asystom – la surveillance à distance par intelligence artificielle est un outil comme un autre, qui permet de faire plus facilement, plus intelligemment et plus rapidement. Les équipes sur le terrain n’en ont aucun doute et l’adoptent rapidement.

Nicolas Hélas-Othenin : Oui, c’est l’identification des points de douleurs du terrain et des poches de valeur ajoutée qui est la genèse partagée de nos cas d’usages. Les experts métiers sont la ressource centrale de MESEA. Notre premier objectif est donc de les soulager de tâches chronophages à faible valeur ajoutée. Ils sont alors nos ambassadeurs et notre meilleur atout dans cette conduite du changement.

Pour terminer, imaginez-vous de vous diversifier ?

Pierre Naccache : La question de la diversification impliquerait que le marché soit mature ou restreint. Or ce n’est pas du tout le cas, bien au contraire. La surveillance intelligente d’équipements démarre à peine et les technologies vont continuer d’évoluer. La maintenance prédictive n’est qu’à ses débuts. Il faut bien comprendre les enjeux pour les usines qui implémentent ces technologies. Premièrement, il faut que ces investissements apportent tout de suite des résultats et un retour sur investissement. Ensuite, il faut que les technologies puissent accompagner l’amélioration continue pour une maintenance de plus en plus « prédictive ». Et enfin que cette évolution crée une maintenance corrective efficace en prévoyant les réparations et en les programmant le plus tôt possible.

Nicolas Hélas-Othenin : Nous avançons progressivement. Avant de nous diversifier, nous voudrions déjà consolider l’existant : éprouver nos solutions de maintenance prédictive sur une durée plus longue, monter en compétence sur la data engineering pour être plus robuste et plus autonome dans la gestion de nos données, prendre le temps de documenter (ce qui n’est pas simple dans un environnement aussi mouvant), former nos collaborateurs aux outils pour qu’ils se les approprient, les accompagner pour qu’ils en tirent toute la valeur ajoutée et en retour les écouter pour toujours mieux répondre à leurs besoins.

En parallèle, nous poursuivons nos développements pour étendre la maintenance prédictive de la voie aux appareils de voie ou aux autres sous-systèmes de l’infrastructure ferroviaire, comme la signalisation ou les télécoms… L’univers des possibles est déjà très vaste chez LISEA et MESEA. Nous tendons aussi l’oreille aux projets collectifs, ce qui nous permettrait d’élargir notre assiette de données (géographiquement et temporellement) et notre expertise.

Contacts :

Nicolas Hélas-Othenin (LISEA) : nicolas.helas-othenin@lisea.fr

Pierre Naccache (Asystom) : p.naccache@asystom.com

Partager l'article sur