Singapour, modèle de Smart City ?

Singapour est sans conteste la “Smart City” la plus en avance au monde. Un modèle hyper-connecté qui éveille chez le visiteur des sentiments contradictoires, entre inquiétude et émerveillement.

Victor Garcia - Singapore Gardens

Singapour est sans doute le territoire urbain qui se rapproche le plus de ce que pourrait être une ville algorithmique. La dernière étude de Juniper Research classe la cité-État en tête des smart cities dans le monde, devant Londres et New-York. La ville arrive en tête des quatres grands axes d’analyse développés par le cabinet : mobilité, productivité, santé et sécurité. Le Smart City Ranking, récemment publié par ABI research, place également le dragon asiatique au premier rang, devant Dubaï et Londres. Un constat unanime qui invite à se pencher sur les origines d’une telle réussite.

 

“Smart Nation”

Depuis 2014, Singapour a mis en place l’initiative “Smart Nation”, un plan ambitieux pour transformer la ville en hub technologique et se positionner en pionnier de la Smart City. Fin 2017, le gouvernement réaffirmait son engagement en injectant 2,4 milliards de dollars dans la nouvelle économie sur les quatre prochaines années.

Derrière ce terme générique de smart city se cache un des programmes les plus ambitieux au monde pour mettre la technologie au service de la ville. Ubiquitaire, il s’attache évidemment au secteur économique mais également à la qualité de vie, à l’éducation ou à la mobilité dans une logique systématique de valorisation des données. Sur le plan économique, la ville s’appuie sur une logique de Freight-as-a-Service (fret serviciel) afin d’optimiser les flux et de conserver son rôle de plaque tournante logistique du sud-est asiatique. Pour favoriser l’émergence de services dédiés à la ville et d’un écosystème numérique puissant, Singapour a également ouvert une des premières plateformes d’open data gouvernementale. Couplée à une politique extensive de collecte de données, cette initiative a permis de multiplier les applications concrètes : services publics digitalisés, paiements mobiles généralisés, Smart Home, ou encore un Health Hub destiné à faciliter et encourager les bonnes pratiques de santé chez les Singapouriens. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, le programme s’est accompagné d’un effort particulier sur les métiers des données pour répondre à un besoin croissant en talents et exporter un savoir-faire. La mobilité n’est pas en reste avec le lancement d’une Initiative pour les Véhicules Autonomes (SAVI) qui, outre un centre de recherche, prévoit des taxis autonomes opérationnels d’ici 2022.

 

Une indigestion de données ?

Le catalogue d’initiatives lancées par Singapour ne s’arrête pas là : le programme Smart Nation s’attache en effet à tous les aspects de la vie urbaine. Une omniprésence des technologies qui ne manque pas de soulever quelques critiques, en particulier sur le respect de la vie privée. Ainsi, la cité-état est en train de transformer ses 110 000 lampadaires en véritables nids à capteurs, capables de prendre le pouls de la ville et d’imaginer un futur “data-driven”, mais également capables de reconnaître les visages, laissant imaginer une surveillance permanente et généralisée… Face à cet enjeu, la ville se veut rassurante et assure que “la protection des données personnelles et de la vie privée est au coeur des considérations dans le déploiement technique du projet…”. Elle a également ouvert une plateforme, MyInfo, qui permet d’accéder à ses données personnelles et d’en autoriser ou non l’utilisation.

 

Les particularismes d’une “cité-État”

Si l’avance de Singapour est remarquable, il reste difficile de l’ériger en modèle. Le terme de laboratoire serait sans doute plus approprié pour un territoire qui compte 5,6 millions d’habitants regroupés sur 700 km², et qui affiche la deuxième économie la plus performante au monde… En outre, le modèle de contrôle qu’implique la digitalisation de l’ensemble des services n’est pas exportable partout. Il s’accorde plutôt bien avec un contrat social dans lequel les autorités n’hésitent pas à geler le nombre de voitures autorisées sur ses routes ou à bannir le chewing-gum pour préserver la propreté des rues ! Centralisé, le modèle construit par Singapour bénéficie également de l’extrême souplesse de la réglementation, qui facilite l’adoption des innovations technologiques : l’expérimentation des voitures autonomes y bénéficie par exemple d’un régime juridique très permissif et de l’ouverture de la chaussée publique dans un district du pays. En outre, la ville est mue par le sentiment d’urgence face à un manque de ressources et une concurrence régionale exacerbée. Le manque d’espace a aussi incité Singapour à prendre des mesures fortes pour réduire la place de la voiture en ville, comme le rappelle justement La Fabrique de la Cité en introduction de son article sur la congestion.

Ce contexte unique rend difficile l’exportation du modèle au niveau d’une société plus vaste et hétérogène, telle que la France. Cependant, à l’heure où l’échelle de la ville est de plus en plus importante, Singapour a réussi à construire une marque qui s’exporte déjà à certaines mégapoles Indiennes et Chinoises. Ainsi, la ville a signé des partenariats avec le parc industriel de Suzhou et l’île éco high-tech de Nanjing afin de faire voyager son expertise.

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