Transports, déchets, colis : le tunnel doit-il faire sa mue ?

Face aux grands défis de la ville, l’option souterraine est pleine de promesses. Au-delà des galeries techniques et des réseaux de transport souterrains, de nouveaux usages et de nouvelles manières de concevoir les tunnels émergent…

Les tunnels véhiculent toute une bibliothèque de représentations obscures. Les catacombes paléochrétiennes accueillent les morts, les mines de Germinal font écho aux représentations caverneuses de l’enfer. Le monde d’en-bas, dans le cinéma et la littérature, reste celui des parias et des réprouvés. Pour autant, le tunnel est indissociable de la vie urbaine. Si le terme est récent (1825), les bâtisseurs n’ont jamais su se passer de galeries et de mines, courant sous les villes ou à travers les montagnes. Car le tunnel est avant tout pratique : il cache, il protège, il convoie. Dans la ville dense contemporaine, il multiplie les promesses. Contre les pollutions, les congestions et la saturation de la surface, le tunnel cherche à redorer son blason.

 

Réinventer le tunnel

Nous sommes à Naples. Ici les 16 “Stations de l’art” constituent sans doute le plus grand musée d’art contemporain souterrain au monde. La station Università donne carte blanche au designer anglo-égyptien Karim Rashid. La station Garibaldi, conçue par l’architecte français Dominique Perrault, est un pôle multimodal autant qu’un musée… Ici, comme dans beaucoup d’autres villes, réinventer le tunnel c’est d’abord recycler l’infrastructure existante, lui redonner vie sous d’autres usages.

A New-York, Lowline prend le contrepied des imaginaires du tunnel avec un projet de parc urbain au coeur de la station Delancey Street. L’espace aujourd’hui inoccupé – de la taille d’un terrain de football – doit laisser sa place à un mix de circulations boisées, de boutiques et de restauration. Le tout sera éclairé par la lumière du soleil grâce à un système de fibre optique relié à la surface… A Paris, à l’occasion de la seconde édition de Réinventer Paris, c’est 22 espaces souterrains qui ont fait l’objet d’une grande compétition de valorisation. Parmi eux, un certain nombre de tunnels. Un lieu culturel occupera la Station de métro Palais Royal-Musée du Louvre Galerie Valois, une “station-service des mobilités douces et des sportifs” prendra ses quartiers dans le tunnel Henri IV, un lieu de restauration et une halle dédiée aux circuits courts doivent redonner vie à l’ancienne station de métro Croix-Rouge…

Au delà des espaces de vie et de consommation, les lieux de production et les infrastructures ne sont pas en reste. À Paris, c’est l’agriculture qui s’invite en sous-sol. La startup Cycloponics, spécialisée dans la reconversion de souterrains abandonnés s’est installée dans un parking du 18è arrondissement. Aujourd’hui, La Caverne – première ferme urbaine bio de Paris – y cultive des fruits et légumes. Côté logistique, la startup londonienne Magway ambitionne de distribuer plus de 600 millions de colis par an. Pour y parvenir, l’entreprise envisage d’utiliser plus de 850 kilomètres de canalisations de gaz désaffectées. Confiants, les dirigeants de la jeune pousse ne cachent pas leurs ambitions : réduire les émissions dues à la livraison d’un tiers ! En Suisse, le projet Cargo Sous Terrain, est moins ambitieux mais plus avancé, il prévoit de connecter les grands hubs logistiques aux centres-villes. Une première section de 70 kilomètres reliant Härkingen-Niederbipp et Zurich est prévue d’ici 2031.

 

De nouveaux tunnels pour de nouveaux usages ?

Selon Alan McKinnon, professeur de logistique à la Kuehne Logistics University, l’utilisation de canalisations existantes imaginée par Magway est utopique. La startup elle-même ne s’en cache pas : elle devra construire un réseau de tunnels. Car au delà de la reconversion des réseaux existants, certaines innovations de rupture réclament la construction de nouveaux ouvrages.

Le cas le plus fameux – et le plus polémique – est sans doute celui de la désormais célèbre Boring Company. Dans son style caractéristique, Elon Musk a mis un coup de pied dans la fourmilière en déclarant vouloir creuser ses tunnels 10 à 15 fois plus vite que les constructeurs traditionnels. Destinés à accueillir des véhicules autonomes, ils proposent un diamètre bien plus faible que les tunnels routiers traditionnels et s’inspirent des techniques utilisées pour creuser les systèmes d’égouts. Comme avec toutes les propositions du milliardaire américain, il est aujourd’hui difficile de dire s’il s’agit d’une véritable révolution. Néanmoins, les 1,14 miles de tunnels creusés à Las Vegas sont bien réels, et font déjà office d’attraction pour journalistes et professionnels du monde entier.

Les tunnels urbains sont des infrastructures lourdes et coûteuses. Au delà des promesses ambitieuses en termes d’usages, c’est souvent la question du passage à l’échelle qui constitue le frein principal. A ce titre, le sujet du transport des déchets par tunnels est emblématique. Longtemps promis comme une solution miracle, le système ne s’est jamais démocratisé. Bien qu’efficace, l’expérimentation déployée à Walt Disney World et sur l’île Roosevelt en 1969 n’a jamais conquis le monde. Néanmoins, les solutions pneumatiques connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt, spécialement dans les villes les plus denses (et les plus riches). L’entreprise suédoise Envac, leader du marché, traite déjà 20% des déchets à Stockholm et affiche une présence dans plus de 44 villes. Les tunnels n’ont pas dit leur dernier mot.

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