Décarboner les villes
Entre bâtiments, transport et industrie, la question de l’énergie est au centre de tout ce qui fait marcher nos sociétés. Le domaine de l’énergie est encore responsable d’environ trois-quarts des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et les villes sont, à elles seules, à l’origine des deux-tiers de cette consommation énergétique et responsables de plus de 70% des émissions annuelles de gaz à effet de serre. Autant dire que se pencher sur le double sujet de l’énergie et de la ville constitue une clé essentielle pour tenir l’objectif de « zéro émission nette » fixé par les Nations Unies pour 2050. Surtout dans un contexte où la population des villes est vouée à augmenter massivement à cette même échéance.
Vers un monde électrique
Même si l’électricité est encore produite à 60% par des sources d’énergies fossiles, elle est la route empruntée par bon nombre de pays pour s’engager dans cette transition énergétique. Et une solution régulièrement évoquée pour soutenir la demande croissante en énergie décarbonée. Il faut dire que cette énergie possède un certain nombre d’atouts. Non seulement elle émet très peu de gaz à effet de serre, mais elle permet également de prendre le relai des sources d’énergie plus intermittentes comme l’éolien et le photovoltaïque, notamment. En outre, les réacteurs nucléaires ont aussi leur rôle à jouer pour décarboner certaines applications non électriques. Pour cela, il faut se pencher sur la conception des centrales elles-mêmes, qui ne convertissent en énergie électrique qu’un tiers de la chaleur produite par la fission des noyaux atomiques. Le reste est généralement rejeté dans l’environnement. A l’heure où la performance énergétique fait l’objet de toutes les préoccupations, difficile de ne pas vouloir améliorer un rendement aussi médiocre. La récupération de la chaleur peut en effet servir pour un certain nombre d’applications industrielles gourmandes en chaleur décarbonée, comme le dessalement de l’eau de mer, la production d’hydrogène « vert », la fabrication de verre, du ciment ou de l’acier et, plus proche des usages domestiques, le chauffage urbain.
La cogénération, l’autre aspect des centrales nucléaires
Cette technologie, appelée cogénération, n’est pas pour autant une nouveauté. Elle est opérationnelle dans des pays comme la Bulgarie, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Russie ou l’Ukraine. En Chine, la connexion de la centrale de Haiyiang, sur la côte est du pays, au réseau de chauffage de la région permet d’ores et déjà de fournir aux 200 000 habitants de la province une chaleur propre en remplacement des 12 centrales à charbon qui alimentaient jusque-là la région. C’est donc moins un problème technologique que de volonté industrielle qui freine aujourd’hui le déploiement de ce type de solutions. Car les réacteurs nucléaires présentent aussi un certain nombre de blocages pas toujours faciles à lever. La construction d’une centrale nucléaire, tout d’abord, est coûteuse en temps et en financement. Plus de 10 Milliards d’euros pour les EPR dernières génération et 10 ans en moyenne, des travaux préparatoires jusqu’au raccordement au réseau électrique. Des chiffres qui limitent de fait les candidats aux nouveaux projets. Ensuite, la chaleur ayant une forte propension naturelle à se dissiper durant son transport, un tel dispositif ne peut s’imaginer que dans le cadre d’un réseau de proximité. Or, pour des raisons techniques et d’acceptabilité sociale, il est jusqu’ici difficile d’imaginer l’implantation d’une centrale nucléaire aux portes d’une grande agglomération.
Modulable, transportable, abordable : le nouveau contrat du nucléaire
L’arrivée récente de la technologie des Small Modular Reactor (SMR) change pas mal de choses. Ces centrales nucléaires de 3e génération sont plus proches technologiquement parlant de ce que l’on trouve embarqué sur des porte-avions ou sous-marins nucléaires. Les SMR peuvent produire de l’électricité, de la chaleur ou les deux et deviennent, par conséquent, une solution bas-carbone « de proximité » pour alimenter la ville. Ils changent surtout radicalement le regard qu’on porte traditionnellement sur une centrale nucléaire. A commencer par sa taille. Il faut s’imaginer ces centrales nucléaires d’un nouveau genre comme des unités de petite taille, qui possèdent une emprise réduite au sol et dont les éléments peuvent être fabriqués en série en usine et assemblés directement sur site. En théorie, les SMR sont plus rapides à construire, avec une promesse de coûts de fabrication réduits et une capacité de production d’énergie inférieure à 300 MW facile à réguler. Plus grand-chose à voir, donc, avec les monstres de béton que l’on peut connaître et qui sont capables de générer jusqu’à 1.500 MW de puissance électrique.
Vers un nouveau monde énergétique
Sans surprise, les pays le plus de centrales nucléaires comme la Russie, les Etats-Unis, la Chine, le Canada ou la France sont aujourd’hui parmi les plus avancés concernant le développement de ces technologies de centrales nucléaires « de poche ». Environ 70 projets de SMR sont répertoriés de par le monde et trois sont d’ores et déjà opérationnels en Chine et en Russie. L’Akademik Lomonosov, sorte de barge mise en exploitation en 2020, est la première centrale nucléaire flottante au monde fournissant de la chaleur à la région sibérienne de Tchoukotka, dans l’extrême nord-est de la Russie. Elle symbolise ce à quoi pourrait ressembler ce type de centrale demain : mobile, modulable et susceptible de se rapprocher au plus près des besoins. Des capacités qui ouvrent de nouveaux marchés et permettent aux réacteurs nucléaires d’intégrer le panel des sources d’énergies alternatives accessibles au côté des énergies renouvelables. Mais une piste qui se heurte aussi au principe de réalité. Réduire la taille d’une centrale nucléaire ne signifie pas toujours diminuer la complexité des systèmes à mettre en place. Beaucoup de projets de SMR, encore dans les cartons pour la plupart, se heurtent déjà à des failles technologiques qui font craindre un emballement des coûts de construction et d’exploitation et posent un certain nombre de réserves quant à la sécurité des systèmes.
Les freins endémiques liés aux centrales nucléaires
D’une manière générale, le sujet des centrales nucléaires continue à se confronter à des résistances endémiques. Même de taille réduite, l’énergie atomique se heurte toujours à l’acceptabilité sociale. À préciser que « petite unité de production » ne signifie pas pour autant « petites responsabilités ». Comme tous les réacteurs nucléaires, les SMR se doivent de respecter les standards de sûreté internationaux. Les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima sont encore dans toutes les mémoires et les imaginaires encore très ancrés en matière de dangerosité. Au point que certains pays comme l’Italie, l’Allemagne ou la Belgique aient aujourd’hui renoncé au nucléaire civil. Se posent aussi, à ce titre, des questions plus politiques, comme celles relatives à la gestion de ces installations de réacteurs nucléaires dès lors qu’elles ne sont plus gérées par une autorité nationale. A qui incomberait la responsabilité d’une erreur de gestion ou, pire, d’un accident ? Au fabricant des réacteurs nucléaires, à ses exploitants ou à l’autorité de régulation du pays sur lequel ils sont installés ? Et qu’en est-il du traitement des déchets radioactifs qui en découlent ?
Autant de questions inédites pour lesquelles les standards internationaux ne sont pas encore entièrement fixés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais à la vitesse où se font les innovations en la matière, la réglementation va devoir se mettre en ordre de marche rapidement…