Le développement de matériaux innovants constitue une piste précieuse pour la réduction d’impact du secteur de la construction. Isolants biosourcés, bois injectés de résines synthétisées, matériaux auto-cicatrisants ou émetteurs d’énergie…. Autant de technologies auxquelles s’intéressent de plus en plus les acteurs de la filière. Mais comment passer “du labo au marché ?”. Tel était le thème d’un événement organisée le 22 novembre 2023 par Leonard, plateforme d’innovation et de prospective du Groupe VINCI. Un débat qui a réuni Marwan Aitomar et Alizée Blanchin, respectivement consultant deeptech et directrice partner – consulting chez Hello Tomorrow, Caroline Thaler, CEO de Bloomineral, Valentina Dipietro, co-fondatrice et CEO de Mykor, Timothée Boitouzet, fondateur et CEO de Woodoo, Armelle Langlois, directrice performance durable de VINCI Construction et Patrick Jouin, designer.
En introduction des débats, Marwan Aitomar et Alizée Blanchin ont présenté les grandes lignes du second volet du rapport « The Futur of Sustainable Construction : Innovation Materials », co-produit avec Léonard. L’occasion de rappeler que la construction représente 40% de la consommation de matières premières dans le monde et l’exploitation des bâtiments 30 % de la consommation finale d’énergie.
Consulter le rapport « Pathways to sustainable concrete » (Leonard x Hello Tomorrow)
Ou télécharger le rapport ici
«Face à de tels enjeux, il n’y a pas de solution miracle. Il faut actionner le maximum de leviers pour exploiter et chercher à exploiter tout le potentiel de rupture des technologies», a affirmé Alizée Blanchin. La question des matériaux devant, selon elle, être envisagée au travers de trois axes : la disponibilité des ressources ; la construction et ses consommations ; la fin de vie des bâtiments et le potentiel de réutilisation des matériaux.
Les nouveaux matériaux mobilisables sont aujourd’hui nombreux : composants à structure changeante (verres thermo-chromatiques, ciments détecteurs de corrosion), matériaux piézoélectriques, issus de l’économie circulaire, biosourcés, ou encore inspirés du biomimétisme (béton auto-cicatrisant, surfaces autonettoyantes), etc. Autant d’alliés potentiels sur lesquels travaille aujourd’hui de très nombreuses deeptech, à des stades plus ou moins avancés de développement.
Ressources d’origine naturelle
Les recherches sur ces futurs matériaux de construction reposent en grande partie sur l’exploration de ressources d’origine naturelle comme les minéraux, le bois, le bambou ou le mycélium.
La startup britannique Mykor, finaliste du Hello Tomorrow Global Challenge 2022 dans la catégorie «Construction et infrastructures durables», a ainsi développé une technologie – aujourd’hui en instance de brevet – de fabrication d’isolants composés à partir de ressources diverses : résidus de biomasse issus de l’industrie du papier, mycélium ou encore chimie verte. «Le carbone opérationnel, c’est à dire émis en phase d’exploitation des bâtiments, peut être réduit de manière significative (jusqu’à 80 %) grâce à une isolation efficace des structures», a expliqué Valentina Dipietro, co-fondatrice et CEO de Mykor.
Autre matériau, autre technologie, autre startup : Woodoo, deeptech française créée en 2017 et primée à de très nombreuses reprises, fabrique à partir du bois un matériau hybride capable de remplacer le verre, l’acier ou le béton. «Le bois se compose de cellulose et de lignine. Nous enlevons sélectivement la lignine, macro-molécule appréciée des insectes et qui se dégrade avec l’air et l’humidité, pour la remplacer par des résines synthétisées et recyclées», a argumenté Timothée Boitouzet, fondateur et président-directeur général.
Quant à la société Bloomineral, actuellement incubée par Marble, elle a choisi de miser sur la biominéralisation pour décarboner le ciment. «L’idée est d’utiliser des organismes naturels, présents dans l’eau de mer, qui vont caper le CO2 et le convertir en minéral et en matière organique», a expliqué Caroline Thaler, CEO de la deeptech.
Coopération et force de conviction
La multiplication des expérimentations s’avère d’autant plus nécessaire que, comme l’a noté Timothée Boitouzet, les temps de maturation sur le marché des deeptech sont longs, beaucoup plus que dans le numérique.
Mais comment passer “du labo au marché” ? Tous les intervenants de la table ronde ont insisté sur l’importance de la collaboration entre acteurs de l’écosystème. Fonds publics nationaux et européens, financeurs privés, donneurs d’ordres, sous-traitants… «Nous devons apprendre à nous parler et à utiliser le même langage. À nous d’aller convaincre les assureurs, les maîtres d’ouvrage et les architectes», a défendu Armelle Langlois, directrice performance durable de VINCI construction qui, en tant qu’ensemblier, opère une veille la plus exhaustive possible et multiplie les bancs d’essai pour éprouver la pertinence de chaque nouvelle technologie.
Pensés au service d’une meilleure résilience des bâtiments, ces nouveaux matériaux répondent à une logique et circularité. «Un bâtiment doit être envisagé comme une banque de matériaux. Il faut construire aujourd’hui pour ne plus avoir à détruire demain, en imaginant dès la conception des scenarios de désassemblage pour le futur», a affirmé Armelle Langlois.
Une philosophie de sobriété à laquelle a souscrit le designer Patrick Jouin, connu dans le monde entier pour son travail sur le mobilier urbain, invité en clôture de débat à expliquer la fonction des matériaux dans le design : «Dans la conception des objets, nous travaillons avec le moins de matière possible. Les nouvelles technologies de type impression 3D permettent d’enlever de la matière aux objets. Quitte à ce que nous ne sachions pas toujours à quoi ces objets vont ressembler.»
Verbatim
Alizée Blanchin (Hello Tomorrow) : « Chercher à exploiter tout le potentiel de rupture des technologies.»
Valentina Dipietro (Mykor) : «Le carbone opérationnel peut être réduit de 80 % grâce à une isolation efficace des bâtiments.»
Armelle Langlois (VINCI Construction) : «Un bâtiment doit être envisagé comme une banque de matériaux.»
Caroline Thaler (Bloomineral) : «La biominéralisation consiste à convertir le CO2 en minéral et en matière organique.»
Timothée Boitouzet (Woodoo) : «Nous remplaçons la lignine du bois par des résines synthétisées et recyclées.»
Pour aller plus loin, voir le replay de l’événement :