Cette relative tranquillité pourrait être remise en cause par l’arrivée tonitruante de l’IA dans la ville. On parle déjà de cognitive city, portée par des IA capables de communiquer entre elles pour anticiper les besoins des habitants (IA multi-agents)… Mais comme souvent avec les concepts flambants neufs, il est important de distinguer les promesses du réel.
Des villes douées de parole ?
Si le fantasme d’une ville hyper-technologique, réactive et autonome est encore assez éloigné de la réalité, les cas d’usages ponctuels et efficaces de l’IA générative se multiplient. Le plus souvent, les agents intelligents sont utilisés pour simplifier l’accès aux services urbains, à travers une mise à disposition simplifiée de l’information. Cette ville qui “parle” se développe sur la promesse d’une “débureaucratisation” pour les habitants.
En 2019, Buenos-Aires faisait office de pionnier en lançant le chatbot Boti, un agent conversationnel qui cumule en moyenne 5 millions de conversations par mois sur des sujets aussi vastes que la mobilité, le recyclage, la santé, la sécurité, l’offre culturelle ou touristique. En France, Issy GPT propose le même type de service et ne cache pas sa filiation avec les grands modèles de langage comme GPT. La ville de Singapour est allée encore plus loin en lançant l’appel “AI Trailblazers”, destiné à créer 100 applications d’IA générative pour la ville en cent jours. 46 d’entre elles ont déjà construit un Minimum Viable Product (MVP).
Parmi eux, un chatbot permet d’extraire des données économiques du National Economic Research and Visualisation Engine (NERVE), une base de données économiques. Un autre permet d’automatiser partiellement la construction de parcours académiques. Un dernier – plus simple – vise à faciliter la réservation de cours de badminton en identifiant les terrains disponibles…
Les services et la gouvernance avant l’économie
Ces exemples illustrent une tendance assez marquée : une large majorité des projets urbains d’IA visent aujourd’hui à améliorer les services et la gouvernance. Une étude du Barcelona Centre for International Affairs (CIDOB) menée dans le monde entier montre que 66% des projets d’IA concernent l’offre de services et la gouvernance. En retrait, les mobilités, les services sociaux et la gestion des ressources concernent respectivement 24, 22 et 22% des projets. La planification urbaine, souvent présentée comme une des grandes bénéficiaires de l’IA, plafonne à 11% des projets alors que le secteur de l’économie n’est quasiment pas représenté avec 4% des initiatives.
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Demain, une IA transformative ?
L’émergence d’une IA véritablement transformative, capable de proposer de nouvelles pratiques urbaines, reste malgré tout d’actualité. Certains projets tentent en effet de dépasser les pures logiques d’optimisation et proposent des solutions parfois futuristes. L’intelligence artificielle est par exemple une condition sine qua non au développement des livraisons autonomes par drones, qui posent des questions d’adaptation à l’environnement urbain d’une complexité unique.
Le projet Air-One, développé à Coventry au Royaume-Uni, fait aujourd’hui office de pilote sur le sujet. La publicité urbaine pourrait également être complètement transformée en proposant des contenus personnalisés en fonction du passage ou des campagnes adaptées au contexte (météo par exemple). La question environnementale trouve dans l’IA des solutions prometteuses. Google met ainsi en avant l’analyse d’images pour aider à comprendre les îlots de chaleur, l’identification des meilleurs endroits pour planter des arbres, ou l’optimisation des feux de signalisation pour réduire les émissions.
Peur sur la ville ?
Pour réaliser les promesses de l’IA, il reste à dépasser un certain nombre de barrières. Les maires citent à 74% le manque d’expertise technique et à 70% les contraintes budgétaires. Ils sont également 62% à mettre en avant les questions de sécurité et de vie privée, et 47% à citer des questions éthiques. Ces deux derniers sujets s’incarnent dans des pratiques encore contestées, comme l’utilisation de la reconnaissance faciale par la police à Londres, ou les développements d’une police prédictive, capable d’anticiper les “points chauds”. Le monitoring de certaines infrastructures critiques, par l’intelligence artificielle pose également des questions de sécurité.
Le World Economic Forum souligne l‘importance de mettre en place des cadres de gouvernance pour l’IA, dans ce qui ressemble encore à une “phase exploratoire”. Il cite par exemple le registre algorithmique d’Amsterdam, qui présente tous les cas d’usage d’IA par la ville, ou les guidelines d’utilisation mises en place par la ville de Seattle. Alors que l’heure est encore à l’enthousiasme débordant, on mesure le chemin qui reste à parcourir avant que l’IA ne trouve sa juste place au sein de nos villes.