Métavers : entre nouvelle frontière et BIM augmenté

Entre fantasme de science-fiction et “futur d’Internet”, le métavers reste un concept difficile à appréhender. Sans porter de révolution immédiate pour le secteur du bâtiment et des infrastructures, il pose un certain nombre de questions intéressantes, en particulier dans le prolongement du BIM.

une ville dans le métavers en style cyberpunk

Visuel généré par DALL·E, un système d’IA d’OpenAI

Le métavers, le secteur du BTP reconverti aux contenus numériques ?

Le concept de métavers reste aujourd’hui largement nébuleux, et donne lieu à autant de définitions qu’il existe d’experts du sujet. L’acception la plus intéressante pour le secteur de la construction et des infrastructures ou de l’énergie est sans doute celle d’un “nouveau territoire numérique”. Elle pose la question de l’organisation d’espaces de vie ou de travail numériques, mobilisant à la fois des contraintes techniques nouvelles et des expertises plus traditionnelles. Comme l’explique Niel Riemer, fondateur de Roblox, le succès du métavers est directement lié aux contenus créés par les utilisateurs. Sans activité, sans créateurs, les plateformes restent impuissantes : Meta a pu le constater avec un Horizon Worlds désespérément vide. C’est ici que les architectes entrent en jeu. Il trouvent dans le métavers un terrain de jeu sans limite, l’occasion d’explorer l’idée “d’espace public virtuel”, de laisser libre cours à une créativité souvent bridée par les lourdes contraintes du réel, l’opportunité de sauvegarder des lieux disparus ou l’occasion de tester dans un bac à sable virtuel des solutions réelles.

Projets choisis

Liberland par Zaha Hadid Architects. Très actif sur le sujet, le cabinet Zaha Hadid Architects a récemment dévoilé Liberland, pensé comme le “jumeau numérique” d’une micronation créée par le politicien Tchèque Vít Jedlicka. Le lieu est pensé comme un « networking hub” pour toutes les activités reliées aux crypto-monnaies accessible à des avatars. Zaha Hadid Architects s’était déjà distingué en 2021 avec NFTism, une galerie d’art virtuelle créée dans le cadre d’Art Basel.

Nakagin Capsule Tower par Gluon. Le projet 3D Digital Archive proposé par Gluon a pour objectif de préserver dans le métavers les bâtiments détruits ou en passe de l’être. C’est par exemple le cas avec la célèbre Nakagin Capsule Tower, détruite en 2022, et que l’on peut désormais découvrir en AR ou VR.

sur and noir, modélisation 3D de bâtiments

The Row par Everyrealm. Imaginé comme un ensemble immobilier numérique réservé à des membres triés sur le volet, The Row propose des espaces conçus par des artistes reconnus comme Daniel Arsham, Alexis Christodoulou ou Misha Kahn. Une manière de réinventer l’immobilier de luxe dans le métavers.

dans un désert, bâtiment futuriste orange

L’immobilier dans le métavers, un mirage ?

En 2020, l’artiste Krista Kim vendait la première maison en NFT (Non Fongible Token) pour 500 000 dollars : la Mars House. L’euphorie autour du concept de métavers a ensuite provoqué une forme de ruée vers les terrains numériques. La transaction record concerne un terrain acheté sur The Sandbox pour 4,3 millions de dollars par l’entreprise d’immobilier Realm Republic. Aujourd’hui, les différentes plateformes n’ont pas (encore ?) trouvé leur public et les prix se sont effondrés (-97% entre novembre 2021 et juin 2022 sur The Sandbox et Decentraland). Cette hypervolatilité peut-être attribuée à tout un faisceau de facteurs : 1. Les métavers sont encore très embryonnaires et n’ont pas séduit le grand public. 2. L’espace numérique est presque infini, il est donc plus difficile d’y créer de la rareté. 3. La disparition d’une plateforme entraîne la disparition des biens qui s’y trouvent ce qui constitue un risque important !

Mars House (2020) from Krista Kim on Vimeo.

 

 

De nouveaux métiers pour la construction ?

Longtemps décrit pour son inertie, le secteur de la construction a récemment entrepris une mue numérique importante. Le secteur du BIM en particulier a donné naissance à toute une gamme de nouveaux métiers (Bim manager, modeleur ou coordinateur pour n’en citer que quelques-uns). Les promesses du métavers s’inscrivent dans le prolongement de cette transformation, et certains professionnels saisissent l’opportunité. C’est le cas d’Alexandre Ogar, qui se positionne comme “architecte et designer de bâtiments virtuels pour les metavers les plus populaires comme Somnium, Cryptovoxel, The Sandbox et Decentraland”. Au-delà de la construction, le métavers s’invite dans les modes de gestion des infrastructures ou de la ville, permettant d’imaginer de nouveaux rôles. Avec Metaverse Séoul, la capitale Coréenne fait figure de pionnière. La plateforme est conçue comme un jumeau numérique de la ville, permettant aux habitants d’accéder à de nouveaux services, tout en centralisant les outils de maintenance ou de planning urbain. Pour mener à bien ce projet, la ville prévoit la création de 40 000 emplois, de l’agent d’accueil virtuel au développeur spécialisé. Le maire lui même s’est prêté au jeu en répondant aux questions de ses administrés depuis le nouvel espace virtuel.

Le métavers au travail

Le métavers formule des promesses pour le futur du travail dans le secteur de la construction. Encore une fois, il s’agit de pousser au maximum le potentiel du BIM en proposant des environnements plus immersifs, propres à faciliter les collaborations à distance, même sur des sujets complexes. The Wild, une startup qui se décrit comme la plateforme de “collaboration en Réalité Virtuelle pour l’industrie de la construction”, distingue 5 bénéfices principaux du metavers pour l’industrie du BTP : la collaboration à distance, le prototype rapide de variations architecturales, une coordination BIM immersive, le test en direct d’options de finitions avec les clients, et des présentations plus sensorielles des projets aux parties prenantes…

Avant le métavers, les jumeaux numériques ?

Une des définitions les plus ambitieuses du métavers est sans doute celle du célèbre VC Matthew Ball, qui décrit un univers persistant, synchrone et “live”, capable de créer un sentiment de présence tout en proposant une économie fonctionnelle. Ce fantasme de science-fiction digne de Ready Player One est sans doute encore relativement éloigné de notre quotidien. En revanche, ses premières incarnations industrielles ouvrent la porte à des transformations importantes. Les fameux jumeaux numériques sont en effet en train de devenir incontournables dans la plupart des secteurs de l’industrie. Dans la construction, il permettent de simuler des modèles virtuels afin d’optimiser le fonctionnement des édifices, de limiter leurs consommations ou de procéder à des ajustements au cours du cycle de vie. Ils représentent une forme d’aboutissement des principes du BIM. Les BIM d’Or 2022 ont d’ailleurs récompensé un certain nombre de projets faisant appel aux Digital Twins, comme la numérisation du patrimoine existant d’Eaux de Paris afin de diminuer les futurs coûts de travaux en facilitant les visites virtuelles ou les recherches documentaires.

Au-delà de la dimension professionnelle et technique, les jumeaux numériques permettent d’imaginer de nouvelles formes d’immersion, des voyages dans le temps, ou l’émergence d’un tourisme “immobile”. L’exposition “Venise révélée”, proposée au Grand Palais Immersif illustre bien cette tendance. Grâce à la photogrammétrie, cette expérience virtuelle permet en effet de visiter la Cité des Doges et son histoire sans quitter Paris.

Construire dans le métavers, une ambiguïté écologique

Intuitivement, construire dans le métavers représente une économie considérable d’énergie et de matières premières : administrations numériques, showrooms virtuels et bureaux en VR consomment moins que le bâtiment “en dur” qui représente aujourd’hui environ 38% des émissions globales de CO2. Dans le même temps, Intel estime que la mise en place du metavers demandera une multiplication par mille de la puissance de calcul disponible. Alors que le numérique représente déjà 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, c’est la promesse d’une croissance incontrôlée de l’impact du numérique. En somme, le métavers peut se révéler vertueux, mais uniquement s’il participe à un report d’usages massif vers le numérique.

Pour aller plus loin

Début 2022, Leonard a organisé un mini-cycle évenementiel sur le métavers.

Retrouvez le replay de la première table ronde : Voyage dans le métavers, au-delà de nos imaginaires

Et celui de la seconde table ronde : Voyage dans le métavers, de la science fiction à la réalité

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