Pourquoi la ville fait-elle encore du neuf ?

>
Un balayeur balaie les rues
Alors que le taux de vacance français s’élève à 8,3% et que la pression écologique est toujours plus forte, la question de la pertinence du neuf est aujourd’hui légitime. Entre besoins de construction réels et nécessité de favoriser la rénovation, elle appelle une réponse nuancée.

Quand la rénovation concurrence le neuf

Le monde du BTP est traditionnellement dominé par le neuf. Le secteur tout entier est souvent résumé par un terme sans équivoque : on parle de “construction”. Cette hégémonie est aujourd’hui remise en cause par un faisceau de facteurs. Le secteur représente en effet 39% des émissions de CO2 à l’échelle du globe et cherche à réduire son impact. La pression sur les ressources invite à limiter la part du neuf et les politiques visant à freiner l’artificialisation sont amenées à se généraliser (dans le sillage de l’objectif de ZAN français). Ces impératifs tendent à normaliser un nouveau lexique pour les acteurs du bâtiment : rénovation, réhabilitation, réversibilité ou circularité ne sont plus des sujets de niche. Ils sont désormais au cœur de la conversation, comme en témoigne le sujet de la 6e édition du festival Building Beyond, organisée du 19 au 24 Juin par Leonard et qui met “le futur du déjà-là” au cœur du débat. Ils s’invitent également au cœur des pratiques : pour la première fois en 2022, la rénovation a concerné plus de permis de construire que le neuf aux Etats-Unis.

Un balayeur balaie les rues
Crédit photo : Kelly sur Pexels

Un enjeu écologique majeur

L’argument principal en faveur de la rénovation concerne sa dimension intrinsèquement écologique. L’ADEME explique que la construction d’une maison individuelle neuve consomme 40 fois plus de matériaux qu’une rénovation BBC (Bâtiments Basse Consommation), dans le cas du logement collectif ce multiplicateur passe à 80 ! La rénovation permet en outre d’éviter une part importante des émissions liées à la construction, tout en favorisant la performance énergétique de l’existant. L’AIE estime ainsi qu’il est nécessaire de rénover au moins 20% du parc d’ici 2030 pour retenir les objectifs du scénario Net Zero by 2050. L’institution souligne l’ampleur du défi en rappelant que 40% des surfaces construites dans les pays les plus développées l’ont été avant 1980, date de l’entrée en vigueur de la première législation sur les performances thermiques… Dans ce contexte, les pouvoirs publics tentent de se mobiliser. Le programme Renovation Wave – inscrit dans le Green Deal européen – prévoit ainsi de doubler le rythme des rénovations (aujourd’hui estimé à 1% par an) à l’échelle du continent.

Une filière à transformer

La filière de la construction reste aujourd’hui organisée autour du neuf. Dans ce contexte, la généralisation des projets de rénovation et la démocratisation d’une circularité urbaine se heurtent encore au sujet des compétences. En Europe, l’identification d’un véritable “skill gap”, donne déjà lieu à l’initiative BUILD UP Skills. Cette dernière vise à favoriser le développement des compétences liées à l’efficacité énergétique ou à l’usage d’énergies renouvelables, à l’usage de nouveaux matériaux, aux différents processus de certification écologique ou à l’utilisation écologique du BIM. Elle se traduit dans des projets comme TRAINEE en Macédoine du Nord, CraftEdu en République Tchèque et en Slovaquie ou HP4ALL qui visent tous à favoriser le développement des savoir-faire alignés avec les objectifs de réduction des émissions. Le monde académique cherche également à affiner ses cursus. A travers l’école doctorale ASSURE (Adaptation of Urban Space through Sustainable Regeneration), les Universités de Malmö, Uppsala et Lund en Suède visent à développer de nouvelles connaissances à propos de “la rénovation durable et de la conversion des bâtiments et des quartiers”. Enfin, les initiatives privées se multiplient pour accompagner la transition. Un temps incubée chez Leonard,  La Solive propose ainsi des formations à la rénovation énergétique et met l’accent sur la question des reconversions professionnelles.

“Nous avons toutes les solutions techniques pour réhabiliter l’ancien. Nous n’avons pas toujours les artisans pour le faire parce que le monde du bâtiment a été extrêmement orienté par la construction neuve. La réhabilitation n’a pas besoin des mêmes savoir-faire. Il est extrêmement important de former les artisans à la réhabilitation de l’existant. C’est très clairement le travail de ce siècle, car la demande va se faire de plus en plus pressante.”

Philippe Madec, architecte, urbaniste, pionnier de l’écoresponsabilité

Quand la rénovation innove

En termes de techniques et d’innovations, la plupart des solutions sont déjà sur le marché. Le Buildings Performance Institute Europe (BPIE) publiait en 2022 une étude sur l’apport de la préfabrication pour la rénovation, soulignant les gains considérables de temps et d’efficacité permis par une standardisation des procédés. Le retrofitting énergétique, qui consiste à mettre à niveau les propriétés énergétiques d’un bâtiment ancien, bénéficie également d’une innovation foisonnante. Les nouveaux matériaux d’isolation – comme les smart coatings – affichent de hautes performances tout en restant discrets. Les matériaux anciens, comme la paille ou la terre coulée, se révèlent très efficaces tout en limitant l’empreinte carbone des rénovations. La construction circulaire peut également s’appuyer sur un myriade de solutions techniques. La plus emblématique d’entre elles est sans doute le BIM, qui permet aujourd’hui de maîtriser plus précisément l’ensemble du cycle de vie des bâtiments, jusqu’à leur destruction. Le concept de “mine urbaine”, qui consiste à inventorier les matériaux déjà présents dans les villes pour les réutiliser, permet quant à lui de révéler les ressources cachées des territoires.

Souvent présentées comme concurrentes, construction neuve et rénovation sont en réalité complémentaires. L’une et l’autre peuvent représenter la solution la plus adéquate en fonction du contexte de vie et d’usage de chaque bâtiment. Philippe Madec, interviewé par Leonard, explique ainsi qu’il faut rapporter la réponse au contexte. “Lorsqu’il y a des déplacements de population sur le territoire, liés aux canicules, aux épidémies, aux difficultés à vivre dans les métropoles, les territoires ne sont pas toujours prêts à accueillir les populations qui se déplacent. Alors oui il faut réduire la construction mais il faut le faire avec intelligence en fonction des situations. Le choix de construire ou non ne doit pas se faire de manière purement spéculative – comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui – mais doit répondre aux besoins réels et aux aspirations des populations.”

Partager l'article sur