Si l’on en croit une étude portée par la fondation Ellen MacArthur et le Centre pour les affaires et l’environnement du cabinet McKinsey, publiée en 2015, l’économie circulaire a tout les atouts pour prendre la place du modèle linéaire qui domine très largement dans tous les secteurs de l’économie aujourd’hui. Selon les projections des auteurs de cette étude, un système économique circulaire pourrait favoriser une croissance du PIB européen de 11% d’ici 2030, contre 4% dans le cadre du modèle linéaire actuel. En outre, si la majorité des acteurs économiques se saisissait pleinement des principes de l’économie circulaire, celle-ci permettrait d’ envisager une réduction des émissions de CO2 de 48% en Europe d’ici 2030, et jusqu’à – 83% d’ici 2050. La consommation des ressources primaires serait réduite de 32% d’ici à 2030, et de 53% d’ici 2050. A l’heure où les engagements des Etats réunis à la COP26 pour lutter contre le changement climatique peinent à convaincre, et que les difficultés d’approvisionnement des entreprises grippent les rouages des industries mondialisées, la voie à suivre semble toute tracée. D’autant que les « piliers »de l’économie circulaire sont, sur le plan théorique, largement connus et décrits.
Sept leviers d’action
En France, l’Ademe en dénombre sept, classés en trois domaines d’action. Dans le premier domaine, celui de l’offre, les entreprises peuvent s’appuyer sur les méthodes d’écoconception, organiser leur production en bonne intelligence avec d’autres industries et les territoires dans lesquels elles opèrent, pour développer une écologie industrielle et territoriale, ou encore engager leurs modèles d’affaires dans l’économie de la fonctionnalité, misant davantage sur la vente récurrente de services que sur celle, ponctuelle, de produits.
Sur le volet de la demande et du comportement des clients, l’économie circulaire doit pouvoir s’appuyer sur l’allongement de la durée d’usage (ce qui passe par le réemploi et la réparation) et la consommation responsable (notamment par le biais de la consommation collaborative et des achats responsables). Enfin, dans le domaine de la gestion des déchets, le recyclage doit être privilégié.
Mais qu’en est-il en pratique ? En avril 2021, l’Institut national de l’économie circulaire (INEC) et le cabinet Opeo-Conseil ont mené l’enquête auprès de 18 entreprises référentes, en France, particulièrement engagées dans une démarche d’économie circulaire, et un peu plus d’une soixantaine d’entreprises industrielles disséminées sur le territoire national.
Des modèles encore très partiels
Premier constat issu de cette enquête : la plupart des actions menées par les industriels se focalisent sur la gestion des déchets et les économies d’énergie. « La part des déchets gérée de manière circulaire atteint presque les 60%. À contrario, les actions structurantes touchant aux modèles économiques, aux produits et aux modèles industriels, reflétées dans la part de produits écoconçus ou la circularité des produits, sont faibles », observent les auteurs. Ces derniers notent par ailleurs que la création de nouveaux modèles économiques, adaptés à l’économie circulaire, repose sur deux principes : « augmenter les cycles d’utilisation de la matière et réduire les externalités négatives résiduelles. » Cela passe par la création de « boucles de circularité à chaque étape du cycle de vie des produits ». En clair : les entreprises ne mettent pas en œuvre de transition intégrale, complète, vers l’économie circulaire, mais s’approprient, progressivement, des modèles d’organisation et d’affaires qui, combinés, s’approchent de l’économie circulaire.
Dans le détail, l’enquête montre que « 38% [des entreprises interrogées] ont mis en œuvre plus de 3 modèles en parallèle. […] Les PME se positionnent davantage sur des modèles de réparation/réemploi des produits alors que les grandes entreprises elles, se penchent sur les modèles de réemploi matière. Parmi les modèles économiques circulaires, le moins développé est celui de l’économie de la fonctionnalité (moins de 19%). C’est aussi le plus complexe en termes de développement produit et d’acceptabilité client ; 39% des entreprises ont développé des modèles autour du sourcing/achat de matières recyclées ; 35% ont développé des modèles économiques autour de la valorisation de la durée de vie et des services associés ; […] 28% se sont positionnées sur la vente de produits de seconde main ou remanufacturés. »
Des indicateurs à inventer
Et dans le secteur de la construction ? Une étude sur l’usage d’indicateurs spécifiques de l’économie circulaire dans le secteur – étude encore en cours – menée par la Chaire « Economie circulaire et métabolisme urbain » de l’université Gustave Eiffel apporte quelques éclairages. « Nos premiers résultats montrent que les indicateurs de bouts de chaîne sont le plus souvent utilisés -typiquement ceux portant sur le recyclage- mais que les indicateurs “amont” restent rares, dévoile Emmanuelle Moesch, ingénieure de recherche. J’entends par indicateurs amont ceux qui portent, notamment, sur l’écoconception. Cela peut être des indicateurs renseignant sur la formation des salariés à l’éco-conception. On pourrait trouver aussi des indicateurs portant sur la démontabilité des équipements, ou sur la réversibilité des bâtiments, s’ajustant aux évolutions de capacités ou de fonctions. »
Dans le secteur de la construction et de l’aménagement, si les concepts de l’économie circulaire sont désormais identifiés et diffusés et que se multiplient les projets exemplaires, le « chaînage » des modèles circulaires, de l’amont (ressources matériaux) à l’aval (usage des bâtiments) reste à consolider. Comme le souligne Emmanuelle Moesch, « le système économique est optimisé, depuis des décennies, y compris dans les normes comptables, pour une approche linéaire. Les externalités négatives environnementales commencent à être intégrées, notamment via certaines taxes, ou via la responsabilité élargie des producteurs. Mais on reste aujourd’hui sur un modèle fondé sur la propriété, en particulier pour le logement. Pour envisager une approche circulaire de manière globale, intégrée, il faut tendre vers un modèle de gestion à long terme des parcs de bâtiments, susceptible de donner de la valeur, par exemple, à des bâtiments réversibles, ou évolutifs” – ce qui impliquerait, par exemple, des modèles de type leasing. Et la chercheuse de noter qu’une telle évolution aurait intérêt à prendre en compte un inévitable besoin accru en maintenance.
A l’évidence, la transition des modèles linéaires aux modèles circulaires dans la construction et l’aménagement engage bien davantage que la conception ou les modes constructifs et reste encore largement à planifier en réunissant tous les acteurs de la chaîne de valeur.